Vendredi 18 mars, le bailleur social LOGIREP a été condamné pour discrimination raciale. Il devra verser une amende de 25.000 euros de dommages intérêts à La Maison des Potes, SOS Racisme et Frédérique Tiebouyou. Voici le quasi-épilogue d’un feuilleton d’une dizaine d’années.

Un cri de joie étouffé, retentit à la cour de Versailles à l’annonce du verdict. L’avocat général et Samuel Thomas (président de La Maison des Potes) sont au parloir, le juge vient de prononcer le jugement contre le bailleur social LOGIREP, qui gère près de 30 000 logements sociaux en Île-de-France. Cette société, déjà condamnée par le tribunal de Nanterre, il y a deux ans, à verser 20 000 euros d’amendes pour fichage ethnique. LOGIREP est cette fois-ci condamnée pour discrimination raciale à l’encontre de Frédérique Tiebouyou, cet agent de la RATP qui, en 2005, s’était vu refuser un logement social sous prétexte qu’il était noir. Le bailleur social devra verser 25 000 euros d’amendes pour discrimination, 5 000 euros de dommages et intérêts au demandeur du logement partie civile au côté des associations SOS racisme-Touche pas à mon Pote et La Maison des Potes, qui ont respectivement obtenu 5.000 et 2.000 euros.

« Donner de l’espoir aux victimes de discriminations »

Devant la Cour d’appel, les membres de l’association La Maison des Potes lisent et relisent le jugement. Samuel Thomas, accroché à son téléphone, annonce la nouvelle à Frédérique Tiebouyou. « [Il] était absent lors du verdict car il n’y croyait pas » confie Samuel Thomas, « sa première réaction a été de remercier La Maison des Potes pour son soutien ». Reprenant les mots de l’avocat général, il déclare que ce jugement prouve que « la justice peut être aux côtés d’un humble noir » et de souligner la valeur symbolique de ce jugement. Car, comme il le précise, il s’agit là seulement du « deuxième cas de condamnation requise contre une société dans le cadre d’un procès en discrimination visant personne physique, cela va donner de l’espoir et réveiller quelques victimes et témoins d’actes de discriminations et les pousser à aller devant les tribunaux ».

« Il s’agit de sa conception de la mixité sociale »

Au travers de ce jugement, le tribunal considère que les propos tenus par la conseillère clientèle de LOGIREP (justifiant le refus d’attribution du logement social à Frédérique Tiebouyou en ces termes : « Sur cette tour en particulier, Tour Ouessant, à Nanterre, il y a déjà beaucoup de personnes d’origine africaine et antillaise, si vous aviez été sur une tour où il y avait trop de Maghrébins, on ne vous aurait pas accepté si vous aviez été Maghrébin ») reflètent la politique mise en place par la société LOGIREP. La justice s’appuyant notamment sur les propos (entretien paru dans le Parisien) où Danièle Figère, responsable du service client de Nanterre, déclarait : « Il faut dire les choses telles qu’elles sont : les personnes d’origine africaine y sont en surnombre ». Allant même plus loin : « Il est inutile d’y faire rentrer une famille, sachant très bien qu’elle ne correspond pas aux gens que nous recherchons pour rééquilibrer le quartier ». Des propos que la justice a donc mis en lien directement avec les propos tenus par Sofia Ramoun. Cette dernière ne s’exprimait donc pas personnellement, mais représentait l’avis de la société. Une interprétation que contestent les responsables, dont le directeur général de Logirep, Christian Giuganti. Eux disent « regretter cette décision » et « étudier la possibilité de former un pourvoi en cassation » martelant qu’il s’agit là uniquement « d’une interprétation de la loi sur la mixité sociale venant d’un salarié de la société et ne représentant aucunement le point de vue de la société LOGIREP ».

Changer l’interprétation de la loi sur la mixité sociale

Cette « victoire éclatante » selon Samuel Thomas est aussi l’occasion de lancer un appel celui du « travail d’introspection de tous ceux qui interprètent la loi sur la mixité sociale comme le fait de faire du dosage d’immigrés ». Et de rappeler la longue lutte menée par son association La Maison des Potes pour faire bouger les esprits.

Rappelons qu’en 2006, lors d’une perquisition menée au siège de la LOGIREP, à Suresnes, les enquêteurs avaient découvert des fichiers Excel (des tableaux) qui font une distinction entre les locataires considérés comme Français sans plus, les locataires issus des DOM-TOM (Guadeloupe, Martinique, Réunion) ou les locataires d’origine africaine. Ajoutées aux colonnes mentionnant le prénom, le nom et la nationalité des locataires, on retrouve un quatrième espace qui précise leurs origines et/ou leur département (« 0001 » pour Français, « Al » pour Algérie, « Ma » pour Maroc, « Re » pour Réunion… Etc.). Une pratique illégale depuis le 21 janvier 1997, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés autorisant uniquement la mention de la nationalité et du lieu de naissance (commune). Une colonne qui permet de répertorier les locataires selon leurs origines. Fait encore plus surprenant : la distinction opérée entre les Français nés en métropole et ceux nés dans les départements d’outre-mer. Sur le tableau, on peut lire la mention du département d’outre-mer, alors que pour les Français nés en métropole aucune mention du département de naissance n’apparaît.

Dans les dossiers saisis par les enquêteurs il existe également un fichage de tous les candidats à l’offre locative en fonction de leur couleur de peau. Pour un blanc, par exemple, né à la Réunion, on ne précisera pas le département de naissance, on mettra seulement « France », tandis que pour un noir né à la Réunion la mention « France » sera remplacée par « Réunion ».

Un ensemble de preuves qui, jusqu’à aujourd’hui, n’avaient pas suffi à la justice pour condamner la société LOGIREP pour discrimination. En attendant le pourvoi en cassation.

Affaire à suivre donc…

Ahmed Slama

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