Avertissement : cet article comporte des récits de violences sexistes et sexuelles. Si vous en avez été victime, vous pouvez contacter le 3919. 

Le 16 septembre 2022, Tiffany 27 ans, annonce à son conjoint qu’elle souhaite le quitter. Un conjoint qui la bat régulièrement, la violente psychologiquement et lui confisque ses documents d’identité et ses moyens de paiement pour l’empêcher de partir. Mère de trois enfants, Tiffany vit alors avec son compagnon et ses garçons dans une résidence du Grau du Roi, dans le département du Gard.

Au retour de l’école ce jour-là, éclate un énième épisode de violences conjugales. Kassim deux ans, le cadet, tente d’intervenir pour défendre sa mère. L’enfant meurt percuté par le véhicule de son ex-beau-père.

Le conducteur quitte les lieux dans la foulée. Il se rendra le lendemain à la gendarmerie. Depuis, il est incarcéré en détention provisoire dans l’attente de son jugement. L’homme plaide l’accident. Mais pour Tiffany, qui assure lui avoir répété que Kassim était là au moment où elle subissait les coups de son bourreau, cette version ne tient pas. Huit mois après le drame, elle accepte de témoigner pour le Bondy Blog. Interview.

Pouvez-vous revenir sur le déroulement des événements de cette journée du 16 septembre 2022 ?

Le matin du drame, j’annonce à mon ex-conjoint que je veux le quitter par SMS. Ce n’était pas la première fois que je voulais mettre un terme à notre relation, car il était violent. Il faut savoir que depuis quelque temps, il conservait mes papiers d’identité et ma carte bleue dans la boîte à gant de sa voiture, un moyen de m’empêcher de partir.

Lorsqu’il rentre au domicile le midi, je fais comme si de rien n’était. Mais j’ai un objectif :  récupérer mes papiers et ma carte bleue. Vers 17 heures, après avoir été chercher mes deux aînés à l’école, je reste en bas de la résidence avec mes trois enfants qui font de la trottinette.

Il fait une brusque marche arrière, la porte passager ouverte percute violemment Kassim

Lorsqu’il descend, je lui demande de me rendre mes papiers à l’intérieur de son véhicule, il refuse. Une nouvelle dispute éclate. Il rentre dans sa voiture pour partir, j’ouvre la porte côté passager pour me saisir de mes documents dans la boîte à gants. Là, il m’attrape, me tire à l’intérieur et me frappe. Alerté par les cris, Kassim arrive de mon côté. Je crie à mon ex d’arrêter de me frapper, car Kassim est là.

Il fait une brusque marche arrière, la porte passager ouverte percute violemment Kassim, qui décédera sur place. Il repart en marche avant, je le supplie de s’arrêter, il me répond : « Si tu veux revoir tes enfants, tu n’as qu’à sauter en marche ». J’arrive finalement à descendre du véhicule. Mes deux aînés sont en larmes à côté de leur petit frère. Je comprends immédiatement. Mon ex aperçoit Kassim au sol, et s’enfuit. Il disparaît pendant 24 heures. C’est seulement le lendemain qu’il se présente au commissariat.

Quelle relation entreteniez-vous avec votre ex-conjoint ?

Nous étions ensemble depuis environ un an. De mon côté, je suis déjà maman de trois garçons, Kiyan Mohamed 7 ans, Ibrahim 4 ans et Kassim qui avait deux ans. Dès le début de notre relation, il y a des violences physiques et verbales. Il me coupe de mes relations sociales. Il est excessivement jaloux des relations cordiales que je continuais d’entretenir avec le père de Kassim. Il est très violent, y compris devant mes enfants devant lesquels il m’a notamment menacée avec un couteau.

À chaque fois, il me fait du chantage au suicide, me dit qu’il va changer

À plusieurs reprises, après des violentes disputes, je lui fais part de ma volonté de le quitter. Mais à chaque fois, il me fait du chantage au suicide, me dit qu’il va changer… Je reviens, il se calme pendant quelques jours puis les violences reprennent.

Comment se déroulent les heures et les jours qui suivent le drame ?

Je suis sous le choc, je dois faire ma déposition à la gendarmerie, mais tout n’est pas clair. Je pleure tellement je n’arrive même pas à relire ma déposition. Puis, il faut organiser les obsèques. Les jours passent, le manque se fait ressentir. Kassim était mon petit dernier, il n’allait pas encore à l’école, il était toujours avec moi. Je dois déménager dans l’urgence, car l’appartement était loué par mon ex et qu’il m’était impossible de rester sur les lieux du drame. Nous avons donc changé de ville.

Aujourd’hui, j’attends que justice soit faite. Même s’il est en détention provisoire, j’ai toujours peur qu’il sorte. Il plaide l’accident, dit ne pas avoir vu Kassim, mais pourquoi s’est-il enfuit après l’avoir percuté. Pourquoi est-il parti pendant 24 heures ? Je ne me sentirai jamais plus en sécurité.

Aujourd’hui, comment vont vos deux autres enfants ?

Mes enfants sont traumatisés. Mon aîné, Kiyan Mohamned, se replie sur lui-même et s’enferme dans des jeux vidéos. Mon cadet, Ibrahim, est devenu violent à la maison. Parfois, il me dit « je vais mourir comme Kassim. » J’ai enfin obtenu la prise en charge du suivi psychologique pour nous trois après des mois d’errance. Pour moi, les institutions nous ont laissé tomber. Aucun soutien psychologique ne nous a été apporté.

N’attendez pas qu’il soit trop tard ! Un homme qui frappe une fois recommencera

Je leur demande chaque jour pardon. Pardon de ne pas être partie plus tôt, pardon pour la mort de leur frère. Ils me disent que ce n’est pas ma faute, mais j’ai ce sentiment de culpabilité qui me ronge.

Vous avez créé l’association “À la mémoire de Kassim”, afin de venir en aide aux femmes victimes de violences conjugales. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette association a notamment vocation à aider les femmes victimes de violences conjugales. Les aider administrativement à partir du domicile. C’est souvent très compliqué, car elles sont seules. C’est aussi les écouter, les inviter à parler de leur situation. Généralement, on ne parle pas de cette violence, on a honte. On cache cette situation à nos proches. Pour ma part, si j’avais parlé à ma famille, ils m’auraient aidée. Le but est aussi de leur dire « n’attendez pas qu’il soit trop tard ! Un homme qui frappe une fois recommencera ».

Mon fils Kassim est mort en héros, il a essayé de défendre sa maman. Je n’ai pas réussi à sauver mon fils, mais peut-être qu’en sensibilisant des femmes, en les aidant à partir, je sauverai d’autres enfants.

Propos recueillis par Céline Beaury

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