Comme un pied de nez au Figaro Magazine. Ce mercredi 25 mai, quelques habitants se sont réunis sur le parvis de la Basilique de Saint-Denis. Un rassemblement en réponse à la Une qu’ils considèrent comme discriminante. Ils se prennent en photo au pied de ce monument pour montrer un autre visage de leur ville. Le parvis de la Basilique de Saint-Denis, c’est aussi devenu le lieu de ralliement du mouvement Nuit Debout, ou Banlieues Debout, pour les Dyonisiens depuis le 13 avril dernier.
Force est de constater qu’ils sont moins nombreux qu’il y a deux mois et demi. Ce 25 mai, ils étaient entre 100 et 150 contre plus de 300 au début de la mobilisation. Mais l’article du Figaro, intitulé « Molenbeek-sur-Seine » qui décrit la ville de Saint-Denis comme un lieu où l’on prônerait un islam radical et politisé, semble avoir remis de l’essence dans le moteur de contestation des plus motivés.
« Trois mois en immersion chez les barbus », c’est en ces termes que Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine, avait teasé sur les réseaux sociaux l’enquête sur « l’islamisation au quotidien » à Saint-Denis. Un article publié le 20 mai. La Une, elle, affiche deux jeunes femmes en hijab se promenant sur le parvis de la Basilique, vide. Des images, des mots et des idées véhiculées qui ont « choqué » certains Dionysiens. Ils dénoncent une vision caricaturale et une stigmatisation de la ville qui compte aujourd’hui près de 110 000 habitants.
« Des images pas représentatives de la ville »
Lors de l’assemblée qui débute vers 19h30, Jérôme est le premier à prendre la parole ce soir-là. « Cet article stigmatise non seulement Saint-Denis, mais aussi Molenbeek et tous les quartiers populaires dans leur ensemble », dit-il en tenant entre les mains le dernier numéro du Figaro Magazine. « Il s’inscrit dans une longue tradition de stigmatisation des quartiers populaires et qui a été remise au goût du jour ces derniers temps », poursuit l’homme qui est enseignant au collège. Il fait notamment référence à une série de tweets sur le compte du Printemps Républicains selon lesquelles il ne serait pas possible de prendre le bus dans le nord de Paris « si on n’est pas barbu ».
Jérôme a réalisé une analyse, en sept pages, sur l’enquête du Figaro Magazine et partage quelques-uns de ses éléments. Il estime, par exemple, que les iconographies s’attardent trop sur les femmes voilées. Il regrette aussi qu’une photo montrant une prière de rue, un vrai problème souligné par la légende qui explique qu’il est lié à un manque de places, soit juxtaposée avec l’intertitre « 800 000 individus fichés sur tout le département ». « La juxtaposition de la photo et de l’intertitre laisse à penser qu’il y a un lien sous-jacent entre les deux éléments (…), l’article comporte une sélection d’images qui ne sont pas représentatives de la ville de Saint-Denis », déclare Jérôme.

Jérôme Martin tient à la main le Figaro Magazine avec l'article « Molenbeek-sur-Seine ».  ©Analia Cid

Jérôme Martin tient à la main le Figaro Magazine avec l’article « Molenbeek-sur-Seine ». ©Analia Cid


Enfin, il dénonce quelques informations du reportage qu’il considère comme inexactes. Il pointe notamment du doigt les déclarations d’un prêtre dionysien selon lesquelles il serait difficile trouver de la viande non halal à Saint-Denis à moins d’aller dans une grande surface ou d’acheter sa viande les jours de marché. Jérôme, lui, indique le nom des rues où sont installées des boucheries-charcuteries et explique que le marché est ouvert trois jours par semaine : le mardi, le vendredi et le dimanche. « Ce qui laisse largement le temps de s’organiser. En matière d’accès et de services, ce n’est pas la priorité quand on voit l’état de la santé ou de l’éducation à Saint-Denis », juge-t-il.
« Monsieur, vous êtes punis ? »
L’éducation, c’est justement l’une des revendications fortes du mouvement Nuit Debout dans cette ville de Seine-Saint-Denis. Les enseignants, comme Iris, déplorent le manque de moyens aussi bien matériel qu’humain dans les établissements scolaires du département. « Il manque une quantité hallucinante de professeurs. Il y a parfois un manque de place pour les élèves dans les écoles et les conditions d’hygiène et sanitaires peuvent aussi dans certains cas être problématiques », liste l’enseignante qui travaille désormais à Epinay-sur-Seine. « L’abandon de l’État est réel et se fait sentir tous les jours lorsqu’on travaille ou que l’on vit ici », se désole-t-elle.
Iris raconte également l’anecdote de l’un de ses collègues qui au cours d’une discussion avec ses élèves de collège leur révèle qu’il enseignait dans l’établissement depuis dix ans. La réaction des élèves est symbolique de la situation : « Mais monsieur, vous êtes puni ? Pourtant vous êtes un bon professeur », auraient-ils demandé, étonnés. Par punition, il faut comprendre ici l’obligation de travailler dans le département. « Les enfants se rendent compte qu’ils changent de professeurs assez souvent et ils nous demandent à la fin de l’année si on va rester ou non », expose Iris.
Déception générale

« L’article du Figaro m’a beaucoup choqué. La Une est diffamatoire, stigmatisation voire fascisante. Le problème identitaire n’est pas le problème principal de la ville. Il y a tellement de problèmes au niveau du logement, de la pauvreté, du chômage », déclare un homme au micro durant l’assemblée. Il se dit très déçu de l’absence de réactions politiques et médiatiques.
Une pancarte avec la mention de l'article 49.3 lors de la Nuit Debout à Saint-Denis, le 25 mai.

Une pancarte avec la mention de l’article 49.3 lors de la Nuit Debout à Saint-Denis, le 25 mai. ©Analia Cid.


« J’en veux beaucoup aux élus et à notre maire qui a lui aussi stigmatisé sa population en déclarant dans une interview au Parisien qu’il y avait ‘trop de commerces communautaires du même type : trop de kebabs, trop de coiffeurs africains…’ Il est lui aussi un peu responsable », complète un autre Dionysien.
« Notre 49.3, c’est l’Euro ! »
Ce mercredi soir, certains habitants mettent en avant le tissu associatif et la diversité de la population présents dans la ville. Amel, elle, prône un discours rassembleur. Elle rappelle que Saint-Denis est une ville de lutte qui a une histoire. « Il faut agir ensemble, se rassembler et ne pas leur permettre de nous désunir », clame-t-elle au micro. Et de rajouter : « Nous aussi on a un 49.3, c’est l’Euro 2016 dont une partie va se dérouler à Saint-Denis, au Stade de France ! »
Amel estime que les Nuits Debout sont le symbole de la convergence de toutes les luttes sociales et qu’il est important de rester soudé pour pouvoir faire plier le gouvernement sur la loi Travail. « On essaye de nous diviser sur des questions de religion pour qu’on ne parle pas des problèmes sociaux. A Saint-Denis, des habitants ne sont toujours pas relogés [Ndlr : après l’assaut du RAID le 18 novembre], les habitants sont discriminés, stigmatisés », conclut-elle.
« Deux visions de la vie »
Quant à Jérôme, l’enseignant, il indique avoir réalisé quelques vidéos, publiées sur Internet, pour contredire des informations publiées dans l’article « Molenbeek-sur-Seine ». Il explique également réfléchir à des idées d’actions comme organiser des rassemblements devant les locaux du Figaro, mettre en place une pétition contre l’article ou proposer un jumelage avec la commune belge de Molenbeek.


Cette nouvelle Nuit Debout à Saint-Denis, quant à elle, se poursuivra sur le parvis de la Basilique. Les Dionysiens se succèderont pour prendre la parole devant la foule, au milieu du son de quelques guitares et tam-tams joués par des hommes. Radio Debout, qui officie généralement à République, était également présente pour réaliser une émission après cet article polémique qui a agité les Dionysiens.
Ironie du sort, à l’image du débat politique et médiatique actuel, le magazine du Monde affichait au même moment, le weekend dernier, une Une qui semblait répondre au dossier du Figaro Magazine comme l’ont souligné certains internautes. « Deux visions de la vie », a commenté sobrement Mathieu Deslandes de Rue89 sur Twitter.
Texte : Kozi Pastakia / Photos : Analia Cid.

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