Je m’envoie un godet sur Paris, en compagnie d’un pote tunisien. Bien sûr, comme tout le monde sur cette terre, il adore raconter sa vie. Elle est aussi passionnante pour moi que de la neige fondue pour un Inuit. Des fois, j’en ai vraiment marre des gens, amis compris, leur vie= zizi. Les gens, ils croient trop que leur life, ça tient les autres en haleine comme 24 heures Chrono. Du flan !

Nos vie à nous le peuple, ça pue. Faut plus les raconter dans le métro devant tout le monde, lisez plutôt des bouquins. Je m’en fous ce que t’as mangé à midi, madame, c’est pas très intéressant. A nous entendre parler de nos soucis, on dirait, il y a un générique de fin et c’est écrit « directed by Aaron Spelling » quand on ferme les yeux le soir avant de dormir (Aaron Spelling: grand producteur de séries américaines, dont les monuments « Starsky et Hutch » et « Beverly Hills ».)

Dieu merci, soudain, dans la parlote de ce fils de Carthage, coup de théâtre ! En digne descendant d’Hannibal, mon pote franchit les sommets alpins de la nullité oratoire, pour venir me surprendre telle une charge de cavaliers numides dans le dos des légions romaine, à la bataille de Cannes en -216 av JC. (Mesdames, n’épousez jamais un historien. C’est de la migraine en boîte.)

Il me lance sans coup de semonce: « Idir faut que je te dise… je suis homosexuel. Voilà fallait que tu le saches. » C’est fou ce qu’ils peuvent raconter, les gens, pour que je m’intéresse à eux. La France, c’est quand même spécial. Au Québec – où j’ai séjourné cinq mois en 2007, rappelons-le – tu dis à ton pote que t’es gay, il te répond : « Et alors ? Moi je suis blond. » Mais, ici, non, faut en faire tout un pataquès.

En plus, à Bondy, un homosexuel, c’est pas forcément un homme qui aime les hommes. Dans le jargon local, ça peut tout aussi bien être un mec qui ne voit pas beaucoup de filles, qui met du déodorant et se lave tous les jours, se préserve pour le mariage parce qu’il est moche, ou qui ne fait rien quand il a une meuf dans son lit. Autant dire la moitié de la ville. Mais lui, c’est un métèque, il n’est pas bondynois. Alors, un brin taquin, je hausse les épaules et je lui réponds : « Pourquoi tu me dis ça ? Tu kiffes sur moi ou quoi, coquin ? »

Bon, je dis pas. Au collège j’aurais sûrement fait « Ahhhh !! Caca boudin !! » et je lui aurais ensuite jeter des pierres en visant la tête. Mais là, maintenant que je suis grand, qu’est ce que ça change à ma vie qu’il soit gay ? C’est à la mode, en plus, les gays, je crois, non ? C’est comme les Arabes et les Noirs à la TV et à la radio en ce moment.

Après, Dieu, il sera pas trop content de lui, ça c’est signé. Mais hein ? Est ce qu’il est content de moi, déjà, Dieu ? Hein ? « Eh ben, Gégé, bon sang, tu fous quoi, là ? Tu te sors les doigts du cul ou merde ? Tu sers plus tes bons clients ? T’es devenu musulman ? Mon verre, c’est le désert du Néguev, allez, envoie-moi ça vite ! Un demi pour moi et mon pote ! Ce soir, je trompe ma femme. Ça se fête, c’est ma tournée ! Hop hop, laisse donc la bouteille où elle est, voyou ! » Je vous rappelle que mon ami a décidé de faire son coming-out dans un troquet tout miteux, dont seul j’ai le secret.

« Idir, tu gardes ca pour toi ? » Tiens, fume, c’est du belge ! Mes amis, ils ont gardé le secret quand Virginie B m’as mis un gros râteau en titane Leroy Merlin au lycée ? Ou ils l’ont répété dans tout Bondy jusqu’à appeler chez moi pour le dire à ma mère ? Maintenant, même au bled, on me vanne ma race bien comme il faut à cause de ça.

« Je dirai rien. Parce que tout le monde s’en bat le coquillard que tu sois homo. C’est la crise ! On a d’autres soucis. Sinon est-ce que tu t’es déjà dis : Idir, il est trop bonne, et tu as fermé les yeux très fort en pensant à moi ? » Je dis ça sur un ton léger mais à Bondy, je suis pas encore tout à fait sûr qu’un couple gay puisse aller boire une pinte main dans la main. Passons, la conversation continue, mais j’ai pas trop suivi parce qu’un moment, il a prononcé ces mots bizarres, vides de toutes logiques : « Je vais tout dire à ma mère ce soir. » Il est gay, mais je tiens quand même à lui : « Ah ! Bah ! Bah ! Bah ! Ne fais surtout pas ça ! »

Il lui reste deux années avant de finir médecine, il vit chez ses parents en attendant. Mon conseil tient en un calcul simple. Un fils homo dans une famille musulmane lambda, faut encore une ou deux générations pour que ça puisse être digéré, soyons honnête. Mais vu la haute estime portée aux professions médicales dans les cœurs jaloux des blédards : un fils médecin + il est Homo, les effets s’annulent, sa famille lui fera un prix de gros et ça passera plutôt bien au final. Un calcul simple, je vous dis ! ( J’ai eu 2 en maths au bac la première fois pour rappel.)

Lui, comme il a eu 17, sa réaction à mon plan de crétin, ça donne ça : « Mais tu dis n’importe quoi ! Sois sérieux une minute pour une fois ! Ma mère elle comprendra ! Elle est instruite, on a une relation très fusionnelle ! – Ben ouais ! C’est pour ça que t’es gay. – Pfff… De toute façon, finit-il par dire, nous les Tunisiens, on est plus ouverts. Vous êtes arriérés, vous, les Kabyles des montagnes. » Je la sentais venir gros comme une maison, celle-là. Faut savoir : on mange du sanglier ou on est arriérés ?

Eh bien vas-y ! Qu’il aille dire à ses parents et à sa grand-mère du bled qu’il est gay. Pour ma part, mission accomplie, je l’ai prévenu. Maintenant, je prends du pop corn, je me mets dans un coin et j’attends tranquillement la fin du film, comme au cinéma. Meskine (le pauvre), il va douiller bien comme il faut. Des parents rebeus, t’en as vu deux, tu les a tous vus.

Quelques jours plus tard, je le revois. Je lui demande, en glissant dans la foulée qu’il me doit un grec avec la boisson, comment sa mère a réagi : « Elle m’a craché dessus. Je vis chez des potes depuis. T’avais raison. » Moche. Comme il est un peu abattu, je tente de lui remonter le moral, à la bondynoise : « Tu vas pas pleurer quand même, fais pas ton homosexuel. Euh, désolé, façon de parler. »

Bon, ça ne c’est pas passé hier, je ne suis pas salaud au point d’étaler la vie de mes potes le lendemain sur Internet. Aujourd’hui, il est médecin et rabiboché avec ses vieux. Il fait la fierté de ses parents, sauf qu’ils font semblant d’ignorer qu’il dort le soir avec Robert… Ah oui, parfois, c’est pas très facile, la vie des Arabes.

Idir Hocini

Ci-contre : pendaison de deux adolescents homosexuels en juillet 2005 en Iran. Neuf pays condamnent l’homosexualité à la peine capitale : Iran, Arabie Saoudite, Afghanistan, Mauritanie, Soudan, Nigeria, Yémen, Pakistan, Emirats Arabes Unis. En Algérie, au Maroc et en Tunisie, l’homosexualité est punie de trois ans de prison par la loi.

Idir Hocini

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