Pour rappel, le local où nous dormons est le mini-QG des footballeurs du RC Blanqui. L’arrivée de L’Hebdo sur place a un peu chamboulé les choses. Pour les besoins du blog, on y a installé un PC connecté en haut débit, pas si fréquent ici. Son usage, multiple, suscite des envies. Comme c’est le local de l’association, les « grands frères » y passent une partie de la journée et surfent, tchatent, charment ou se laissent charmer, téléchargent du rap.

Pendant le temps libre, surabondant ici (40% des jeunes en banlieue sont au chômage rappelait Daniel Cohen dans Le Monde du 11 janvier 2006), pourquoi sortir un peu, faire un tour à Paris par exemple, ou ailleurs? Là-dessus, nos voisins sont catégoriques, ils n’y vont jamais. JA-MAIS. L’un d’eux confie même qu’il ne connaît pas Bondy Nord, juste de l’autre côté de la nationale et que là-bas c’est terra icognita. Quant à Paname, cela fait un an et demi qu’il n’y a pas mis un pied.

Le soir donc, en ouvrant la porte de ce provisoire « chez soi » on est toujours en famille. Comme les plus jeunes ne sont jamais loin, car ils ont vite appris l’existence du PC, ils ont demandé un soir leur part de « surf ». Et les « grands frères » y ont consenti, d’abord un peu. De fil en aiguille, l’exception est devenu la règle et une règle c’est bien vite un dû.

Vint l’épisode raconté par Michel Audétat (« Fort Chabrol à la Cité Blanqui ») où quelques jeunes du quartier lui ont lancé une longue et généreuse bordée d’insultes parce qu’ils avaient été priés par Michel de lui laisser le local pour écrire. Le lendemain soir, nouveau malentendu. Un petit groupe revenait tambouriner avec une belle vigueur contre sa porte (qui conserve quelques hématomes). L’un d’eux saignait à l’arcade, il voulait aller, hurlait-il, au lavabo. Inquiet, Michel n’a pas ouvert. Qui l’aurait fait? Le malentendu porte sur le fait que les jeunes estimaient être chez eux au local et en droit d’y accéder en tout temps. Suite à cela, Momo a dû faire une mise au point: ce local, c’est celui du RC Blanqui, les « grands frères » n’auraient pas dû vous laisser rentrer.

Seulement voilà, donné c’est donné et reprendre c’est voler.

Le calme avant mon arrivée ne voulait pas dire que le malentendu n’était pas dissipé. Y se prennent pour qui ces mecs de l’Hebdo? Finalement, si on peut plus aller au local, c’est parce qu’ils sont là! La rumeur germe, rampe, chemine, s’envenime, se transforme d’une cage d’escalier à l’autre, jusqu’à l’obtention d’une vérité acceptable, pour quelques-uns, qui justifie des représailles, une entreprise punitive aux conséquences inconsidérées. Mais il faut le rappeler, il ne s’agit toujours que de deux ou trois et très jeunes. Ce soir là, Mohammed a remis les choses au point, sur le ton du père, plein d’amour et de fermeté.

– « Tu veux un nouveau centre? Pourquoi tu fondes pas une association toi? Tu pourrais t’en occuper? »

– « Mais ça coûte… et… c’est long », balbutie I.

– Pas du tout, pour les statuts c’est « copier coller ». C’est quinze minutes! Non! Dix! Et pour les sous, c’est pas grand-chose, faut juste le faire. Alors je te donne rendez-vous, devant témoin (un petit groupe était venu s’agglutiner pour écouter). On fait une première assemblée avec tout le monde, tout ceux qui veulent en être et tu lances l’association. Ok?

– Ok

Le petit a baissé les yeux en souriant, d’un sourire à la fois gêné et flatté, réconforté mais trahissant une pointe d’incrédulité.

On est tous là, dehors, devant la porte. Cyril, le mécano génial, est là lui aussi (lisez son portrait dans « Le pire n’est jamais sûr dans les banlieues »). Il détend l’atmosphère en gueulant à un gars qui fait crisser sa 206:  » Pas comme ça j’te dis, j’l’ai déjà réparée trois fois ta boîte! ». Rigolades. La situation s’apaise, on se serre les mains, on se les tape, on se promet que cela va aller mieux.

Ce soir-là, Mohammed a remis la pierre dans le jardin des « petits ». Un jardin intérieur qui ne demande qu’à prospérer. Les voilà à la tête d’un projet, un défi. La semaine prochaine, à l’assemblée, nous saurons ce qu’il en adviendra. On vous tient au courant.

Par Michel Beuret

Michel Beuret

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