De retour à l’hôtel, je retrouve Serge et Paolo qui se réveillent. Cafés, croissants et chocolat chaud dans un bistrot du coin. Serge me laisse le vélo (harnaché de deux très solides cadenas) et une précieuse liste de contacts. Bondy à bicyclette, c’est pratique mais limite kamikaze. Tiens, c’est peut-être pour cela que je ne vois pas d’autres cyclistes… Vais-je me faire piquer le deux-roues ou me faire renverser ? Inch’ Allah comme on dit ici. Mes deux camarades sont partis. Ciao les gars!

Me voilà bien seule, dans cet hôtel, mais pas pour longtemps. Il y a du monde agglutiné autour de Malika, la gentille réceptionniste. Des Africaines qui ne semblent rien attendre de précis. Elles habitent à l’hôtel en attendant d’obtenir un logement. Une quarantaine de familles sont dans cette situation m’explique Malika qui essaie de leur donner un coup de main, en relançant les services sociaux lorsque l’argent manque en milieu de mois, pour payer la chambre. « J’ai l’impressionne d’être assistante sociale et psychologue », me glisse Malika. Elle me désigne un micro-ondes et des chaises vers le coin petit-déjeuner. « Les réceptionnistes et veilleurs, nous nous sommes battus pour que le patron installe ce coin pour les familles qui habitent ici à l’année. » La jeune femme vient de Reims, cela fait trois ans qu’elle travaille à l’hôtel Eden. Elle est choquée que de nombreuses familles doivent s’entasser dans une chambre en attentant un appartement. « Certains sont là depuis deux ans! »

Une Africaine est appuyée à la réception. Elle semble désespérée, son visage est défait. Je glisse un timide: « Ca va? » Pas de réponse. Cette femme, je l’ai déjà vue ce matin alors que j’attendais le prof bourguignon. Elle était dans le hall de l’hôtel, à 6h45, en pyjama, les pieds glissés dans des mules roses. Elle cherchait un veilleur qui venait de partir, paraissait navrée de l’avoir raté. Puis je l’ai vue redescendre plusieurs fois dans le hall. Elle paraissait agitée. Je lui demande: « Vous êtes fatiguée? ». Elle me regarde et secoue la tête tristement. J’insiste: « Alors malade? ». Malika lui explique: « Apparemment ton assistante sociale est au bureau, mais elle ne veut pas me parler. Les assistantes sociales, c’est à la tête du client. Celle-là je lui mène la vie dure pour qu’elle t’aide! ».

Une autre femme glisse: « Dieu te le rendra Malika, tout ce que tu fais pour nous ». Marie-Jeanne – c’est le prénom de cette habitante de l’hôtel – n’a plus de quoi payer la chambre pour cette nuit et la fonctionnaire qui s’occupe de son cas n’a pas le temps de s’occuper d’elle. « Qu’ est-ce que je vais faire? Je ne sais plus quoi faire. Je suis fatiguée. Je n’en peux plus de pleurer. Je suis fatiguée de craquer, glisse-t-elle à la réceptioniste. Et ma fille, où elle va dormir cette nuit? « . Je ne peux pas assister à tout cela sans rien faire. Je prends Malika à part et lui demande, pour ce soir, de mettre le prix de la chambre sur le compte de l’Hebdo.

Comment Marie-Jeanne en est-elle arrivée là? Elle accepte de me parler. Nous nous installons derrière la réception, vers le four à micro-ondes. Son histoire est celle de nombreuses femmes victimes de la violence d’un compagnon qui boit. Marie-Jeanne est arrivée du Congo en 1990, comme réfugiée politique. Elle obtient des papiers en 1992, finit une formation d’auxiliaire de vie, travaille, rencontre son compagnon en 1993. Sa fille naît deux ans plus tard. La petite famille habite à Paris, dans le 18ème. Le père de son enfant boit parfois. Un jour, une discussion finit mal. Il lui arrache un bout de l’oreille avec les dents (Marie-Jeanne me montre son oreille droite qui est sectionnée), et la mord profondément à l’épaule gauche. La jeune femme prend sa fillette de trois ans sous le bras et s’enfuit de la maison. D’hôtels en hôtels c’est la galère. Elle travaille de temps en temps comme femme de chambre. Sans situation fixe, elle n’obtient pas d’appartement. Et son compagnon? « Une connaissance congolaise m’a dit qu’elle l’avait vu à Genève. Je n’ai pas de nouvelles de lui. Il se fait appeler Tumba Kalongji. Dites-lui de m’aider si vous le pouvez ». Maire-Jeanne touche le RMI, 517 euros. « Je les donne d’un coup à l’hôtel, comme cela je suis tranquille jusqu’au milieu du mois. Après, je dois demander à Malika de téléphoner à l’assistante sociale. »

Marie-Jeanne raconte toutes les fois où l’assistante sociale n’a pas pu la recevoir. « J’ai été la voir mercredi, mais elle m’a dit qu’il y avait des cas urgents. J’ai attendu. Elle m’a donné un numéro de téléphone pour un hôtel moins cher à Saint-Ouen. Mais là-bas, ils ne veulent pas d’enfants. Elle m’a dit: « Essaye de négocier! J’y suis allée. A la réception, le monsieur m’a dit: « Désolé, pas d’enfants ici! J’ai retéléphoné à l’assistante sociale. Les bureaux étaient fermés. Par chance, je l’ai croisée dans le RER. Elle m’a dit: « Venez me voir demain, mais le lendemain, elle n’a pas pu me recevoir! Je ne sais plus quoi faire. Je suis fatiguée. » Marie-Jeanne n’a plus la force de pleurer. Elle accepte de me montrer l’endroit où elle vit.

Nous montons au deuxième où sont logés les « résidants permanents ». Sa chambre fait 4 mètres sur 3. Dans un coin, un immense sac plein d’habits et une grosse valise noire. Sur l’armoire, des paquets de chips, un pot de mayonnaise, du lait condensé, un pot de Nutella, du pain de mie coupé en tranches et quelques bouteilles de limonade. C’est toute sa richesse. Pour manger, elle a reçu sept chèques de 7,5 euros. « J’ai tenu un mois avec ça. J’ai fais très attention. » Elle reçoit parfois des Africaines pour leur tresser les cheveux. L’argent ainsi gagné lui permet de manger. Durant la semaine, sa fille de dix ans est dans un foyer prévu pour les enfants dont les parents ne peuvent s’occuper car ils travaillent. « Je paie deux euros par jour. Je vais la rechercher pour le week-end. Lorsque je la vois, elle me dit: « Courage, courage maman! Elle m’apporte la tranquillité. » Marie-Jeanne me montre les lettres que sa fille a écrites à l’assistante sociale pour lui demander de l’aide, pour raconter sa souffrance de petite fille séparée de sa mère: « Cela fait six ans que maman et moi on attend un appartement et maintenant on est séparées et je pleure chaque fois. AIDEZ NOUS!!! ». Marie-Jeanne fond en larmes en relisant ces mots. Je suis dans mes petits souliers. Son rêve est bien modeste: trouver un travail dans un EMS et un appartement.

« Si j’étais toute seule, je me suiciderais parce que je suis fatiguée, fatiguée, tellement fatiguée de cette situation. C’est pour ma fille que je tiens. Mais je ne sais pas comment faire. » Je referme doucement la porte de la chambre. Malika me promet d’essayer de faire quelque chose pour elle dès lundi.

Par Sabine Pirolt

Sabine Pirolt

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