SAMEDI. En ce début d’année, nous sommes encore habités de l’esprit de Noël distillé deux fois par jour par les téléfilms de M6 consommés à haute dose pendant les vacances. Nous avons tous pris des résolutions qu’on ne tiendra pas. C’est un peu comme au Conseil de sécurité de l’ONU, ils passent leur temps à prendre des résolutions contre les méchants pays. Moi, je prends des résolutions non contraignantes à mon égard. Je me dis que cette année je vais arrêter les repas gargantuesques, retourner à la piscine pour avoir un corps super musclé, arrêter de tout remettre au lendemain et surtout essayer d’être gentille. Il a suffit d’un évènement pour crever la bulle du bonheur et mettre à mal ces belles ambitions.

L’aventure du métro le samedi soir est un bon moyen d’éprouver sa tolérance à l’humanité. On rencontre dans cette jungle urbaine une faune qui nous ferait presque regretter qu’il n’y ait pas de braconniers. Pêle-mêle, on peut partager un voyage avec les célébrissimes Roumains qui n’ont que deux chansons à leur répertoire (Edith Piaf et la Bamba), avec des djeunes dans un état alcoolisé avancé qui s’amusent à faire des roulades avant en s’aidant des barres de métro ou avec des personnes qui ont oublié que la douche n’est pas une option négociable. Ce samedi soir, alors que je suis dans le métro avec ma mère (ma vie sociale ne s’améliore guère en 2010), je suis confrontée à deux spécimens qui mériteraient d’aller en stage avec Super Nanny pour leur apprendre la vie.

Deux jeunes filles à frange, jupe maxi courte alors que les températures sont très clémentes comme chacun a pu le remarquer, ont eu raison de mes nerfs. Des ados comme on les aime. Elles parlent fort, mettent leurs pieds sur les sièges et ont visiblement de vrais problèmes. « Non mais attends, on va arriver super tôt, il est même pas minuit. Et j’ai plus de cigarettes. »

Aussi surprenant que ça puisse paraître, ces pimbêches ont des amis puisque l’un d’entre eux les appelle. « Ouais on arrive dans deux stations, je suis avec une copine, prends-moi des clopes. » Un au revoir aurait été trop demandé… Le pire c’est que ces charmantes jeunes filles ont cru que le wagon était une succursale de boîte de nuit. Grâce à leur téléphone trop fashion, elles font profiter tout le wagon de leur musique sublime. Le pire, c’est qu’elles écoutent du zouk love, « Bébé je t’aime, reviens… », le tout sur des rythmes lascifs insupportables. Une musique qui m’inspire tout sauf du love.

DIMANCHE. Mondanités. Je dois prendre un café avec des amies que je n’ai pas vues depuis longtemps. Et ce pas à cause de ma misanthropie. Mais parce que ces demoiselles ont préféré vivre à l’étranger. D’accord, y en a une qui vit à Lille, mais c’est un peu l’étranger, non ? Dans l’absolu, c’est sympa d’avoir des amis expatriés, ça nous fait plein de points de chute pour les vacances. J’aimerais beaucoup aller à Melbourne, en Nouvelle-Zélande, au Caire, à Munich ou à Londres. Il faut juste que je passe un coup de fil à Barack Obama pour qu’il accepte de mettre Air Force One à ma disposition.

Je maudis le décalage horaire, je pourrais écrire une thèse là-dessus. Pour parler en direct avec mes amis, je dois être réveillée à deux heures du matin. Parce que raconter sa vie passionnante par mail n’a pas la même saveur. Au moins, via Facebook, on n’a pas de scrupules à répondre à la question « Quoi de neuf ? ». « Ben rien et toi ? » Gérer ces amitiés à distance, c’est compliqué. Le pire, c’est quand tous les expatriés décident de faire une escale à Paris en même temps.

En 2010, la théorie du complot est toujours mon amie. Lors de cette session café, l’une de mes amies qui n’a pas basculé du côté obscur de la force de l’expatriation en a profité pour nous annoncer qu’elle devrait obtenir dans les mois qui viennent un poste en Bolivie ou en Equateur. Quelle chance, l’Amérique latine je n’avais pas ça en magasin. Je dois avoir un pouvoir magique qui pousse les gens à partir. Ceux qui souhaitent s’exiler savent ce qu’il leur reste à faire.

LUNDI. Frédéric Mitterrand a eu un accident de scooter. A-t-il demandé à Jean Sarkozy la recette du délit de fuite ? En tout cas, il ne pourra pas compter sur le président pour le couvrir, puisque celui-ci lui a vertement reproché de se déplacer en scooter. Un peu trop prolétaire, le scooter, pour un ministre.

Même si les routes sont glissantes en France et que quelques centimètres de neige provoquent un branle-bas de combat, un sondage vient d’élire la France comme le pays avec la meilleure qualité de vie. Je pense donc que c’est à cause des routes-patinoires que les gens s’exilent. Encore un peu et le ministre de la culture va prendre son baluchon et partir s’installer en Thaïlande.

MARDI. Barack Obama est considéré comme le Messie. Depuis, dans le monde politique français, il y a comme une thématique biblique qui flotte dans l’air. Les femmes du gouvernement ont été conviées par Michèle Alliot-Marie à un déjeuner. Pas superstitieuses, elles étaient treize à table. D’après Le Figaro, la crise ne les touche pas vraiment. Elles n’ont pas eu à multiplier les pains puisque le poisson au menu était agrémenté de caviar.

Les socialistes français eux aussi ont des pouvoirs christiques. Après avoir eu Judas-Besson à leur table, ils pratiquent dorénavant la résurrection. Ils ont réussi l’impossible, ressusciter celui qui était en mort clinique politique depuis avril 2002, Lionel Jospin. Certes, il avait bien eu quelques pics de conscience en 2007 mais rien de bien consistant.

Tout le gratin de Solférino s’est réuni pour la projection d’un documentaire dont « l’austère qui se marre » est le héros. Michael Jackson a bien eu droit à son documentaire, pourquoi pas Lionel ? En revanche je ne suis pas sûre qu’on l’y voit s’entraîner au moon walk. Pour l’occasion, il sort un livre où il raconte sa vérité. Un exercice à la Caliméro, où ses échecs sont surtout la faute des autres. Bientôt le PS va devoir donner sa technique de résurrection des morts politiques à l’UMP pour que le parti présidentiel puisse regarnir ses rangs. On pourrait voir revenir Edouard Balladur, Alain Madelin ou même Philippe Séguin. Pour ce dernier, je ne suis pas sûre qu’il puisse, il risque d’avoir un terrible empêchement dans les jours qui viennent.

MERCREDI. Plutôt que de sortir ce soir, je décide de me cultiver à domicile. Grâce au service public, Albert Camus a les honneurs d’un téléfilm. Rien que l’intitulé ressemble à un oxymore et laisse présager du pire. L’acteur qui l’incarne est beau, grand, on imagine que l’intrigue va être centrée sur le côté beau-gosse du génial écrivain. Un angle comme un autre. Camus n’est vu que sous le prisme de ses conquêtes féminines, à croire que cela été scénarisé par Voici. A côté d’Albert Camus, Tiger Woods ou Bill Clinton passent pour de gentils amateurs.

On voit Albert encerclé par les paparazzis de l’époque qui se réfugie avec sa nouvelle proie dans les buissons. Un endroit propice à la bagatelle comme chacun sait. Et comme dans tout téléfilm digne de ce nom, il y a un méchant. Ici, c’est Jean-Paul Sartre. Le Quasimodo de Saint-Germain-des-Prés ne fait pas le poids à côté de notre latin lover.

Ce qui est dommage encore une fois, c’est que la fin était prévisible. Sérieusement, c’était léger niveau scénario. Je m’attendais presque à ce qu’on nous demande de voter. Pour qu’Albert reste avec sa femme dépressive tapez 1, pour qu’il reste avec sa maîtresse tapez 2, pour qu’il pique Simone De Beauvoir à Sartre tapez 3 ou pour qu’il se mette en couple avec Sartre tapez 4.

JEUDI. Mon neveu est malade, grippe A, B ou Z, on ne sait pas. Pas d’école, il a donc regardé avec sa mère, le dorénavant célèbre téléfilm de l’après-midi. Un téléfilm à la thématique originale : l’addiction à la pornographie d’un adolescent. Totalement accro, privé de connexion internet, il a même été jusqu’à pirater les ordinateurs de la bibliothèque pour assouvir ses fantasmes. Comme quoi la frustration permet de développer certaines compétences…

Ma soeur se targue d’être une maman jeune, moderne et à l’écoute. Elle saisit donc l’occasion pour aborder le sujet avec son fils qui, à 11 ans, sera bientôt titillé par ses hormones. Encore pur et innocent, il répond qu’il n’a jamais vu de films de ce genre, bien qu’il connaisse un ado précoce qui télécharge des vidéos de dames allergiques aux vêtements. Soit il dit la vérité, soit il a fait l’Actor Studio car sa réponse semble sincère.

Ce soir, c’est encore dîner entre amis chez ma chère sœur. La discussion de l’après-midi revient sur la table. Soyons fous, brisons les tabous. Chaque convive masculin présent se remémore avec émotion ses premiers émois avec le catalogue des Trois Suisses et les aventures manuelles qui en ont découlé. Décomplexés, certains nous livrent leurs astuces et mentionnent le double usage de la chaussette. Je ne voulais pas en savoir autant.

VENDREDI. Les moutons bêlent sur Facebook. L’esprit de la chaîne de lettres perdure sur le réseau social. Quand j’étais petite, ces chaînes pourrissaient la boîte aux lettres. « Si tu ne renvoie pas cette lettres à dix personnes, tu connaîtra des peines de cœur pour sept ans. » Sourde à ces menaces, je me faisais un plaisir de briser la chaîne. Je suis donc morte 68 fois et j’ai écopé tout cumulé de 157 ans de malheur amoureux. Si tout se passe bien, la malédiction sera levée en 2160 et des poussières.

Aujourd’hui c’est par Facebook que ces idioties se propagent. Comme je m’en fiche de la solidarité féminine, je ne vais pas respecter la confidentialité de l’opération du jour. Messieurs, si dans vos contacts, vous voyez des couleurs dans tout les statuts de filles, c’est parce qu’aujourd’hui un complot féminin se trame. Toutes les filles sont censées, dixit le mail reçu, « afficher en statut la couleur de [leur] soutien-gorge et rien que la couleur ». Ce qui donne lieu, pour celles qui se sont pliées au jeu, à des commentaires très fins comme : « sexy » ou « à voir de plus près ».

On ne sait pas très bien pourquoi faut le faire mais visiblement beaucoup de filles le font. Même les toutes jeunes pour qui porter un soutien-gorge est aussi utile que le vaccin contre la grippe A. Quant à moi, je boycotte et prends de nouvelles résolutions. J’arrête Facebook et je relis Voici. Pardon, Camus.

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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