« Tu viens faire un foot au stade avec des feujs ? – Ah ouais, on va les niquer ! – Ah non, Malik, c’est pas possible, ce seront des équipes mixtes. – Oui, mais ça sert à quoi de faire ça ? – En fait, c’est pour rassembler les peuples, et si tu vois que le soleil est au rendez-vous, c’est que la paix est la voie à suivre. – Ok, on verra. » 14 heures, le soleil est au rendez vous ce dimanche 15 mars. Il brille de tous ses rayons au-dessus du stade Jules Ladoumègue de la Porte de Pantin, dans le 19e arrondissement de Paris, où se tient un tournoi de foot « intercommunautaire ».

Six équipes, chacune de neuf joueurs, âgés de 9 à 13 ans, sont constituées par Jocelyn Boisdur, le président du FC Antillais du 19e, dont les consignes sont : « Dans ce tournoi pour le mieux vivre ensemble, on vous demande d’être fair-play. » Sept enfants de confession juive pour une quarantaine de jeunes noirs, maghrébins, asiatiques. Peu d’enfants juifs ? Oui, mais en temps normal, les juifs ne sont jamais de la partie. Depuis la seconde Intifada du début des années 2000 – et la guerre à Gaza en décembre et janvier dernier n’a rien arrangé –, ils jouent au foot entre eux. C’est « plus simple » pour tout le monde… Mais là, on n’a voulu sortir de la spirale du simple. « Le foot a le don de rassembler les hommes, on se sent en famille parce que dans le sport, on ne parle pas de politique. » Ça, c’est Djazzard Fathi, l’entraîneur de l’ASPB, B pour Bagnolet, qui le pense et le dit haut et fort.

Ce tournoi, c’est encore un coup de nos deux compères Joyce et Khadiatou, coachs de l’association Rassemblement des mères du 19e, rejointes dans cette initiative par Jocelyn Boisdur, que les jeunes footeux écoutent sans oser faire un bruit. Six équipes sont donc sur le terrain : « AS pourquoi pas nous », « ASG Bagnolet », deux équipes des « Antillais Paris 19e », « Solitaires Paris 19e » et « Olympique Football club de Pantin ».

Jugurtha, 12 ans, trouve la démarche intéressante. « C’est bien de nous rapprocher. Moi, je suis pour. » Jugurtha affirme que, « de toutes façons, il y a du racisme dans les deux sens ». Joseph, 11 ans, David, 13 ans, sont venus avec leur père et cinq autres enfants juifs pour participer à ce tournoi amical. Bien qu’ils se disent très pratiquants, ils refusent de s’enfermer dans un ghetto, « sinon autant aller vivre en Israël. Ce sport peut nous permettre de rencontrer et apprendre à connaître des gens que l’on côtoie tous les jours sans vraiment les connaître ».

Oui, mais une question me taraude. Pourquoi la majeure partie des familles juives du 19e scolarisent-elles leurs enfants dans des écoles juives. La « laïque », c’est plus pratique pour créer des liens, non ? Eh bien c’est simple, la religion d’abord, les copains après. « L’instruction religieuse ne se fait que dans nos écoles, on doit la transmettre à nos enfants. C’est plutôt le non respect d’autrui qui est responsable de tous les problèmes dans notre société. »

Didier Alone, le père de David, aurait bien voulu inscrire son fils dans le club de foot local « Espérance arabe », sauf qu’il y a entraînement le vendredi soir aussi. Or au même moment, c’est shabbat. « Ça nous obligerait à conduire nos enfants au stade en voiture, chose interdite par le shabbat. Nous avons fait un choix religieux, donc nous vivons on fonction de cela, quitte à nous priver de certains plaisirs. »

L’« AS, pourquoi pas nous » sera la seule équipe du tournoi vraiment mixte. Malik « le petit Arabe », ainsi que d’autres non juifs, sont invités à rejoindre l’équipe de David. Malik est un nerveux qui craint le qu’en dira-t-on ? « Je veux pas jouer avec eux, on va se faire taper 20/0 La vie d’ma mère, les gars du quartier, ils vont me voir jouer avec des feujs, ils vont me traiter ! » Un petit coup de panique vite oublié, l’appel du ballon est trop fort. Malik intègre son équipe, joue et marque un but ! Ce qui lui vaut les félicitations de son team, et notamment de Didier, père d’un des joueurs juifs : « C’est la plus belle chose de voir Malik qui ne voulait pas jouer avec nous et qui de sa propre bouche a sorti : On est tous des êtres humains. » Jusqu’ici tout va bien.

Quelques matchs et éliminations plus tard, il fait toujours aussi bon vivre au stade Jules Ladoumègue. L’heure des récompenses approche. Les quatre coupes pour les équipes gagnantes et un bon d’achat chez Go Sport de 15 euros sont distribués à tous les participants autour d’un généreux goûter. Cette première semble être une vraie réussite, si l’on exclut les sautes d’humeurs de Malik notre teen-ager.

Est ce dû à la surprenante clémence de la météo ? Sent-on poindre une volonté de vivre ensemble sans avoir à se cacher ou à se justifier des « différences » ? Jocelyn, Khadiatou et Joyce sont ravis de la réussite de cette journée, et ils ne vont pas s’arrêter là. Ils prévoient de rééditer ce type de tournoi, avec une présence massive des parents. Hier, on a fait fondre la glace, la prochaine fois, on fera griller les merguez.

Nadia Méhouri

Photo du milieu : au centre, Jocelyn Boisdur et Joyce Malay-Ayach

« C’est le buuut ! »


Juifs, Arabes et noirs sur le même terrain
envoyé par Bondy_Blog

Vidéo réalisée par Chou Sin

Nadia Méhouri

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