Depuis la victoire contestée d’Ali Bongo Ondimba à la présidentielle du Gabon le 27 août dernier ( 49,80% des suffrages contre 48,23% pour l’opposant Jean Ping), le pays a sombré dans une violence majeure. Une crise politique post-electorale sans précédent qui laisse présager le pire pour les Gabonais vivant en France.

« J’ai de l’inquiétude pour ma maman, j’espère que rien ne lui arrivera. Mes amis là-bas, ça fait une semaine qu’ils sont calfeutrés dans leurs maisons. Les forces de l’ordre tirent dans tous les sens ». Rick enseignant en économie-gestion en Seine-Saint-Denis depuis 8 ans, s’alarme de la situation dans son pays d’origine. Sur place, il n’a plus que sa maman et quelques cousins. Depuis le début des émeutes, comme tous les Gabonais, il guette la moindre nouvelle sur les réseaux sociaux. Après de nombreuses coupures d’électricité ces derniers jours, les communications téléphoniques ont été très fortement perturbées. Il reçoit des informations essentiellement de la part de ses amis cadres ou d’anciens camarades de l’université. Fils d’un ex-député gabonais proche de la famille Bongo, il immigre en France il y a plus de 20 ans. « Je n’ai jamais cautionné le système de corruption de la famille Bongo auquel appartenait mon père et dont j’ai bénéficié un temps, raconte-t-il. Après mon départ en France, mon père voulait que je rentre pour faire de la politique, j’ai refusé et ça a froissé nos relations pendant des années ».

Répression et interpellations arbitraires

Depuis l’annonce de la proclamation de la victoire d’Ali Bongo, les quartiers de la capitale Libreville sont secoués par une contestation populaire réprimée dans le sang. Tous les jours, les mauvaises nouvelles affluent. « Ce matin, un ami a appris la mort de son cousin porté disparu depuis 3 jours. Il a été retrouvé dans les égouts criblé de balles ». Rick craint que les victimes se multiplient après que la cour constitutionnelle validera les résultats de l’élection. Depuis le scrutin, officiellement, au moins 6 personnes ont été tuées et plus d’un millier d’autres arrêtées.

Brice, 30 ans, conseiller en image à Paris est aussi le fils d’un ex-homme politique gabonais. Sa belle-mère et ses 3 frères, ressortissants, français sont restés vivre au Gabon. Dimanche dernier, deux de ses frères ont été interpellés par les forces de l’ordre alors qu’ils sortaient faire des courses. Incarcérés pendant 4 jours, ils ont été libérés hier en début d’après-midi. « Ce jour-là, l’armée a embarqué de manière aléatoire femmes, enfants, jeunes et vieillards. Ils étaient innocents. Mes frères sont innocents. Ils ont subi des violences physiques abominables », raconte-t-il sans vouloir rentrer plus dans les détails. Pour Brice, les médias français minimisent les violences et le nombre de morts sur place. « Ping déplore 100 morts mais selon les échos, il y en a bien plus que ça, peut-être plus du double ».

Depuis le décès de Bongo père, les Gabonais attendent le changement, l’alternative politique qui transformera leur quotidien et fera cesser le système de corruption qui structure la société gabonaise depuis plus de 40 ans. Aujourd’hui, le mouvement citoyen qui manifeste pacifiquement et sans armes réclame transparence, justice et dignité. « Pendant que le peuple crève de faim, M. Bongo organise un festival à coup de milliards, un concours international de jetski auquel aucun Africain ne participe », s’indigne Brice. Au Gabon, il y a 150 élèves par classe de la 6ème à la Terminale pendant que les hauts fonctionnaires dorment dans des hôtels de luxe à 800 euros la nuitée ».

Non redistribution des richesses

Pour Brice, la non redistribution des richesses est le problème numéro 1 des Gabonais. « Nous souhaitons jouir des richesses de notre pays sur lesquelles nous n’avons aucune prise puisqu’elles ne bénéficient qu’à des clans élitistes ! Les gens là-bas sont démunis, ils ne mangent pas à leur faim et n’ont pas de travail. Vous savez la famille Bongo, c’est le folklore, le malheur, le vice et la soumission, ça fait 50 ans qu’ils sont au pouvoir, c’est malsain ».

Le ras-le bol de la population ne date pas d’hier. Les évènements tragiques qui agitent le Gabon font écho aux émeutes survenues en 2009 après la prise de pouvoir d’Ali Bongo. Mais pour Rick, cette fois-ci, la situation est dramatique. Parce que, dit-il, « le peuple a mûri, il préfère mourir que de rester silencieux ». 

A Paris, Rick et Brice participent activement aux manifestations et aux rassemblements organisés en soutien au peuple gabonais sans n’appartenir ni à un parti ni à aucun mouvement politique. Brice appelle à la mobilisation pour « éveiller les consciences en France et dans le monde entier« . « Quand on est en France, renchérit Rick, on se sent lâche. On voit des compatriotes mourir là bas à travers nos écrans de télé alors on manifeste ici pour attirer l’attention de la France et soutenir les gens sur place ». Le jour du vote, Rick et ses amis gabonais ont constitué un comité anti-fraude devant l’ambassade du Gabon à Paris pour surveiller le dépouillement. »Nous sommes restés sur place jusqu’à 6 heures du matin, il y avait plein de CRS. Malheureusement, il n’y a pas eu de surveillance dans la province natale d’Ali Bongo, la région où il aurait soit-disant obtenu 95% des voix alors qu’en réalité, il n’en a recueilli que 60%. Et aujourd’hui, il ne veut pas recompter les voix, alors que tout le monde le réclame ».

Pour les deux opposants, la France a sa part de responsabilité dans la crise actuelle. Désabusé, Brice fustige les intérêts de la France. « La France a la mainmise économique sur le Gabon, donc elle tolère ce braquage électoral mais on ne peut pas tolérer ça quand on est un pays démocratique! ». Quant à Rick, il blâme « cette France-Afrique qui tire les ficelles de la marionnette Bongo ». Dans quelques jours, avec plusieurs autres militants gabonais, Rick ira faire un sit-in au QG de Nicolas Sarkozy à Paris, le premier à féliciter la victoire du président mal aimé en 2009.

Myriam BOUKHOBZA

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