SAMEDI. La nuit blanche est une idée brillante. Je ne fais pas de prosélytisme pour les nuits sans sommeil, je parle de l’événement nocturne parisien. La promotion de la culture, tant qu’on ne la brade pas, j’y suis favorable. Dans l’absolu, je suis contente que des performances artistiques soient organisées. C’est pourtant là le hic. Performance artistique ou le terme insignifiant. Généralement, quand on l’emploie, c’est que l’art dans la démarche ainsi dénommée n’est pas une donnée évidente. C’est un peu comme les gens qui se présentent comme consultant, on ne sait pas trop en quoi consiste cette profession ni même son utilité. Mais le terme est joli et permet de briller à la cantine des cadres.

Donc, le concept de « performance artistique » recouvre un spectre assez large. Je peux l’avouer, je suis insensible à l’art contemporain, et peu réceptive à l’art moderne (comme me le fait remarquer une fidèle lectrice). Mon amie Joanna a passé de longues heures à m’expliquer que le bleu d’Yves Klein n’est pas une arnaque, qu’il a bel et bien crée une nuance de bleu inédite et qu’il est de surcroît très difficile de réaliser un aplat. Elle m’a aussi expliqué que « Carré blanc sur fond blanc » de Malévitch n’est pas non plus une escroquerie artistique puisque l’œuvre se réclame du suprématisme et matérialise la fin de l’art. Après ça, on ne peut aller plus loin. Là, je pourrais même être pragmatique comme ma mère et dire que tout cela ne sert à rien.

Soyons magnanimes et disons que regarder quelqu’un assis sur une chaise sans bouger pendant des heures est intéressant. Finalement, les jeunes gens qui tiennent les murs au bout de la rue sont eux aussi des œuvres d’art contemporaines. Je ne suis toujours pas convaincue.

La dernière fois que j’ai voulu faire mon intelligente je me suis retrouvée au musée, à la Tate Gallery, à Londres (comme beaucoup, je ne fréquente les musées qu’à l’étranger). Un miroir collé sur une toile je n’appelle pas ça exactement une œuvre d’art. J’ai eu quelques difficultés à saisir le potentiel artistique de la colonne de savons transpercés par une corde suspendue au plafond. Mais je décide de dépasser mes réticences et me dis que ce serait sympa d’aller vadrouiller dans la capitale, la nuit. Galvanisée par l’ambiance, moi aussi j’ai réalisé ma première performance artistique. Le matériau premier de mon œuvre est un lit. Et j’en suis le personnage principal. Je l’ai baptisé « La fille qui tombe de fatigue, dort tout son samedi soir et loupe la nuit blanche ».

DIMANCHE. Demain je retourne à l’école. Après quelques années passées à écouter les éminents représentants de l’éducation nationale, on pourrait penser que je suis habituée aux rentrées. Or cette perspective squatte mes pensées. Il se pourrait même que j’ai l’estomac noué. A tel point que je suis obligée de faire quelques exercices de respiration dignes de ceux des femmes enceintes dans les films. Pourtant je n’ai aucune raison de m’angoisser. Mais je m’imagine que je vais mourir, que je ne vais pas avoir d’amis, que je vais être le cancre de service.

La seconde chose qui m’embête c’est que je n’ai pas pensé à faire des achats de fournitures scolaires. Un journaliste sans stylo, c’est comme un flic sans matraque ou Bernadette Chirac sans son sac à main. Il me reste l’option du stylo en fin de vie ou celle du Bic promotionnel de la banque.

Jadis, j’adorais acheter les fournitures scolaires. C’était le seul moment de l’année où j’avais l’impression d’être Paris Hilton et où on faisait flamber la carte bleue. Et même qu’on n’achetait pas les cahiers premier prix qui produisent des stigmates indélébiles, à savoir des écorchures aux mains tant le papier n’est pas raffiné. C’est limite si on n’avait pas des échardes de l’arbre sacrifié pour fabriquer le cahier. Mais là, ça m’est sorti de la tête. Sûrement parce que je n’ai pas d’agenda non plus.

LUNDI. Je ne me souviens pas du déclencheur de ma phobie administrative. Dès que je mets le pied dans une administration quelconque, outre le fait de ne pas savoir exactement quand je serai libérée, je ne peux m’empêcher de penser à la maison qui rend fou dans les « Douze Travaux d’Astérix ». Je trouve même que le scénariste s’est censuré.

Pour obtenir n’importe quelle pièce, le dossier demandé est épais comme les charges d’accusation contre Michel Fourniret. Il faut produire un tas d’attestations. On demanderait presque les actes de naissance des arrières-arrières-arrières-grands-parents du côté maternel. Alors aujourd’hui, lorsque je suis allée m’inscrire à l’université pour quelques cours, j’ai dû me faire violence. L’administration me demande l’attestation de participation à la Journée d’appel à la défense, ou la journée la plus inutile de la terre. Regarder pendant quatre heures des vidéos avec plein de GI Joe qui font plein de trucs géniaux et qui n’attendent que toi pour s’éclater encore plus, j’ai connu plus excitant.

Enfin ils omettent de préciser dans la vidéo que ce qui éclate, ce sont surtout des bombes et que la super fête va se dérouler en Afghanistan. Bientôt pour attirer des jeunes, ils vont rajouter des blondes à forte poitrine dans ces spots de propagande, pardon, de promotion. Sauf qu’une blonde à forte poitrine en Afghanistan, c’est comme un oranger sur le sol irlandais, faut beaucoup chercher.

L’attestation, je l’ai, j’en suis sûre. Mais j’ai dû faire de la spéléologie ce matin pour essayer de remettre la main dessus. J’ai complété le dossier, j’ai même trouvé des photos d’identité absolument ignobles. Je n’ai jamais compris comment les gens font pour être potables sur des Photomaton. Moi, je ressemble toujours à une terroriste échappée de prison qui aurait fait un détour par une cellule capitonnée en hôpital psychiatrique.

Alors que je faisais ma fière après avoir attendu pendant une heure debout, mon tour arrive. Je me présente. La responsable m’enlève le dossier des mains. S’adresse à moi pour me demander si j’aurais l’obligeance de lui présenter l’original de mon diplôme du bac. En fait, elle a grommelé : « L’original du bac ». J’avais presque tout bon quand on est arrivé à l’étape cruciale des photos. Elle m’a hurlé dessus car je ne les avais pas agrafées. Je garde le sourire, je plains la famille de cette dame légèrement acariâtre. Chez moi les stylos se font la malle, alors une agrafeuse, n’y pensons même pas. Ça y est, je me souviens pourquoi je hais les administrations.

MARDI. Jérôme Kerviel, c’était couru d’avance, va aller se reposer un petit peu à l’ombre. Cinq milliards évanouis dans la nature, c’est mal. Peut-être a-t-il voulu réinterpréter Robin des Bois à sa manière, en omettant bien entendu la partie redistributive aux pauvres. Du reste, la somme est tellement énorme que je ne sais même pas combien de zéros il faut mettre après le « 5 ». En dehors du Monopoly je ne pensais qu’on pouvait dire : « Tiens, aujourd’hui au bureau, j’ai perdu 5 milliards, sinon on mange quoi ce soir ? »

Dans la vie il y a une règle tacite qui commande qu’on préfère les méchants dans les films : Dark Vador dans « Star Wars », Rogue dans « Harry Potter », Gollum dans « Le Seigneur des anneaux. » Jérôme Kerviel bénéficie automatiquement du coefficient de sympathie du méchant. Et puis il ne faut pas tirer sur le trader lorsqu’il est dans l’ambulance. Quand on réfléchit à comment il va faire pour s’acquitter des 4,9 milliards d’euros qu’il doit rembourser… A part vendre ses deux reins sur le marché noir chinois, ainsi que sa cornée et un poumon, je ne vois pas.

MERCREDI. On a tous un traumatisme littéraire. Surtout que les profs de français prennent un malin plaisir à nous faire étudier une œuvre sous toutes ses coutures jusqu’à l’indigestion. Au bout de six mois, on ne peut plus voir en peinture les allitérations, les oxymores et les anacoluthes. Certaines personnes de peu de goût restent traumatisées par Zola ou par « La Princesse de Clèves ». Je confesse avoir des comptes à régler avec Balzac (« Eugénie Grandet », dix-neuf pages, impossible d’aller plus loin) ou « Tristan et Iseult » (je n’ai jamais autant prié pour que le couple décide rapidement de s’empoisonner pour abréger mon calvaire). Et avant il y a eu Bernard Clavel. Le vieux monsieur est décédé.

Mais j’ai un vieux litige avec lui. Il est l’auteur de mon premier roman détesté. Dans mon collège pourri ambiance ghetto, la prof a eu l’idée de nous faire lire ce roman sur le thème de la délinquance. A 12 ans, on apprécie bien plus les histoires de gangsters. On s’imagine déjà lire « Le Parrain » ou un roman avec des vraies grosses racailles. Y a eu tromperie sur la marchandise. Au nom du réalisme social, l’auteur raconte l’histoire de violents braqueurs. On attendait du sang, des règlements de comptes, de la drogue. Que nenni ! Les jeunes gens aux problèmes de discipline volaient des fromages. Autant dire que personne n’a accroché à l’histoire. Même si après il y a une escalade dans la violence, c’était trop tard. Mesrine, ça a quand même plus de classe.

JEUDI. Une mode sourde gagne le monde politique. En ces temps de Fashion-Week, le bandeau de pirate va devenir le « must-have » de la saison. Pourquoi donc me direz-vous ? Parce que Martine Aubry a annulé sa participation à l’émission d’Arlette Chabot pour cause de problèmes oculaires. On pourrait se dire que c’est bon signe, car selon l’adage populaire, « Gentil n’a qu’un œil ». Après Philippe De Villiers et son cancer de l’œil, Jean-Marie Le Pen et son célèbre œil de verre, la première secrétaire du PS va bientôt devoir se trimballer avec un pansement à l’œil.

Au pire, si vraiment la maire de Lille n’arrive pas à recouvrer la vue, il se murmure qu’un certain Jérôme K. chercherait à revendre sa cornée à un bon prix. Ceux qui ont de la mémoire se souviennent qu’elle avait déjà annulé il y a un an une conférence de presse car elle s’était enfoncé un stylo dans la même partie du corps. Faut le faire, à moins d’avoir la maladie de Parkinson, cela me semble difficile de s’automutiler avec un stylo. C’est peut-être pour m’éviter le syndrome de l’œil blessé que quelqu’un a kidnappé tous mes stylos.

VENDREDI. Point mode. Le jogging existe toujours. Et des gens le portent. Je pensais que des conventions internationales précises régissaient le port de ce vêtement d’intérieur ou de sport à la rigueur. Je sais, j’ai des vraies convictions dans la vie. Un jour, je parlerai d’une cause qui me tient à cœur : « Le legging n’est pas un pantalon ». Dans le métro, les vigiles devrait interdire cette tenue. Même les racailles les plus convaincues l’ont abandonné voyant que les demoiselles étaient souvent réticentes à lâcher leur 06 à un énergumène en jogging.

En rentrant de l’école, hélas j’ai croisé un individu en jogging. Mon spécimen a choisi un exemplaire particulièrement hideux. Et moulant. Quand on a choisi de tuer le Dr Dukan et ses enseignements en se gavant de cornes de gazelle, on évite d’exhiber ses bourrelets. Le Bibendum style, y a mieux. Oui, c’est mal les attaques au physique et je ne tiens pas à subir le sort de Stéphane Guillon. Mais une fois l’an c’est accordé. Le pire c’est que son jogging moulait ses attributs masculins de manière très moulante. Il avait aussi la poitrine nue sous son haut. Ses poils à la Demis Roussos essayaient d’organiser leur fuite sous mes yeux. Je n’avais envie de lui dire qu’une chose : « Hey mec, tu te trompes, la mode c’est le bandeau de pirate ! »

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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