Un homme se tient le dos, l’air de se tordre de douleur. Il me fixe en criant « Emergency ? Emergency ? » Je comprends qu’il demande l’entrée des urgences. Et lui confirme qu’il est au bon endroit. Derrière la vitre, une trentaine de personnes attendent leur tour.

Coincée entre la sortie de l’autoroute A1 et la cité Romain-Rolland à Saint-Denis, l’entrée n’est pas aisée à deviner, seulement accessible via le petit chemin du Moulin Basset. Au bout, un large drap blanc recouvre une grille. Dessus, le message suivant y est floqué : « Buzyn, viens faire les soins ! »

Nous sommes devant l’entrée des urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis. Ici, la grande majorité du personnel est en grève depuis le 6 juin dernier. Il s’agit de brancardiers, d’infirmiers et d’aides-soignants en majorité. Vigile depuis un an à l’hôpital, Moussa* assure, un paquet de chips à la main : « Malgré la grève, on prend tout le monde ! ». Pour le personnel de la fonction publique hospitalière, faire grève ne se passe pas comme ailleurs. Ici, on a l’obligation de continuité de service. En clair, cela veut dire que, malgré la grève, les urgences restent assurées. Une infirmière croisée devant l’entrée confirme, la clope au bec : « On nous a fait signer une feuille, disant qu’on est en grève mais qu’on travaille quand même. Du coup, on fait le service minimum ! »

Les annonces du gouvernement ? « De la poudre de perlimpinpin »

C’est dans le parking que deux autres infirmiers sont sortis prendre leur pause quelques instants. Lorsque on s’approche, l’un d’eux, tatouage sur le bras,  refuse d’abord de nous parler. Sa collègue de droite observe la scène. Puis pénètre dans l’hôpital. L’homme finit par se livrer. « J’ai plus de 25 ans de service derrière moi, explique-t-il. Ici, les problèmes sont surtout humains ! ». L’infirmier dénonce le manque d’effectifs et la surcharge de travail. « Le matin, on peut se taper entre 75 et 90 personnes avec un seul infirmier à l’accueil. Du coup, les gens viennent, s’enregistrent et patientent des heures durant…».

Si on divise les 70 millions par le nombre d’hôpitaux, il ne reste plus grand-chose

Lorsqu’on lui parle du déblocage de 70 millions d’euros promis par la ministre de la santé Agnès Buzyn, il fait de l’esprit, s’indigne en empruntant une expression macronienne : « C’est de la poudre de perlimpinpin ! » Pour lui, « l’annonce des 70 millions d’euros  peut paraître importante pour le citoyen lambda, qui entend ce chiffre à la radio, mais si on divise cette somme par tous les hôpitaux, il ne reste pas grand-chose ! ». Il est vrai qu’au regard des 82 milliards de budget pour 2019, 70 millions ne représentent que 0,08% d’enveloppe supplémentaire. L’hôpital Delafontaine fait partie des 121 services d’urgences en grève d’après les chiffres du collectif Inter-urgences.

Les causes sont multiples mais la question des moyens revient en boucle. Pour Mirella, puéricultrice syndiquée à la CFDT, il y a d’abord un questionnement sur ce que valent les annonces de la ministre. Tant que les décrets ne sont pas publiés, l’augmentation de salaire de 100 euros mensuels n’est qu’un effet d’annonce. Côté matériel, les problèmes sont également criants. Constance*, une autre infirmière de « Delaf », donne un exemple : « Il n’y a qu’un appareil de dextro (un test de glycémie naturelle, ndlr) pour tout le service d’urgence et ce n’est pas normal ! »

Dans le 93, une concentration de problèmes aux urgences

Un camion de sapeurs-pompiers s’arrête devant l’entrée des urgences. L’une des deux portes arrière est ouverte. Nous nous approchons. À l’intérieur, un pompier, la vingtaine, veut bien donner son avis sur la grève à condition qu’on ne cite pas son nom. « Je suis d’accord avec eux, pose-t-il d’emblée. Il faut même les soutenir parce que vous voyez, ici, les patients ont plein de problèmes. Delafontaine, c’est la dernière porte ouverte pour tous les gens qui ne savent plus où aller ! »

Ici, les urgentistes parlent d’un taux de gréviste qui avoisinerait les 80%. Et ce dans toutes les parties du service : urgences psychiatriques, pédiatriques et générales. Mirella, la puéricultrice, évoque « la particularité de Saint-Denis : la précarité ». Paupérisation des patients, accumulation de pathologies, problèmes de logement et d’accès à l’hygiène…

Accompagné de sa perfusion et vêtu de la tenue bleu marine qu’on donne aux patients,  Sylvain a 41 ans et vit à la rue depuis un an. Il dit être venu aux urgences parce qu’ils n’avait plus où aller. La grève, pour lui, c’est une bonne chose parce que les infirmiers doivent être plus nombreux. Mais il tient à ajouter : «  Ceux qui sont là sont très gentils et accueillants ! »

En sortant, on recroise Mirella qui pointe du doigt l’augmentation significative du nombre de patients et les moyens alloués qui, eux, ne décollent pas. Elle finit par lâcher, à la fois fière et désabusée : « Quand vous avez travaillé ici, vous pouvez travailler n’importe où ! »

Mohamed ERRAMI

*Les prénoms ont été modifiés.

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