A l’image des journalistes parisiens qui se paient le grand frisson de la traversée du périph et débarquent en banlieue pour des reportages-choc, nous avons décidé d’envoyer des bloggers de banlieue couvrir la vie des Parisiens et des nantis en général. Cette chronique est la première d’une série que l’on pourrait intituler « Le Monde selon Kamel ». Prochain épisode: Neuilly.

Je suis à 30 minutes de Bondy, par RER et métro direct entre Saint-Lazare et Alma-Marceau. En sortant de la station, je remonte l’avenue Montaigne. A droite, devant la boutique Prada, j’essaie de parler à deux femmes qui sortent du magasin. Mais des gardes du corps s’interposent. Les femmes entrent dans des limousines et disparaissent. Les gardes du corps refusent de dire d’où sont originaires leurs patronnes.

Un peu plus tard, au même endroit, je croise un jeune couple qui porte pas mal de sacs Dior et autres. Ils sont d’accord de répondre à mes questions. Ils sont Marocains de Casablanca. Ils disent qu’ils travaillent dur toute l’année alors que là, ils se font une semaine de détente à Paris. Ils sont dans le consulting. Je leur demande s’ils auraient envie d’aider les jeunes Marocains de banlieue qui ont eu moins de chance qu’eux. « Pour nous cela a été dur. On se lève tous les jours à 7 heures. Les jeunes en France, il faut d’abord qu’ils se mettent à travailler ».

Plus loin, toujours sur le même trottoir, nous tombons sur Richard Garrucho, le responsable de la sécurité de Louis Vuitton.  Il accepte de répondre à mes questions. Mais selon lui, il n’y a aucun problème à l’avenue Montaigne. Le niveau de sécurité est très élevé, et que de toute façon le poste de police est à 200 mètres. Il dit que les jeunes de banlieue issus de l’immigration sont autorisés à entrer dans le magasin pour regarder les produits, et que cela arrive parfois. Il ne pense pas qu’il y ait des possibilités d’emploi pour les jeunes comme de porter les sacs des clients, parce que les magasins organisent cela eux-mêmes. Il m’invite quand même à revenir déposer mon CV.

Ensuite, je me suis placé devant chez Dior en espérant pouvoir poser des questions à des clients qui sortaient. Mais personne n’a accepté. C’est là que j’ai compris que dans ce quartier, si t’as pas de sacs, t’es pas dans le mouvement.

Il y avait une dame avec des sacs et deux chiens qui avaient des perles sur leur collier en cuir. Je lui ai demandé si elle avait une minute pour une interview. Elle a dit « Oh non, vraiment pas », mais après, elle est restée longtemps devant la vitrine Prada. D’autres dames qui prenaient leur temps m’ont dit: « Je suis très pressée » ou encore « je n’ai vraiment pas le temps ».

Devant le café L’Avenue, j’ai remarqué une BMW garée juste sur le passage piéton. Il y avait une Rolls-Royce devant et les piétons devaient se faufiler entre les deux ou alors faire le tour. J’ai fait des signes à la dame, elle a baissé sa vitre. Je lui ai dit que je venais de banlieue, du 93, et que je faisais un reportage sur la vie des Parisiens. Je lui ai demandé si, à Paris, c’était autorisé de se garer sur un passage piéton, ou si c’était une habitude. « Non, l’habitude, c’est que le voiturier soit en retard », elle a dit avant de remonter sa vitre.

Je me suis dit que la France, c’est beau pour les yeux. Il y en a qui peuvent, et d’autres qui peuvent pas. Il y a ceux qui jouent le match sur la pelouse, et ceux qui regardent. Je commençais à avoir mal à la tête, d’avoir vu trop de riches.

C’est là que je remarque un groupe de photographe devant l’hôtel Plazza Athénée. Je me dis que ce sont des paparazzi et je vais leur demander quelle star ils sont en train de suivre. Philippe, le chef du groupe me dit qu’il n’est pas là pour ça, qu’il est là pour prendre des photos des belles voitures et qu’il y en a beaucoup Avenue Montaigne. Devant lui, il y avait une (autre) Rolls-Royce, une Ferrari 360 F1, une Lexus, etc. Il a dix ou quinze mille clichés à la maison. Il préfèrent quand les voitures sont vides, pour pas avoir d’ennuis avec les propriétaires. Il fait aussi des détails, les rétroviseurs, les phares, les ailerons, etc. On peut voir ses photos sur internet? « Non, parce que je passe des jours entiers dans le froid pour faire des photos, j’ai pas envie que des petits jeunes me les prennent gratuit pour les mettre sur leur blog. »

C’est comme je vous disais, il y a ceux qui jouent le match et ceux qui le regarde. Philippe, en plus, il le photographie.

Kamel El-Houari, envoyé spécial à Paris

Kamel El Houari

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