Au parc des expositions du Bourget, une petite foule attend de pénétrer dans « le salon de l’islam » (comme il est parfois surnommé). Les 3000 visiteurs de 1993, c’est de l’histoire ancienne. Jeudi, l’UOIF se préparait à accueillir, sur quatre jours, 140 000 personnes. A l’intérieur du hall 1, c’est une véritable caverne d’Ali baba de l’islam-business, avec des tonnes de tissus, de livres sacrés et d’agences commerciales islamiques nouvelle génération (« envoyez SADAKA au 8 26 26 pour la construction d‘une mosquée »). Sans parler des livres venus tout droit d’Arabie Saoudite dans la librairie de Iqra, une télé saoudienne où défilent parfois des propos antisémites ou misogynes (« la femme prend moins de temps à réfléchir, voilà pourquoi contrairement à l’homme, elle agit avant de réfléchir »).

Mais derrière l’organisation de la manifestation, parfaite, avec navettes près de la gare RER ou hôtels à proximité pour loger les provinciaux, l’UOIF reste une des associations les plus critiquées. Notre enquête débute dans ce bâtiment en préfabriqué, le « point presse », où l’on nous assure que « tous les journalistes sont les bienvenus, que ce soit Charlie Hebdo (qui avait publié les caricatures danoises du prophète Mahomet, ndrl), Marianne ou la télévision tunisienne ». On demande à rencontrer un officiel de l’association. Se pointe un membre du bureau, responsable à la jeunesse, Abdelwahab Bakli.

Jugée proche de la mouvance des Frères musulmans à cause de la reprise de leur slogan « Le Coran est notre constitution », l’UOIF programme souvent des intervenants polémiques à ses conférences lors de son salon. En effet, Hani Ramadan est invité pratiquement tous les ans au Bourget. Cette année, il tient une conférence pour parler du « modèle universel de la famille en islam ». Faut-il préciser que ce dernier est un défenseur de la lapidation des femmes (« la lapidation constitue une punition, mais aussi une forme de purification », comme il l’avait écrit dans une tribune libre du journal Le Monde, le 10 Septembre 2002 ?

Mais cette année encore, la programmation compte beaucoup sur la venue de son frère, célèbre tout à la fois pour ses coups médiatiques et pour son discours souvent jugé ambigu. « Frère Tariq », comme il est souvent surnommé. « Un intégriste musulman », pour Mohammed Sifaoui, lui-même musulman, « laïque et démocrate », journaliste et auteur de plusieurs livres sur l’intégrisme islamiste (Bakli dit « ne pas le connaître », alors que son association, par la voix son vice-président Fouad Alaoui, avait déjà publié un communiqué haineux à l’encontre de ce journaliste).

Mais il n’y pas que Tariq Ramadan qui semble avoir un double discours, l’UOIF aussi. Ahmed Jaballah, « un des cinq cofondateurs » de l’association, l’a même avoué il y a quelques années, en des termes plutôt choquants : « L’UOIF est une fusée à deux étages. Le premier étage est démocratique, le second mettra en orbite une société islamique. » Mais à l’évocation de cette « fusée à deux étages » qui pourrait s‘avérer dangereuse, le représentant rencontré nie en bloc : « Ahmed Jaballah a peut-être dit ça mais ce n’est pas notre vision, c’est faux ! » Alors, dans cette même organisation, qui faut-il croire, le discours d’un des fondateurs ou celui d’un simple représentant et peut-être « moderniste » ?

L’UOIF, moderne ou pas ? Telle est la question. Certains estiment que l’idéologie de l’organisation est douteuse, d’autant plus qu’elle a intégré le Conseil européen de la recherche et de la fatwa. Un conseil avec à sa tête un des tenants d’un islam radical en Europe, le cheikh égyptien Youssouf Al Qardawi, réputé pour ses prêches enflammés sur la chaîne Al Jazzera. Cela va des propos homophobes, en disant des homosexuels que ce sont « des êtres nocifs qui conduisent à la perte de l’humanité », jusqu’aux propos opposés à une laïcité qui viendrait des musulmans : « Ceux, parmi les musulmans, qui militent pour un état laïc sont athées, ils ont rejeté l’islam. Accepter des lois autres que celles de la charia n’est que pure apostasie. » Surtout que selon lui, « l’apostasie doit être punie de mort ! ».

Mais ce n’est pas tout, les fatwas votées lors de ce conseil, « qui ne sont que des avis qu’émettent des savants qualifiés », sont carrément irrespectueuses envers « le droit des femmes », notamment. On recommande de frapper les femmes « avec la main, sans fouet ni morceau de bois, et en épargnant le visage ». Des fatwas, disponibles en ouvrages à cette rencontre annuelle du Bourget. Autre exemple, on interdit les termes d’« attentats suicides », mieux vaut, d’après ce conseil composé aussi d’Ahmed Jaballah ou Faysal Malawi (un Libanais qui passe pour être dans son pays la tête de l’organisation islamiste Jamaa Islamiya). On leur préférera ceux de « gestes de martyrs ». D’un naturel intrigant, Abdoulwahab Bakli lâche : « Chacun défend sa terre à sa manière. »

Malgré tout cela, l’UOIF se refuse à ce qu’on la catalogue comme « organisation fondamentaliste », estimant que « les médias aiment bien les casser ». L’organisation admet malgré tout des « problèmes de communication » et affirme qu’elle a du travail à faire en ce domaine. Mais il n’est surtout pas question pour les membres de l’UOIF de remettre en cause leur pensée. Quant à Nicolas Sarkozy, qui fut critiqué pour leur avoir donné assez de place et d’importance dans le CFCM, ils pensent « qu’il a échoué » en voulant les inclure dans ce conseil « afin qu'[ils] soient moins revendicateurs ».

Le 8 juin prochain, ils présenteront un candidat à la présidence du Conseil français du culte musulman, tenue depuis deux mandats par Dalil Boubakeur, de la Mosquée de Paris. L’UOIF, avec 40 mosquées et plus de 300 associations, est peut-être la plus importante organisation de musulmans en France. Mais de là à être la plus représentative !

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

Mehdi et Badroudine

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