Ici « on sauve les gens de la rue ». Le gardien est sûr de lui. La soixantaine, le crâne dégarni, petite moustache, les lunettes collées sur les yeux. Et pourtant il les ferme sur les appartements de son immeuble laissés aux mains de marchands de sommeil. Saint-Denis, à quelques pas de la gare, un immeuble comme les autres ou presque, mais dès la porte d’entrée passée, une froide odeur de moisie souhaite la bienvenue. L’immeuble est d’un calme angoissant. À gauche, les boites aux lettres rafistolées et dépareillées se succèdent. Beaucoup de noms à consonance étrangère. À droite des escaliers usés, grinçants donnent accès aux étages et au fond, une cour sans enfants d’où l’on entend les rats jouer sur un tas de déchet qui jonche le sol.
Au troisième étage, une famille sri lankaise ouvre sa porte. Les parents étant partis travailler, je suis accueilli par les enfants, trois garçons et une fille. C’est l’ainé Rajive âgé de 16 ans qui m’invite à entrer et me fait la courte visite de leur foyer : un petit salon cuisine, une chambre remplie par les lits et les affaires des uns et des autres et une salle de bain/wc. La fille, âgée de douze ans joue avec ses petits frères dans la chambre et rien ne semble les déranger ici. Sans doute une forme de normalité ou d’insouciance les ont convaincus ou peut-être ils sont trop jeunes pour se rendre compte de l’état dans lequel ils vivent.
L’humidité a pris ses quartiers dans toutes les pièces. Dans la salle de bain, la moisissure fait office de papier peint, le lavabo fuit et inonde régulièrement le sol. Et pourtant toutes les fenêtres sont ouvertes pour d’assainir cet appartement.
« Nous, on ne fait pas dans le social ! »
A l’étage au dessus, une mère d’une quarantaine d’années sort sur le pas de sa porte. Elle ne souhaite pas me laisser entrer, son mari est absent, mais m’invite à parler au gardien. Non surpris de ma présence, cet intendant de fortune me surveille déjà depuis un petit moment. « T’as rien à faire ici » me lance-t-il. Après une phase d’intimidation, je comprends en fait qu’il est le relai entre les propriétaires et les locataires. Il voit tout et sait tout. « C’est déjà un luxe d’avoir un toit sur sa tête. Régulièrement on me demande s’il n’y a rien de vacant à louer. Et les mairies pourquoi ne relogent-elles pas ces gens ? Nous, on ne fait pas dans le social, on est dans la vie, la vrai, la dure ! ».
Même décor à quelques kilomètres de là, à Pierrefitte-sur-Seine. Non loin de la rue de Paris, un immeuble de cinq étages, gris avec une grande et lourde porte fait le bonheur des marchands de sommeil. Ici les boites aux lettres sont à même le sol. Au bout de l’entrée, à côté des escaliers, un nuage de mouche danse au-dessus des poubelles entassées près d’un mur noirci par un départ d’incendie. Les marches de l’escalier centenaire manquent de s’effriter sous les pas. Au 2e, Asma ouvre la porte et m’invite à boire le thé. D’origine algérienne, comme son mari qui travaille dans le bâtiment, parents de cinq enfants dont un en bas âge, ils habitent ici depuis cinq ans. Plusieurs fois Asma a vu le feu démarrer dans cet immeuble en ruine.
Un ballet de gens vient régulièrement prendre des photos ou faire état des lieux avec des promesses de relogements, de rénovations. Pour l’heure, une odeur pestilentielle semblable à celle des égouts émane des différents siphons de la salle de bain et de la cuisine où elle y verse de l’eau de javel pour contrer l’odeur et brule sans cesse de l’encens. « On vit dans la débrouille, on n’a pas le choix, on subit. Nous dépensons de l’argent pour rafistoler cet appartement afin d’obtenir un minimum de confort et améliorer le cadre de vie des enfants ».
Son chez elle, reste très chaleureux malgré les trous dans les murs et le plafond de la cuisine qui s’effrite est doublé d’une bâche. C’est grâce à son mari dit-elle, qui fait des travaux pour cacher la misère aux enfants. Très soucieuse, elle craint pour ses enfants, « les accidents domestiques existent et ça n’arrive pas qu’aux autres ».
Un peu plus à l’est, à Stains, le décor n’est pas mieux. « Ici, l’hiver on dort avec des bonnets et des gants, on entend siffler le vent par les fenêtres qui n’ont pas d’isolation, pas de radiateurs, pas de chauffage, rien, vous vivez avec rien, » dit Ozgur, la trentaine, habitant d’un appartement à proximité du quartier du Globe. Il ajoute « J’ai déjà loué une cave pour y vivre. Se loger, s’abriter, avoir un toit où dormir n’est pas un droit ni un devoir, mais un business alors que pour certain s’est une nécessité, une urgence. La menace d’être dans la rue pèse sur nos têtes, du coup certains en jouent, en profitent et en usent parfois. Moi je peux recevoir personne chez moi, j’ai honte des conditions dans lesquelles je vis. J’ai honte de moi. »
Samir Benguennouna

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