Je m’appelle Dilgo Marvick et ce qui me définit le mieux, c’est ma hantise de voir les hommes s’approcher de Clémentine comme l’autre fois chez IKEA, quand le vendeur que j’imaginais d’origine suédoise était près du lit avec elle. Bien sûr, si je me raisonne, je sais qu’ils n’avaient tous deux en tête que les propriétés de la chambre à coucher en démonstration pour laquelle nous étions là. Malgré tout je n’ai pas pu m’empêcher de penser que Clémentine, qui ne m’avait pas adressé la parole depuis notre réveil, alors que nous étions déjà dix heures du matin, aurait préféré avoir dans son lit ce vendeur à l’allure suédoise qui me plaisait beaucoup, qui était un genre de type que j’étais persuadé d’avoir déjà vu dans une production pornographique scandinave et qui me paraissait avoir de bien meilleures proportions pour le corps de Clémentine, un physique mieux adapté.

Et puis, être vendeur chez IKEA c’était déjà quelque chose, une situation stable, que ma hantise comparaît aussitôt à la mienne, instable, puisque je vivais difficilement d’un salaire de gardien dans une galerie commerciale et que mes ambitions d’écrire au Bondy Blog ne débouchaient que sur la frustration de voir Alexis, Idrissa ou Tchang réussir beaucoup mieux que moi.

Il faut dire que depuis un certain temps j’irritais beaucoup Clémentine, et ce dédain qu’elle me faisait sentir ne s’arrangeait pas avec l’immensité du magasin où je me trouvais pour acheter une chambre à coucher à Félicité, la petite fille dont j’étais persuadé qu’elle est en réalité la fille d’un brillant professeur de littérature à Berlin. C’est-à-dire pas ma fille en réalité. Ma fille seulement déclarée, présumée aux yeux de l’administration française mais pas la mienne dans le cœur sexuel de Clémentine.

IKEA est trop grand pour moi, trop beau, trop puissant, je me sens vraiment perdu, je ne suis plus qu’une fourmi. La froideur de Clémentine n’a qu’une seule signification, elle a besoin de s’épanouir et je l’étouffe. Je suis le croque-mort de son avenir. Sans le savoir, elle est déjà ouverte sur un autre destin, un vrai père pour notre enfant. La hantise que la vie s’approche de Clémentine, c’est ce qui me définit le mieux.

  Début d’un roman publié sur le Bondy Blog  et consacré à l’oeuvre de René Girard

Dilgo

Articles liés