Messieurs,
J’ai très attentivement regardé l’émission politique de BFMTV, BFM Politique, diffusée dimanche 28 février au soir et dont l’invité principal était Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste. À 19h11, cette émission proposait son habituel « Face-à-face » un débat qui opposait cette fois-ci Jean-Christophe Cambadélis à Eric Zemmour. Sur son compte Twitter, l’émission en a fait la promotion en annonçant en un « face-à-face » exceptionnel ; la chaîne avait donc conscience de la particularité de ce débat. À plusieurs reprises durant cette séquence, Eric Zemmour a eu, sur les musulmans, l’islam, les banlieues, la Seine-Saint-Denis, les migrants, des propos érigés en vérités absolues. Voici certaines de ces déclarations :
« Dans les écoles françaises de la Seine-Saint-Denis, il n’y a plus un seul enfant juif ».
« Il y a des dizaines de banlieues françaises qui ne sont plus françaises, où l’on ne vit plus à la française, où le Coran a remplacé le Code civil, où il est imposé ».
« Dans tous les quartiers où j’ai grandi (…) que ça soit à Montreuil, que ça soit à Drancy, que ça soit a Pierrefitte, que ça soit dans le 18e arrondissement de Paris, voilà tous les quartiers où j’ai grandi, le grand remplacement qui paraît-il est tabou, non seulement ce n’est pas un mythe, non seulement ce n’est pas une propagande, mais c’est une réalité. Dans tous les quartiers où j’ai grandi, c’est fini : il n’y a plus que des gens qui n’étaient pas français il y a encore 30 ans. Il n’y a plus un français de souche ».
« L’islam n’est compatible ni avec la République ni avec la France ».
« On n’arrête pas des envahisseurs avec des bonnes paroles ».
« La majorité sociologique, elle est à 60, 70 % derrière mes idées, pour aller vite, les idées que j’ai défendues ce soir ».
Ces propos engagent évidemment la responsabilité individuelle d’Eric Zemmour mais ils engagent aussi, et peut-être, surtout, la responsabilité éditoriale et journalistique de BFMTV. Votre chaîne, en tant que diffuseur de ce programme, qui plus est à une heure de grande écoute, se doit de maitriser les propos qui se tiennent sur son antenne. Une obligation générale telle que définie par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). « L’éditeur est responsable de ce qu’il diffuse et doit se porter garant des propos tenus à l’antenne », écrit le CSA.
Or, à aucun moment, les journalistes présents en plateau n’ont demandé à Eric Zemmour d’apporter des précisions, des exemples concrets, des chiffres sur ces déclarations. À aucun moment, Eric Zemmour n’est interrompu pour ses propos faits de généralités stigmatisantes. À aucun moment, Eric Zemmour n’est reproché de verser dans des exagérations outrancières. À aucun moment, surtout, les questions simples de vérification ne lui ont été posées, comme par exemple :
– Vous affirmez « que dans les écoles françaises de la Seine-Saint-Denis, il n’y a plus un seul enfant juif ». De quelles sources disposez-vous pour affirmer cela ? Comment pouvez-vous affirmer cela dans la mesure où les statistiques ethniques et religieuses sont interdites en France ? Avez-vous parlé à l’ensemble des familles des élèves des écoles de Seine-Saint-Denis ?
– Vous affirmez qu’« il y a des dizaines de banlieues françaises qui ne sont plus françaises, où l’on ne vit plus à la française, où le Coran a remplacé le Code civil, où il est imposé ». Pouvez-vous nous donner un exemple concret d’une de ces banlieues où le Coran aurait remplacé le Code civil comme vous l’affirmez ? Dans quelle situation précisément ?
– Vous parlez de « français de souche ». Il faut remonter jusqu’à quelle génération pour qu’un Français soit considéré comme « de souche » ?
– Si l’on suit ce que vous dîtes, il n’y a donc plus aucun Français, non issu de l’immigration récente, à Drancy, Montreuil, Pierrefitte-sur-Seine, et dans le 18e arrondissement de Paris ? (Je suis sûre qu’un des journalistes en plateau avait un exemple concret à citer de sa propre expérience pour contredire cette contre-vérité évidente).
Un débat signifie-t-il que les journalistes en plateau s’effacent au point de ne pas demander des précisions, des sources, aux invités, lorsqu’elles sont nécessaires ? Un débat signifie-t-il que l’on puisse laisser dire tout et n’importe quoi sous prétexte d’une confrontation d’idées ? Sous prétexte de la présence d’un contradicteur, peu importe son efficacité dans cet exercice, vos animateurs doivent-ils oublier qu’ils sont avant tout journaliste et qu’ils sont là pour rétablir les faits, questionner, demander des chiffres, des sources, lorsque des affirmations sont érigées en vérités absolues et dirigées vers une seule catégorie de personnes ? Il est inconcevable de réduire ce type d’exercice à une simple confrontation, où les journalistes seraient eux-mêmes réduits à des maîtres du temps de parole sans maitrise des propos tenus par leurs invités. Ou alors, retirons les journalistes de l’antenne et laissons un simple chronomètre faire le travail !
Pour le CSA, la responsabilité des médias comme le vôtre est très claire : « Lorsque des propos contraires à la déontologie sont tenus lors d’une émission en direct, l’animateur doit intervenir rapidement, en interrompant le locuteur ou en condamnant ses propos ». Plus qu’une injonction du CSA, ce doit être une éthique, une discipline de chaque instant pour tous les médias sans exception.
« Il y a des millions de personnes qui vivent en France sans vouloir vivre à la française. Les musulmans ont leur propre code civil : le Coran. Ils vivent entre eux, dans les périphéries. Les Français ont été obligés d’en partir ». Ces propos, messieurs, auraient pu être tenus sur BFMTV. Ils sont d’ailleurs très proches de ceux prononcés par Eric Zemmour dimanche soir sur votre antenne. Ils sont aussi signés Eric Zemmour dans un entretien accordé le 30 octobre 2014 au quotidien italien Corriere della Sera. Pour ces propos, Eric Zemmour a été condamné en première instance par le tribunal correctionnel de Paris, en décembre 2015. Pour provocation à la haine envers les musulmans.
Nassira El Moaddem, journaliste.

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