Des notes de « Sexual healing » de Marvin Gaye, s’échappent d’une sono lointaine. Une file d’attente se forme devant un stand barré d’un slogan « Orange Rockorps, tu donnes, tu reçois ». Les responsables de cette action « citoyenne » parrainée par l’opérateur téléphonique, s’assurent que les formulaires de participation sont correctement remplis. Une autorisation parentale dûment complétée est requise pour les mineurs. Le stade de Livry-Gargan en Seine-Saint-Denis accueille ce samedi après-midi une soixantaine de bénévoles venus redonner des couleurs à des murs vétustes et gris.

Je me mêle à la file d’attente et attends mon tour. Je remplis moi aussi la fiche de renseignements, on me demande si j’ai une tenue de rechange, je n’en ai pas. Tant pis, je ferai attention à ne pas maculer mon jean de tâches tenaces de peinture. Je dois être affiliée à un groupe. Au choix, buvette, fresque ou à l’intérieur. Je choisis de travailler à l’extérieur et opte pour la buvette. Groupe 1. On me donne un badge avec mon prénom inscrit dessus ainsi qu’un tee-shirt noir floqué dans le dos du slogan qui sera le leitmotiv pendant ces quatre heures, « tu donnes, tu reçois. »

Charles, le chef de projet, vérifie lui-même les fiches d’inscription et annonce que l’on accuse un peu de retard. En attendant des adolescents, en groupe de deux, trois, cinq se toisent du regard. Un jeune homme se plaint du trajet qui l’attend pour rentrer : « Ça va être la mission… » Après un quart d’heure, nous sommes rassemblés sur les gradins pour un petit discours de bienvenue. Le chef de projet explique en deux mots l’essence même du projet Rockcorps. Un concert « exceptionnel » se tient le 5 octobre au Zénith à Paris. A l’affiche, les rappeurs américains de NERD, l’anglais Mark Ronson, le groupe français Sexion d’Assaut, le DJ LPR et un dernier artiste à déterminer. Aucune place de concert n’est mise en vente. Pour y assister il suffit pour les jeunes gens de donner quatre heures de leur temps pour une association ou une collectivité. Une sorte de travaux d’intérêt général avec une carotte au bout, à savoir cette place de concert.

Aujourd’hui, il s’agit donc de repeindre le stade du club de foot de Livry-Gargan. Charles de sa belle voix grave, prévient les tire-au-flanc, il va falloir suer, d’autant plus que les bras manquent. « On attendait cent bénévoles au moins, vous n’êtes qu’une soixantaine, il va falloir rattraper ça par de l’énergie ! ». Le discours est bien rôdé, il rappelle la chance de voir tous ces artistes réunis sur la scène. Charles interpelle une jeune fille un peu blasée : « Tu as souvent l’occasion de voir tout ce beau monde réuni sur une scène ? »

Pour prouver aux jeunes qu’ils ne vont pas regretter ce samedi après-midi laborieux, le chef de projet explique qu’un concours de photos est organisé. Chaque équipe doit réaliser cinq photos devant la banderole avec l’omniprésent slogan, avec à chaque fois une mise en scène différente. Les meilleures photos, les plus inventives, les plus remarquables seront sélectionnés par un jury et les internautes qui désigneront une équipe gagnante dont chacun des membres remportera un Blackberry. Blackberry ou le mot magique pour propager la joie et l’espoir dans les gradins. Avoir l’opportunité de gagner le même téléphone que Barack Obama motive les ados. Déjà, certains se creusent la tête pour trouver des poses originales et s’attirer ainsi les faveurs du jury et des votants.

Charles cède la parole à Mamadou, le président du club de foot, qui a tenu à prononcer quelques mots pour nous remercier de participer à la remise en beauté du stade. « Le club de foot accueille des joueurs de six à quarante ans, les vétérans. Vous voyez le stade est vétuste. Il n’a pas été repeint depuis plus de dix ans. C’est un gros gros service que vous rendez là. Cela fait deux ans que je cours après la mairie pour avoir de la peinture ».

Les bénévoles se dispersent. Nous nous rendons tous au poste auquel nous avons été affectés. Valérie chapeaute mon équipe. Nous sommes six. Wilfried de Pantin, Fatouma du Blanc-Mesnil, Elodie de Bondy, Marek d’Aulnay-sous-Bois, l’une de ses amies, Audrey, puis moi-même. Après un succinct tour de table, Valérie nous explique en trois mots notre mission.

Notre équipe est rejointe par trois amies, qui ne tardent pas à mettre de la musique sur un téléphone portable. Désormais l’équipe va peindre au rythme de Rihanna et Sexion d’Assaut. Pour rendre la tâche moins pénible je discute avec mon binôme, Marek, 21 ans, qui effectue un BTS de technique commerciale en alternance dans une entreprise de maintenance en chauffage. Il s’agit de sa deuxième participation à l’opération. Moyennant quatre heures de travail, la petite bande a pu aller écouter David Guetta, Kelly Rowland ou Akon. « J’ai entendu parler de l’opération à la radio. Audrey a lancé le truc. L’année dernière j’ai ramassé des feuilles dans un parc à Neuilly, c’était moins salissant » explique-t-il.

Mais il est ravi par cette expérience. Lors du goûter, Marek livre son analyse: « Ça rend service à un département, ça motive les jeunes, il n’y a rien de négatif là-dedans. Ça permet même à la municipalité de faire des économies. » Pour lui, la banlieue charrie son lot de stéréotypes. « C’est malheureux. Pour ceux qui sont extérieur à la banlieue, c’est forcément dangereux. Au contraire, pour moi, c’est là qu’il y a le plus de potentiel. Une élite y naît. Il y a plein d’initiatives, des budgets sont débloqués pour l’éducation, le sport. Et il y a des échanges. La preuve nous sommes tous un groupe, tous en uniforme, il y a de l’entraide. Personne ne se connaît et il n’y a pas d’hostilité. »

L’une des forces de Rockcorps, d’après ses responsables, c’est que 10% des jeunes présents s’engagent dans une association après avoir participé à un chantier. Le chef de projet cite en exemple un couple qui, refusant les places de concert dues, a demandé à revenir pour d’autres missions. Près de trois heures et demie se sont écoulées, l’énergie est retombée avant de revenir pour réaliser les fameuses photos pour le concours de photos. Mon équipe rivalise d’ingéniosité.

La journée touche à sa fin. Nous voilà de retour à la case départ. Massés sur les gradins, les bénévoles se sont lâchés avec la peinture. Deux jeunes hommes ont le visage tout bleu à tel point qu’on pourrait les croire échappés du film « Avatar ». Des filles se sont peint des signes indiens. Des empreintes de main trempées dans la peinture ornent les tee-shirts.

Le chef de projet prend alors la parole et nous félicite pour le travail abattu. Et ajoute qu’il pensait, vu les défections, que nous ne réussirions jamais à achever ce travail de titan. Il ajoute que nous avons réalisé le plus beau des chantiers. Incrédule, une jeune fille lâche : «  C’est un mytho, il dit ça à tout le monde. » Mamadou, le président du club de foot, tient à nous remercier de nouveau et Charles, bavard, ajoute que la municipalité, réticente à l’origine, s’est déplacée et a apprécié ce travail.

Plus, même : le maire a demandé à ce que Rockcorps mène d’autres actions dans la ville. Avant de procéder à la distribution des places de concert, notre chef de chantier demande à ce que les pinceaux soient nettoyés, sinon, pas de tickets ! Une bénévole goûte bien peu à ce léger chantage : « Je te jure, s’il ne donne pas les places, je tague les murs qu’on a peints en blanc tout en bleu… »

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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