SAMEDI. J’ai été prise en otage par la maladie. Encore. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais j’ai sombré dans un sommeil profond façon la Belle au bois dormant. Bien entendu, c’est pas le Prince charmant qui m’a réveillée mais un sms. Pour une fois, j’étais invitée à une super fête, digne de celles des séries TV américaines. Le genre de fête où il ne manque que les gobelets rouges pour se croire dans « Beverly Hills ». Pour une fois que j’aurais pu dégainer le gilet à paillettes, c’est râpé.

Quand j’ai émergé de mon long tunnel de sommeil, il était au moins minuit. Comme Cendrillon après minuit, je ne mets pas un pied dehors, surtout pour aller dans les bas-fonds de la capitale. La fête, elle, aura donc lieu dans ma tête. Au moins je suis sûre d’aimer les invités.

DIMANCHE. Rama Yade est la fille cachée de Jacques Chirac. C’est une exclusivité. Le champion du marathon gastronomique a trouvé sa fille spirituelle. Invitée sur France 5 par Nicolas Demorand, la secrétaire d’Etat a expliqué manger parfois du saucisson. La jeune élue n’ayant pas cœur à vexer le boucher qui le lui offre lorsqu’elle fait du racolage, pardon du tractage sur les marchés, en bonne élue de terrain. En réalité, si Rama mange du porc occasionnellement c’est à cause de la crise. Secrétaire d’Etat aux sports ça rapporte que dalle, et comme faut bien faire bouillir la marmite, la seule solution c’est de faire la pique-assiette.

LUNDI. Certains font de l’élevage de poissons rouges chinois, d’autres aiment le point de croix, ou pratiquent la danse turkmène. Certains comme BHL se délectent des œuvres complètes (et un peu imaginaires) du philosophe Botul. Moi, entres autres passions, j’aime la nourriture. Hélas, les orgies culinaires, marque de fabrique de la famille, c’est fini. Je suis en deuil. Ma maman a bravé la fatwa que j’ai émise contre le corps médical dans ces colonnes. Comme pour se venger de mes perfides écrits, le méchant docteur lui a fortement recommandé de surveiller sa consommation de sucre et de sel. Il doit y avoir une machination là-dessous puisque elle ne mange ni sucré ni salé (c’est la seule personne au monde à trouver que le pamplemousse n’est pas acide).

En patiente obéissante, elle n’a rien trouvé de mieux que de relooker le contenu des placards. Un relooking à la mode URSS, sans superflu. Bienvenue biscottes sans sel, pamplemousse et autres aliments très ragoutants. En gentille fille, j’ai voulu soutenir ma mère dans sa galère, j’ai même acheté du Coca Zéro, c’est dire. J’ai aussi expérimenté la biscotte sans sel. Un traumatisme que je dépasserai dans des années.

Heudebert n’aurait pas une cellule d’aide psychologique à tout hasard ? Parce que la biscotte sans sel c’est un pousse à l’anorexie. On sait qu’on mange quelque chose mais on ne sent rien, j’ai eu l’impression que mes papilles gustatives avaient sombré dans un coma végétatif profond. Des papilles ensuite définitivement rongées par l’acidité du quart du quart d’un pamplemousse que j’ai goûté par malheur. Faut vraiment que j’arrête les expériences suicidaires. A ce rythme-là, bientôt on va boire du lait de soja, manger du quinoa et des légumes bios.

Et le pire dans tout ça, c’est que j’ai découvert que ma mère planquait dans son sac une bouteille d’Hépar, l’eau au goût si épouvantable que je préfèrerais boire l’eau verdâtre non identifiée du canal de l’Ourcq. C’en est trop, c’est décidé, demain je fais la grève de la faim.

MARDI. Je me remets à peine de ma semaine passée à Lille. Je ne mentionne même pas le froid (un pléonasme à Lille, à tel point que l’Antarctique demande des droits d’auteur). Comme d’habitude je raconte mes misères à mes amis réunis dans un café. A Lille, nous étions logés dans des conditions spartiates. J’ai appris que dans la vie on ne pouvait pas tout avoir. Une douche chaude ET du chauffage. J’ai hérité du chauffage.

Pour la douche, un filet d’eau froide s’échappe du pommeau. J’ai eu beau laisser l’eau couler encore et encore (quand on vit en URSS, l’écologie ça n’existe pas), il y a eu tout juste une amélioration thermique. Comme la grunge attitude façon feu Kurt Cobain n’est plus tendance, j’ai dû me faire violence. J’ai donc pendant ce séjour de cinq jours dû me laver à l’eau froide. La chambre, elle, c’est ambiance plutôt hammam. Il y fait très très chaud. Vive les contrastes.

Bref, mes amis se moquent de cette mésaventure et me disent que lorsque je serai reporter en Afghanistan ou en Irak je ne serai pas logée au Hilton. Je rétorque qu’avec ma poisse, à peine aurai-je posé un orteil là-bas que je me ferai enlever manu militari. Certes otage, pour la célébrité instantanée, c’est encore plus efficace que le quart-d’heure warholien. J’explique néanmoins que mon but n’est pas de finir avec ma tête placardée sur l’Hôtel-de-Ville (avant tout reportage en zone dangereuse, penser quand même à faire une jolie photo, un peu photoshopée, on ne sait jamais).

Mon amie Joanna se propose de présider mon comité de soutien. Elle se dévoue même pour aller sur les plateaux télé et squatter quelques fêtes VIP avec champagne à gogo histoire de s’assurer du soutien des stars. Quelle abnégation, vraiment… Un autre ami, lui, veut bien collecter l’argent de la rançon. Mais en mode Charles Pasqua-je-me-sers-au-passage-et-prends-une-commission-conséquente. Il hésite à filer avec le pactole aux Bermudes ou aux Iles Caïman. Je crois qu’on va leur éviter tous ces tracas, je ne serai jamais reporter de guerre, c’est plus sûr.

MERCREDI. La presse est en crise, journaliste c’est un métier dangereux où on peut être pris en otage. Je me ménage donc une porte de sortie si jamais ça ne marchait pas. Je songe à une reconversion future. Entre gardienne de phare en Ouganda, éleveuse d’antilopes en Argentine ou éplucheuse de kiwis en Nouvelle-Zélande, mon cœur balance.

Avant ces perspectives réjouissantes, j’ai expérimenté aujourd’hui, à l’insu de mon plein gré, la profession de dog-sitter. Tout est parti d’une envie inconsidérée de rendre service à ma sœur. « Oui pas de problèmes je garde le chien pendant tes vacances. » Ne voyant pas le traquenard, j’apprends que par un concours de circonstances malheureux que l’un de ses amis a absolument besoin que quelqu’un garde son chien. La suite est prévisible. Les deux chiens, c’est pour bibi. Dans l’absolu, rien de bien compliqué. Ben absolu et la vraie vie, ils ne sont pas copains, parce qu’ils n’arrivent jamais à s’accorder.

La pièce rapportée est un bouledogue à tête aplatie, au prénom ironique de Cyrano. Cyrano est un mâle et a voulu montrer son affection à la chienne de ma sœur, Diva, en tentant une approche frontale… J’ai dû donc tout faire pour préserver l’innocence de Diva et la protéger des assauts du chien fou.

Après moult tentatives de viol, Cyrano s’est calmé et la chienne paraissait traumatisée. Dans mon malheur j’ai eu de la chance. Une amie s’est dévouée pour me soutenir. Je vous jure, elle est venue de son propre chef. Cyrano, en plus de sa libido débridée, a quelques défauts de fabrication. Et une tendance à embaumer la pièce de ses odeurs intestinales incommodantes, de quoi me rappeler un camarade…

Le pire c’est que ce chien est un vrai délinquant multirécidiviste, pas façon Ali Soumaré, hein. La peluche de Diva a même été victime d’une tentative d’assassinat. A coups de dents acérées, Cyrano a attaqué Arthur, ladite peluche. Elle s’en sort avec une grosse plaie accompagnée d’une forte hémorragie des grains de riz qui constituent son corps. Depuis, je joue à « ramasse les grains de riz éparpillés » (une autre idée de métier ?).

Le moment fatidique de la promenade est arrivé. Heureusement que nous étions deux, parce que les deux fauves sont très contents de sortir et le montrent. Cyrano qui aime bien tirer sur sa laisse a joué au chien de traineau. Sauf que pour le coup, le traineau c’était moi. Bizarrement dans les magazines people quand on voit les starlettes promener leur chien, elles sont toujours à leur avantage. Le chien a l’air factice tant il remue à peine. Nous, là, c’était sous la pluie que ça se passait, un vrai temps de chien, quoi.

JEUDI. Finalement je peux peut-être reconsidérer mon refus d’aller sur des terrains dangereux. Otage, on peut en sortir comme Pierre Camatte, détenu au Mali et libéré cette nuit. Certes, il faut compter avec quelques séquelles, comme Ingrid Bernadette Soubirou Bétancourt qui voit la Vierge un peu partout. On peut s’en sortir avec brio façon Florence Aubenas (je veux être Florence Aubenas). La détention, j’imagine que c’est horrible. Même si je suis une sans-cœur, je peux quand même reconnaître ça.

Mais la libération c’est autre chose. Toujours le même rituel. Un petit tour en Falcon, arrivée à Villacoublay façon retour de voyage présidentiel et cerise sur le gâteau, photo souvenir avec Sarko. Après c’est interviews et une de Paris Match. Sur ce dernier point, ce n’est valable que si vous êtes photogénique, parce que faut pas exagérer non plus, ils ne font pas dans l’humanitaire à Paris Match.

En revanche, je ne suis pas sûre que Pierre Camatte fasse long feu dans l’émission « Be a hostage, become a star ». Le public ne va sûrement pas voter pour lui. Avec son look de baroudeur, il flirte trop dangereusement avec l’âge de la retraite. Et ça, c’est impardonnable dans le monde merveilleux de Mickaël Vendetta, l’otage à claques de « La Ferme célébrités ».

VENDREDI. Vincent Peillon me copie et cherche une reconversion. Il n’est plus eurodéputé socialiste mais spéléologue et spécialiste en coups médiatiques à temps partiel. L’ennemi juré du service public, depuis qu’il a posé un lapin à Arlette Chabot, a exhumé une vieille affaire de délinquance. Une histoire de vol de voiture, de moteurs de bateaux et de faux papiers d’identité. Les deux loubards, comme on disait en 1965, sont Patrick Devedjian, ministre de la relance, et Alain Madelin, deux anciennes cailleras du mouvement droitier Occident. A ce sujet si quelqu’un sait ce que Madelin devient, qu’il avertisse la police afin qu’elle puisse suspendre son alerte enlèvement.

Non, vraiment, Vincent Peillon il cherche la guerre et va se faire honnir par toute la droite. S’il commence à répertorier les casseroles des hommes politiques de droite (ça doit être semblable pour ceux de gauche), il va vite se constituer une batterie de cuisine conséquente. Surveillons Vincent Peillon, il n’est pas à l’abri d’une vendetta qui pourrait prendre la forme d’une prise d’otage. Quant à la rançon, il faudra absolument l’adresser à Rama Yade, qu’elle puisse enfin s’acheter de la nourriture.

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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