Il est 20 heures sur les Champs-Elysées. Il fait froid, les arbres n’ont plus de feuilles mais ils brillent. Il y a beaucoup de monde ce soir. Les gens passent, se bousculent sans se voir. Personne ne remarque la porte vitrée située entre deux magasins. Derrière cette porte se trouve Sacko, assit derrière un bureau d’accueil. Il est au beau milieu d’un hall, luxueux mais sobre. Sacko est gardien de nuit dans un cabinet d’avocat. Sacko c’est le mec qui est encore là même quand tout le monde est parti se coucher.

Les gens le croisent le soir en partant du travail et le matin en y arrivant. Il est plutôt grand, plutôt beau, plutôt impressionnant. Il en impose avec sa carrure d’athlète, son mètre quatre vingt dix et son costume noir  qui contraste avec sa voix calme et posée. Il jure avoir 42 ans mais il en fait facilement dix de moins. Là il est devant son écran de télé, il l’installe tous les soirs, ce soir c’est le journal de France 2.

Ce soir comme trois fois par semaine, il travaille de 20 heures à 8 heures. Depuis 7 ans il tient ce rythme, il « [a] l’habitude maintenant ». Comme tous les agents de sécurité son travail est assez organisé. Tous les soirs, il fait sa première ronde entre 23 heures et minuit. Il fait tous les étages ainsi que le parking. A 2h, il éteint toutes les lumières. Ensuite il revient à son poste parce qu’il doit « réceptionner une première partie des journaux ». Lui ce qu’il aime c’est les magazines politique, Marianne par exemple, le Parisien aussi. Dans un autre genre il aime aussi lire les romans S.A.S. Tous les soirs entre 3 heures et 4 heures du matin, il fait sa deuxième ronde. Une fois terminée, il revient à son poste. A cette heure-ci ce n’est pas rare qu’il croise encore des avocats, des souris aussi. La deuxième partie des journaux arrive vers 6 heures, les agents d’entretien aussi.

Quand il est arrivé en France, il y a 7 ans, il a directement commencé à travailler dans la sécurité. Au début c’était « au noir » précise t-il, parce qu’à l’époque il n’avait pas ses papiers, il n’a pas caché sa situation à son patron. Il n’était pas le seul d’ailleurs. Le patron  « ça l’arrangeait, il nous faisait bosser 12 heures par jour, du lundi au dimanche pour 45 euros par jour » raconte-t-il un peu amer. Cela a duré presque deux ans, Sacko reconnaît qu’il « ne pouvait plus vivre comme ça ». Entre temps il a obtenu une carte de séjour. Peu de temps après, il a démissionné parce qu’il « voulait rentrer deux mois au pays, et eux ne voulaient pas » regrette-t-il. Le plus dur pour lui c’est d’être loin des siens, de sa famille, sa femme et ses deux enfants, Scydou, et Ismael, 12 ans et 15 ans. « Heureusement qu’il y a internet, je leur ai pris un abonnement là-bas ». C’est bientôt les fêtes de fin d’années, il ne pourra pas les passer avec eux cette année. Il était déjà à Bamako en juin dernier et va essayer d’y retourner en janvier.

Sacko n’a pas toujours été dans la sécurité, quand il était au Mali, il a été footballeur professionnel pendant dix ans, au Real de Bamako en première division. Il a dû arrêter à cause d’un problème de santé. Ensuite, grâce à son CAP de comptabilité, il a décroché un emploi de gérant de librairie. Sa vie, il l’avoue n’allait pas comme il le souhaitait mais il ne pensait pas à s’installer en France. La France comme il le dit, « c’est un pur hasard si j’y suis arrivé ». Un hasard qui a changé sa vie. Un jour un de ses amis qui travaille dans une ONG reçoit quatre invitations pour une conférence à Besançon sur la bonne gouvernance en Afrique. Un des participants se désiste, c’est alors que son ami lui dit « je t’invite ». Une fois sur place il décide de rester.

En dehors du travail, Sacko mène une vie assez banale, il vit dans un trois pièces dans le quartier latin. Il voit ses amis dont beaucoup sont journalistes, « deux travaillent au Figaro » ajoute t-il. Il ne fait pas trop de sport mais dès qu’il peut il fait un footing. Il aime la musique, surtout le rock, la chanson française avec un faible pour Sardou. Il aime aussi Rihanna et Raphael. Quand je lui demande quels sont ses projets, il hésite à me répondre, par  peur du mauvais œil. J’insiste et il m’avoue que s’il obtient sa naturalisation en décembre, il compte ouvrir sa propre boite de sécurité.

Johanna Ghiglia

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