Clarisse Luiz est community manager de profession. À côté, cette jeune femme de 25 ans participe au podcast Hot Line sur Spotify. Une émission dans laquelle on parle entre femmes de sexualité et de problématiques féminines.

Depuis plus de trois ans, elle organise aussi des Bringues. Des soirées en non-mixité qui permettent aux femmes de faire la fête entre elles.  Ces espaces sont préservés des comportements oppressifs des hommes qui ont trop souvent cours dans le monde de la nuit. Interview.

Clarisse Luiz ©IlanaCaël

Comment le concept de Bringue vous est-il venu à l’esprit ?

Initialement, je voulais aller au showcase d’un artiste, mais aucune copine n’était disponible. J’ai posté un tweet pour demander qui était intéressé et plusieurs filles ont répondu à ma sollicitation. Au total, j’ai réuni 10 d’entre elles et on s’est amusées entre filles. À la fin de la soirée, je me suis dit que ce serait génial d’organiser des soirées en non-mixité et d’avoir un espace entier à notre disposition.

Le 8 mars 2019, journée internationale des droits des femmes, on a organisé notre première bringue dans un bar LGBTQI+ à Châtelet. On était cinquante, l’événement était complet et les places se sont vendues très rapidement. Dès la deuxième bringue, on est montées à 280 personnes !

Comment expliquer un tel engouement ?

L’engouement s’est créé sur Twitter, j’ai la chance d’avoir beaucoup d’abonnés. Rapidement, des Bringues ont commencé à avoir lieu à Lille, Lyon, Marseille. Ça prouve qu’il y a une demande d’espaces réservés aux femmes. Ce n’est pas moi qui organise ces bringues, mais d’autres filles qui me contactent car elles veulent reprendre l’initiative.

Pour organiser une bringue, les filles doivent trouver un lieu sympa, un DJ et un photographe. Moi, je m’occupe uniquement de la communication et de relayer l’événement. Les filles veulent avant tout passer une bonne soirée en sécurité sans qu’on ne vienne nuire à leur intégrité physique ou morale. En soirée, des hommes peuvent mettre du GHB, la drogue du violeur, dans nos verres.

C’est triste qu’on soit obligées d’en arriver là pour se sentir en sécurité

Je vois aussi des filles témoigner sur les réseaux sociaux, elles assurent avoir été victimes de piqûres à l’aide de seringues. (Pour l’instant, personne ne sait ce qu’il y a dans ces seringues. Mais l’on sait que c’est dangereux et que si plusieurs personnes sont piquées avec la même seringue, des infections peuvent se transmettre, Ndlr).

Je suis hyper contente que des filles viennent s’amuser à la Bringue dans un espace safe. Mais franchement, c’est triste qu’on soit obligées d’en arriver là pour se sentir en sécurité.

Pensez-vous que les gérants de boîtes de nuit ont suffisamment conscience des violences sexistes et sexuelles qui se produisent dans leurs locaux ?

Honnêtement, non. Il faut former les gérants de clubs de nuit ainsi que le personnel de sécurité à réagir correctement lorsqu’il y a des violences sexuelles envers les femmes.

Un jour, une fille m’a raconté qu’un homme ivre lui a touché les fesses sans son consentement dans une boîte de nuit. Elle est partie se plaindre au vigile, il lui a répondu : « Si on vire tous les mecs ivres, il n’y aura plus personne ».

Peut-être que le monde de l’événementiel ou de la nuit n’est pas apte ou prêt à accueillir des femmes ?

Dans l’événementiel, je n’ai jamais parlé à une femme. J’ai toujours fait face à des hommes que ce soit les gérants de lieux ou les promoteurs de soirées. Un jour, j’ai même échangé avec un homme qui était surpris de voir que j’étais une femme, pourtant j’organise des soirées qui leur sont réservées.

Comment trouves-tu des lieux pour organiser les Bringues ? Est-ce que les gérants de bar ou boite de nuit acceptent de recevoir une clientèle uniquement féminine ?

Dans le bar où on a organisé la première Bringue, le patron était sensible aux problématiques féministes. Jamais on ne m’a refusé l’accès. En revanche, les boîtes de nuit refusent souvent. Les patrons avancent que leur modèle économique n’est pas conçu pour ce type d’événements.

La critique que je reçois constamment de la part de ces hommes est :« Oui, les soirées réservées aux femmes, c’est bien sur le papier, mais qui paye l’alcool ? » Bah, nous-mêmes ! On est en 2022, les femmes ont pratiquement toutes un revenu en France. On peut se payer de l’alcool. Beaucoup de patrons de bars sont étonnés lorsqu’ils font les comptes de la soirée. On consomme énormément.

J’ai vu que la P3-Paris organise également des soirées en non-mixité pour les femmes queer et racisées, est ce que tu connais le concept ?

Oui, on m’a parlé de la P3, mais je n’y suis jamais allée. J’aimerais beaucoup travailler en collaboration avec elles. Organiser une soirée la Bringue x la P3. Encore une fois, c’est une initiative à saluer. Elles ont créé leur propre concept et espace où se réunir. Il y a incontestablement une dimension politique et féministe.

Sur Twitter, tu as reçu des vagues de harcèlements à cause de la Bringue, comment tu l’as vécu ?

Oui, je prends des vagues de cyberharcèlement à cause de la Bringue. Plus généralement, je me fais harceler quand je parle publiquement de sexualité, on m’insulte de pute ou autres… Aujourd’hui, dès qu’une femme dispose librement de son corps, on l’insulte. Finalement, j’ai désactivé mon compte Twitter pour préserver ma santé mentale.

Propos recueillis par Yvana Tchalla

Crédit Photo Ilana Cael

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