BEST OF 2013. Se fondre dans la masse quand on a connu la vie derrière les barreaux, c’est pas du coton. Après la case prison, Damien a tenté de reprendre la partie d’une vie ordinaire. Mais ce n’est pas le Monopoly. Témoignage.

13 heures. Assis dans un bar francilien, j’attendais Damien*. Soulagement, c’était quelqu’un de ponctuel, je lui fis un signe de la main et il me rejoignit. Il commanda une boisson non alcoolisée en me disant que « ça fait ivrogne de boire de l’alcool si tôt dans la journée. » Je lui présentai rapidement le Bondy Blog et son contexte de création : les émeutes de 2005 en France. Il me livra de manière spontanée son analyse sur l’évènement : «  J’ai connu un ‘émeutie’ en taule. On lui a collé une image de révolté incendiaire et sanguinaire. Le mec était doux comme un agneau. Ce qu’il y a de fou avec ces émeutes, c’est que les mecs étaient tellement désespérés qu’ils se sont mis à se faire du mal à eux même. Pour moi c’était une mutinerie. Les mecs brûlaient les voitures de leurs voisins, ils mettaient le feu aux écoles de leurs petits frères et saccageaient les Macdo qu’ils squattaient eux même. C’est triste, en vrai, ils ont fait du mal à ceux qui partageaient leur condition, donc à eux même.»

Il avait croisé ‘l’émeutier’ lors de son séjour en prison entre 2006 et 2008. Damien est resté en mandat de dépôt pendant presque 2 ans pour un vol à main armé (avec une arme factice). Il était incarcéré mais en attente de jugement. L’ex détenu est sorti de prison du jour au lendemain sur un vice de procédure. Le jeune homme m’expliqua en quoi le contexte de sa sortie de prison fut particulier : «  En taule, il y a plusieurs façon de sortir. Si t’as de la chance, ta sortie est planifiée. Et là tu as des rendez-vous depuis le placard avec le SPIP (ndlr : Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation). Ils préparent ton plan de réinsertion. Moi je suis sorti en tant que libérable immédiat. Je ne savais même pas que je sortais. Un gardien est venu dans ma cellule et m’a dit « prépare-toi tu sors ! » Une fois dehors, j’étais livré à moi-même. » Damien a connu ce qu’on appel une « sortie sèche ». Selon de nombreux rapport sur la préparation de la sortie et l’aménagement de la peine des détenus, la « sortie sèche » augmenterait fortement les risques de récidive.

Communément, nous avons tendance à estimer qu’une fois qu’un détenu sort de prison, il a payé sa dette à la société et qu’on peut tirer un trait sur son passé. Mais les choses ne sont pas si simples, le sujet reste tabou : «  On ne le dit pas qu’on sort de prison. Tout le monde parle de réinsertion. Mais en réalité un ex-taulard ça fait peur. Pendant un entretien, j’ai joué carte sur table en avouant que je sortais de prison, on ne m’y reprendra plus. L’entretien a tourné court et j’ai eu le droit à la phrase bateau « on vous rappellera ». Le regard amer, Damien serra son verre avec un pointe de déception et me dit : «  concernant les services qui sont censés aider les ex-détenus, tout ce qu’ils font c’est de te proposer des jobs de mange-pierre, où tu te casses le dos toute la journée. Je me souviens, un jour, ils m’ont envoyé décharger un semi-remorque rempli de gigots anglais à vider en trois heures. Ils ne m’ont proposé que des emplois précaires pendant quelques mois ».

Livré à lui-même et déterminé à s’en sortir, il consentit à m’en dire plus sur sa recherche d’emploi et son désir d’insertion : «  Au départ je voulais un taf  pour ne pas rester oisif et surtout ne pas retomber dans les travers qui m’ont envoyé en prison. J’ai postulé dans différents domaines comme la préparation de commande, le BTP, la vente… j’ai réussi à trouver quelques jobs, mais je ne le dois qu’à moi-même. J’aurais bien aimé postuler dans le secteur public… mais comme j’ai un casier pour crime, c’est mort ! Ensuite, j’ai postulé au culot dans quelques grandes multinationales, sans réponse. Je ne suis pas bête, je sais bien que ces boîtes font attention à ne pas recruter des gens qui ont un casier judiciaire. » Je sentais dans son regard extrêmement expressif que l’injonction contradictoire lui avait fait beaucoup de mal. Cette injonction qui vous dit «  trouvez un emploi et intégrez-vous », alors qu’une fois sorti de prison, la liste des métiers envisageables se rétrécit et qu’un recruteur prudent aura peur d’intégrer dans son équipe un individu dit « dangereux ».

Un brin provocateur, je le concède, je lui demandai si au bout de cinq ans il n’y avait pas prescription et j’avançai qu’il était tout à fait possible de trouver un emploi (stable) avec de la bonne volonté. Décontenancé il rétorqua : « Mais tu crois quoi ? Que je n’ai pas envie d’avoir mon chez moi ? Je rêve d’un CDI pour enfin pouvoir avoir mon propre appart’ et être indépendant. Officiellement, je n’ai exercé que quatre jobs : préparateur de commandes, agent technique dans une entreprise d’évènementiel, de la vente et une autre expérience de manutentionnaire. Toutes ces expériences je les ai eues en intérim. Durant des périodes de 3 à 8 mois grand max. Et ça fait 5 ans que je suis dehors ! On ne m’a jamais proposé de CDI. On m’appelle de temps en temps dans les périodes de rush. Officieusement, j’ai été amené à travailler au noir sur des chantiers, dans des magasins, sur les marchés. Le gros du travail au noir c’était dans des boites de sécu. Elles ne sont pas très regardantes à partir du moment où t’es un ex-taulard avec une mine un peu patibulaire ou un sans-papiers de deux mètres qu’on n’a pas spécialement envie d’approcher. Ils ne sont pas cons, ils savent qu’on est des mecs en rupture avec la justice et la société donc on n’ira jamais se plaindre ou leur faire des histoires.»

Au fil de notre discussion j’eus la sensation que cela le soulageait de se livrer. Je lui parlai de la commune de Créteil (Val de Marne) qui joue un rôle important dans l’insertion d’ex-détenus cristoliens. La municipalité offre une seconde chance aux plus motivés et beaucoup décrochent un poste d’employé municipal. Il esquissa un sourire désinvolte et me lança tout de go : « Tant mieux pour eux ! Mais dans mon cas, il y a une dame du service communal qui m’aide. Elle se démène comme un beau diable. On a grandi dans le même quartier. Elle fait de son mieux, mais elle n’a pas de solution miracle. Ses coups de pouces m’aident à trouver des petites missions d’intérim au mieux, ou une formation payée. Au final, malgré sa bonne volonté, elle met un pansement sur une jambe de bois. A part elle, à sa petite échelle, personne ne se bouge le cul pour moi. »

Et la tentation de tomber à nouveau dans le crime, avait-t-il réussi à y résister ? Il marqua un temps d’arrêt, il jeta un regard empli de précaution autour de nous, il hésita à me répondre franchement, soudain sur le ton de la confidence il chuchota : « ça va choquer les honnêtes gens, mais au bout d’un moment quand tu n’arrives plus à subvenir à tes besoins, bien sûr que tu replonges ! Si je n’avais pas vendu de la drogue quand je n’avais plus un rond, j’aurais crevé la dalle. J’essaie de me réinsérer mais mes efforts ont leurs limites surtout quand on sait qu’ils ne sont pas récompensés à leur juste valeur. »

Quelques jours après notre entretien je repense au parcours chaotique de Damien et je me dis que les temps sont durs. Il approche de la trentaine, il cumule des mandats peu glorieux : ex-détenu, sans domicile fixe (il est hébergé occasionnellement par des proches) et il essaie de joindre les deux bouts dans un pays où les chiffres du chômage donneraient de l’urticaire au plus grand des optimistes. Plusieurs questions me viennent à l’esprit, je me demande combien d’ex-détenus ayant connu une sortie sèche attendent encore quelque chose de notre société ? Dans quel état psychique et psychologique sont-ils ? Je me demande si le fait de ne plus croire en la devise républicaine ne pousse pas à adopter une vie marginale ? Je me demande combien d’exilés du rêve français viendront grossir les rangs de l’industrie du crime en ces temps de crise ? Une chose est sûre, un individu désespéré qui n’attend plus rien de la société est difficilement récupérable. J’espère que Damien ne perdra pas espoir et qu’il réussira à dompter le cheval fougueux de la réinsertion et qu’il fera  mentir les statistiques accablantes sur l’intégration des détenus qui sont sortis du système carcéral sans préparation et sans suivi.

Balla Fofana

*Prénom modifié

Publié le 31 octobre 2013

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