Le salam de la discorde. L’affaire aurait pu faire les titres du Gorafi. Pourtant, la Préfecture des Alpes-Maritimes a bien décidé de faire retirer son badge à un agent de sûreté de l’aéroport de Nice. Elle reproche à Monsieur M. d’avoir salué ses collègues d’un « salam aleykum ». Interview de son avocat, Maître Sefien Guez Guez.
Pouvez-vous nous rappeler l’affaire ainsi que les faits reprochés à votre client ?
Au mois de novembre 2013, mon client reçoit un courrier de la Préfecture sur lequel il est précisé qu’il aurait « défavorablement attiré l’attention » dans l’exercice de ses fonctions. Ce courrier lui suspend son habilitation et son accréditation aux zones sécurisées de l’aéroport. Il contacte alors sa direction et demande des explications. Sa direction lui dit qu’elle n’est pas au courant. Il interroge également la Police aux frontières. Personne ne lui répond. A partir de ce moment-là, il me saisit et nous décidons de déposer un référé en suspension devant le tribunal administratif, en urgence, afin de faire suspendre la décision de la Préfecture.
Le 12 décembre, le Président du Tribunal administratif suspend la décision de la Préfecture et surtout demande à la Préfecture de réinstuire le dossier pour prendre une décision davantage motivée ou revenir sur sa décision. Le 17 décembre, la Préfecture prend une nouvelle décision. Cette fois-ci, les accusations portées à l’encontre de mon client sont beaucoup plus graves : on lui reproche de s’exprimer en arabe, ce qui caractérise selon elle une radicalisation religieuse. On reproche également à mon client de refuser de serrer la main aux femmes, ce qui est absolument faux puisqu’il a toujours eu des relations cordiales avec ses collègues y compris féminines. Enfin, on lui reproche d’exprimer de la sympathie pour certains actes terroristes commis en France.
Ce qu’il faut savoir c’est qu’aujourd’hui, l’apologie d’actes terroristes est une infraction. Le fait de tenir des discours supportant ou mettant en valeur un acte terroriste peut mener à la garde-à-vue, à la prison. Or, mon client a un casier judiciaire vierge. Il n’a jamais été inquiété par les services de police, aucune audition n’a été menée, aucun juge n’a été saisi.
Mais sur quels éléments se fonde la Préfecture ?
Depuis le mois de novembre, nous demandons à la Préfecture de produire des éléments, des fiches de renseignements. Nous n’avons aucune information. Concernant le grief selon lequel « Monsieur M. aurait exprimé de la sympathie pour certains actes terroristes commis en France », ce n’est expliqué ni quand, ni comment, ni pourquoi « certains actes terroristes » seulement et pas « tous ». L’accusation la plus caricaturale, à savoir le fait de s’exprimer en arabe avec certains collègues, constituerait selon la Préfecture un signe de radicalisation religieuse. Je suis outré : c’est quand même la première fois dans l’histoire de l’aviation que l’on reproche à un agent d’être polyglotte dans un aéroport international…
Le comportement de votre client peut-il constituer une faute professionnelle ?
Professionnellement parlant, il est irréprochable. D’ailleurs, le jour où il a reçu la décision de la Préfecture, il a validé un examen avec une moyenne de 18,86/20. Il travaille depuis trois ans au sein de l’aéroport de Nice, son comportement en service est exemplaire. Surtout, sa direction n’était aucunement au courant de l’initiative du Préfet et ne lui reproche aucune faute professionnelle. Quand bien même, ce n’est pas à la Préfecture de dire qu’il a commis une faute professionnelle. Si un agent commet une faute, c’est à sa direction de le sanctionner.
Donc juridiquement, la décision du Préfet n’est pas fondée ?
Juridiquement elle n’est pas fondée, d’autant qu’il y a une absence de motivation manifeste, puisque l’on reste sur des termes flous et qu’aucun élément n’est produit. De notre côté, nous avons au moins une trentaine d’attestations de ses collègues de travail qui disent toutes que Monsieur M. est un bon élément, qu’il n’a jamais tenu de discours extrémiste et qu’il a toujours eu un très bon comportement au travail.
Suite à la deuxième décision de suspension de la Préfecture, datant du 17 décembre dernier, pourquoi votre client n’a-t-il pas porté plainte pour discrimination ? On peut parler d’un cas d’islamophobie avéré…
Cela est prévu. Nous sommes en train de réfléchir à d’éventuelles poursuites pénales à l’encontre du Préfet. Mais pour le moment, nous préférons envisager l’apaisement. Si le Préfet veut bien faire amende honorable et reconnaître qu’il s’est trompé, on passera… S’il refuse de restituer l’habilitation de Monsieur M. pour qu’il retourne travailler, on agira devant les tribunaux pour diffamation et atteinte à l’honneur.
Ne s’agit-il pas plutôt d’une affaire politique ou personnelle, que se cache-t-il derrière cette « machination » ?
Monsieur M., au mois de juin 2013, a eu quelques soucis avec certains de ses collègues qui l’ont insulté. Des insultes islamophobes du genre « sale islamiste », « barbu, « fou d’Allah », etc. Il est également délégué syndical, il a tout de suite remonté l’information à sa hiérarchie et à son chef de site, lequel a convoqué les collègues qui auraient tenus ces propos. On a demandé aux principaux concernés de s’excuser. Peut-être, je dis bien peut-être n’ont-ils pas avalé ce qu’ils ont subi comme une humiliation, et qu’à partir de ce moment-là, ils ont placé Monsieur M. dans leur collimateur.
Dans un aéroport, tout le monde connaît tout le monde : les agents de sûreté connaissent les gendarmes, connaissent la PAF. On ne peut pas exclure la possibilité d’une dénonciation calomnieuse de la part de certains de ses collègues de travail. Aussi, nous venons de l’apprendre, une ancienne déléguée du personnel est prête à témoigner à ce sujet pour expliquer que l’ambiance de travail, ici à Nice, dans certaines équipes est délétère, avec des propos racistes au quotidien.
Vous avez rendez-vous mardi 21 janvier au Tribunal administratif de Nice. Êtes-vous confiants pour la suite ?
Nous sommes confiants quant à la suspension de la décision, sauf coup de théâtre et dans le cas où la Préfecture nous sortirait des éléments démontrant qu’effectivement il s’agisse d’un dangereux monsieur. Nous demanderons mardi 21 janvier au Président du tribunal la suspension de la décision de la Préfecture, mais surtout la restitution de l’habilitation pour que Monsieur M. puisse retourner travailler, puisque depuis le 17 novembre 2013, mon client ne travaille plus. Il n’est pas licencié, son contrat est suspendu : il n’a plus de salaires, il ne touche aucune indemnité Pôle Emploi, il n’a rien du tout, ce qui commence à devenir très lourd pour lui.
Aussi, jeudi soir, dans Nice-Matin, la Préfecture a justifié sa décision « en raison de son changement de comportement qui se traduit notamment par le salut de ses collègues en disant « salam aleykum ». C’est complètement ahurissant. Malgré la bévue, la Préfecture des Alpes-Maritimes persiste et signe en expliquant que parce qu’il disait « salam aleykum », mon client a eu un comportement traduisant un radicalisme religieux.
Propos recueillis par Hanane Kaddour