Souligner les dysfonctionnements, les tensions, l’isolement de la ville périphérique contemporaine est souvent de mise lorsque l’on tente de caractériser ce territoire. Cependant, et même s’il semble que ces remarques soient mentionnées à juste titre, une dimension fondamentale reste souvent occultée dans ce discours : la banlieue est aussi le territoire du possible.

La ville est une matière vivante qui mute, se développe, se contracte, s’étend, se disloque… Lorsqu’elle n’évolue plus, elle se consume. Celle-ci doit donc en permanence jouer de temporalités multiples ; son héritage, son état actuel et son avenir, représentant la porte entrouverte qui garantit son renouvellement et sa prospérité. La dématérialisation des formes commerciales et de services, la raréfaction des énergies fossiles, l’expansion des communications, les nouveaux moyens de transport, la prise en compte des coûts environnementaux du développement humain sont autant de facteurs de mutation qui feront que nous ne vivrons pas la ville demain comme aujourd’hui.

En mettant en perspective ces bouleversements programmés, la banlieue ne représente-t-elle pas aussi la solution ? N’est-elle pas cette porte entrouverte qui permettrait la régénération de l’agglomération alors que les potentiels des centres restent à relativiser dû à leur saturation? Le territoire périphérique plus disponible, plus élastique mais aussi plus jeune, ne serait-il pas mieux à même de supporter les évolutions qui s’imposeront à la ville? Ne pouvant qu’entrevoir les répercutions à venir, un élément de réflexion semble s’imposer : la banlieue ne pourra s’adapter si elle perdure à travers le modèle qui l’a vu naître.

Plutôt que de voir la ville muter au rythme des problèmes et difficultés qui s’imposent à elle, ceux-ci sont repoussés en périphérie, formant la banlieue sur le principe d’une fuite en avant. Deux formes d’exclusions peuvent être distinguées comme moteur du gonflement des périphéries. D’une part, une exclusion volontaire d’une population tentant d’échapper aux nuisances et aux effets de proximité du centre-ville tout en espérant rester en connexion avec ce dernier. D’autre part, une exclusion subie contraignant certains habitants à s’éloigner du centre dans lequel les logements sont devenus trop rares et trop coûteux.

Progressivement, ces mouvements ont provoqué les dysfonctionnements connus à l’heure actuelle (étalement urbain, isolement, manque de mixité fonctionnelle et sociale). On constate donc que ces deux phénomènes résultent d’une même cause : l’incapacité d’avoir pu transformer et mieux vivre la ville, tant au niveau de son cadre et de son environnement qu’au niveau de son accessibilité aux logements et aux emplois.

Mieux vivre la ville, c’est bien là le défi fondamental lancé aux urbanistes. Au regard des évolutions passées, les potentialités de transformation, d’absorption, de requalification d’une ville qui se reconstruit sans cesse sur elle-même semblent être une réponse efficace aux bouleversements à venir. C’est dans ce contexte que le territoire de la banlieue peut se retourner sur lui-même, en offrant de nouvelles formes et pratiques urbaines. Ce grand chantier du possible sera sans doute l’occasion de voir émerger une ville moins dépendante de l’automobile, une ville plus fluide, une ville plus mixte…

Considérer ce territoire comme support de nouvelles utopies urbaines mérite de le placer au centre des préoccupations d’aménagements et non relégué comme espace secondaire, suivant les tendances et évolutions de l’hyper-centre. Prévoir les potentialités stratégiques de la banlieue, c’est dès aujourd’hui le considérer comme prioritaire.

Cette inversion de regard entre centre et périphérie paraît entrer un tant soit peu en résonance avec une démarche politique et urbaine qui évolue lentement. Ainsi, la consultation publique sur le Grand Paris représente sans doute un gage d’évolution, posant les bases d’une nouvelle vision considérant la ville avant tout comme agglomération. Je me permettrai de conclure cet article en introduisant dans cette réflexion ma propre situation d’étudiant en architecture et urbanisme. Prendre pour objet d’étude une ville de périphérie comme une source d’enjeux urbains, économiques et sociaux des plus déterminants contredit l’idée que la banlieue serait un territoire dépourvu d’intérêts. Ce témoignage prend comme exemple le groupe d’étude auquel j’appartiens, ayant pour objectif d’émettre des projets urbains fictifs sur la ville de Bondy.

Mais plus généralement, c’est l’ensemble de l’enseignement dispensé au sein d’une école d’architecture parisienne (Paris Val-de-Seine) qui se focalise majoritairement sur les questions que pose la périphérie. Loin de moi l’idée de vouloir surestimer le pouvoir et les répercussions à court terme de cette prise en considération, il n’en demeure pas moins qu’elle participe ou participera, à son échelle, à regarder la banlieue selon une attention renouvelée.

Antoine Serralunga

Photo : Canal de l’Ourcq et Nationale 3 à Bondy.

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Antoine Serralunga

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