SAMEDI. Un jour j’ai lu un roman qui racontait comment le héros, unijambiste, avait rencontré son double. Pas n’importe quel double, celui qui a réussi sa vie, même sans Rolex. Le double, il avait une Ferrari Rouge et ses deux jambes. Dur à vivre. Moi, si je rencontrais mon double qui a réussi sa vie, elle serait danseuse étoile, écrivain, quadrilingue et chanterait l’opéra « Carmen » à la perfection. Elle aurait aussi obtenu les prix Goncourt, Albert Londres et World Press. Elle saurait confectionner de délicieux sushis et des magnifiques gâteaux à la crème tant qu’on y est.

On est loin du compte, il y a encore quelques ajustements à opérer avant d’avoir la vie de rêve… Je suis allée voir « Black Swan » aujourd’hui. Et voilà de quoi réveiller mon vieux rêve de petit rat de l’opéra. Quand j’étais petite, je me voyais déjà revêtir mon tutu rose et arborer fièrement mes petits chaussons roses eux aussi, le tout coiffé d’un chignon. Avec mon port de tête altier, j’aurais enchaîné les pointes et les pas chassés. Mais disons que ma carrière de danseuse n’était pas une priorité dans la liste des charges familiales. Il fallait manger et se loger, paraît-il.

Du coup j’ai raté ma vie et j’ai fait de l’histoire à la fac. Le pire c’est que je danse avec la grâce d’un éléphant épileptique dans un magasin de porcelaine. Certes, je devrais me consoler en me disant que l’héroïne du film est schizophrène. Mais si on regarde bien, mes voix dans la tête ne sont pas exactement le signe d’un équilibre mental à toute épreuve. Elle a aussi des pieds tout déformés, mais moi mes pieds ressemblent aux paquebots des sœurs de Cendrillon, alors bon, le sacrifice n’aurait pas été insurmontable. Et puis on peut dire que moi je suis un vilain petit canard qui va un jour se métamorphoser en cygne. J’y crois moyen… Souvent le réconfort vient des plus proches. L’une de mes amies à qui je faisais part de cette fascination pour la danse m’a rappelé que tout est possible, après tout les hippopotames de « Fantasia » ne dansent-ils pas ? J’aime mes amis.

DIMANCHE. Parlera, parlera pas ? L’absent le plus présent de la vie politique française alimente toujours les rumeurs. Non, non je ne parle pas de Lionel Jospin, qui il faut bien le dire est périmé. DSK est à Paris. Officiellement en tant que président du FMI, institution assez obscure. On sait juste qu’il faut donner de sa personne quand on travaille avec DSK. Il est en proie à un vrai dilemme, l’ami américain d’adoption. Il joue à l’équilibriste. Comment lorgner sur un autre job ouvertement, alors qu’on en a déjà un sans se faire taper sur les doigts ? Bonne chance.

Pour l’instant Dominique Strauss-Kahn opte pour la technique Columbo : envoyer sa femme en première ligne distiller quelques confidences dans la presse. Bien entendu, confidences dans leur acception journalistique. A savoir « j’ai besoin de faire passer un message discret alors je raconte mes états d’âme dans un petit magazine qui se vend à quelques millions d’exemplaires ». On sait donc qu’Anne Sinclair s’ennuie à Washington, elle refuse d’y rester plus longtemps. Si elle veut on échange. Elle n’a qu’à se mettre à tricoter des pulls en mohair en souvenir du bon vieux temps si elle se morfond tant que ça. Non, mais vraiment je crois que le couple nous joue un remake du débarquement avec les sanglots longs des violons et leurs messages subliminaux.

Deuxième technique, la technique dite de Polnareff (non n’ayez pas peur, DSK ne va pas afficher son postérieur en 4×3). Il va plutôt, comme le chanteur à bouclettes avant lui, clamer son amour de la mère patrie. Ce qui donne en langage strauss-kahnien : « La France me manque comme à n’importe quel expatrié. » Traduction sans même avoir recours aux services de Nelson Montfort : « J’en ai marre de devoir donner de l’argent aux enfants africains, laissez-moi revenir, je vais écraser mes concurrents aux primaires socialistes et je veux être président de la République. »

Ce soir, il est invité au JT de France 2 de Laurent Ken Delahousse. Pour ne rien dire. Le père de DSK doit être ébéniste et s’appeler Gepetto tellement son fils manie bien la langue de bois. Ah si, il a dit une chose importante: « Si les gouvernements voulaient bien se préoccuper un peu plus de ce pourquoi ils ont été élus, plutôt que de savoir comment ils vont gagner les prochaines élections, les choses iraient mieux. » Si je comprends bien, il a décidé de s’occuper de ce pourquoi il a été élu et ne va pas nous faire le coup de « j’y pense quand je me rase » ?

LUNDI. Cette semaine je suis en vacances. Hourra ! Entre deux séances de glande je fais quand même des choses passionnantes. Je participe à l’interview de Maurice Leroy, ministre de la Ville (qui a osé demander mais c’est qui, lui ?) venu s’encanailler à Bondy dans l’émission « Génération Bondy », prochainement sur vos écrans. Une interview c’est toujours un exercice compliqué. Je fais ma prof de journalisme à deux francs six sous mais c’est vrai. « Mais qu’est ce que je vais pouvoir lui poser comme questions ? » C’est limite si je me souviens de comment je m’appelle.

La solution de repli serait de jouer les potiches. Mère Nature s’est plantée. Je ne suis pas blonde, ni dotée d’un poitrail proéminent et volumineux, ni danseuse étoile. Il va falloir miser sur autre chose. J’arrive donc au lieu de rendez-vous, le célébrissime Murat, notre Café de Flore à nous avec les questions que j’ai préparées. Je suis étreinte d’un coup de stress lorsque je vois les caméras. Certains, quand ils stressent, ont le corps qui se recouvre de plaques rouges, de boutons ou bégaient. Moi, quand j’ai le trac, je parle à très haut débit, encore plus que d’habitude, ce qui est une prouesse d’après ceux qui me côtoient au quotidien. Ou j’ai la mâchoire qui se crispe et un sourire béat qui se colle sur mon visage.

Là, je souriais comme si j’avais été invitée au mariage du Prince William et de Kate Middleton ou comme si j’avais rencontré l’homme de ma vie. Science-fiction dans les deux cas. Finalement mon tour arrive. Le pire c’est cette minute en suspens, avant qu’on nous appelle. J’imagine que ça doit faire comme aux César, ou, plus classe, aux Oscars. Mais moi je ne fais pas le coup de « Oh je ne m’y attendais pas, quel honneur de recevoir cette récompense, tout le mérite revient à blabla ». Évidemment le temps filant trop vite, je n’ai pas pu poser toutes mes questions. La prochaine fois je fais comme Kadhafi à l’ONU, je squatte la parole.

MARDI. Cinéma encore et toujours. J’ai vu le « Discours d’un roi ». Le roi George VI qui était bègue et devait prononcer le discours qui allait annoncer l’entrée en guerre du Royaume-Uni en 1939. A la fin tout le monde est content, il a surmonté son handicap. Ils oublient juste que c’est la guerre maintenant et qu’ils feront moins les malins dans quelques temps… Bref j’ai tellement aimé ce premier volet que j’ai regardé la suite du film, le Discours d’un dictateur. L’acteur principal est moins bon et je ne suis pas sûre qu’il soit un bon candidat à l’Oscar de meilleur acteur. De toute façon on l’a déjà trop vu depuis des années. Devinette. Qui est-il ?

Indices : il a des cheveux bouclés qui suintent la gomina, il vomit d’orgueil comme tout dictateur qui se respecte, il est peu mégalo, il a popularisé l’usage de la tente bédouine avant les Enfants de Don Quichotte, il a été reçu en grandes pompes par l’Elysée en 2007, il a signé de juteux contrats avec la France et porte le costume blanc comme Tony Montana dans « Scarface ». Le bon goût à l’état pur.

Bon goût qu’on retrouve dans la décoration de sa maison. Une statue dorée en forme de main qui écrase un avion américain. Il est comme le commun des mortels, il a dû se faire arnaquer par un pseudo artiste contemporain. Je parle bien sûr de de de… Mouammar Kadhafi. Les commentateurs qui ont parlé à tout va de « contagion de la démocratie » dans le monde arabe (ce serait donc une maladie ?) avaient raison. C’est la révolution en Libye.

Première observation, à sa place j’aurais à l’esprit le vieil adage qui dit « jamais deux sans trois ». Je préparerais mes valises et me choisirais un joli paradis dictatorial comme destination. Parce que les présidents déchus tunisien et égyptien avaient eux aussi prononcé des discours où ils expliquaient que les oiseaux chantent, le soleil brille et que tout allait bien Madame la Marquise. Avec le résultat qu’on connaît. Deuxième observation, je ne savais pas que la Libye était un cartel de Medellín bis. Durant son discours Kadhafi a l’air légèrement évanescent pour ne pas dire dans les vapes. Il faudrait que l’ami Jean-Luc Delarue fasse urgemment une escale à Tripoli en camping-car pour expliquer que la drogue c’est mal.

En bon dictateur, il a monopolisé la parole pendant près d’une heure. Il est, paraît-il, coutumier du fait. A l’ONU, il a déjà squatté la tribune pendant une heure et demie, là où un quart d’heure lui avait été alloué. Un dépassement d’horaire à l’image de sa « présidence » en CDI. Kadhafi, y a rien à faire, moi, il me fait penser à celui qui refuse de quitter la scène alors même que le balayeur est là, s’active, et répète « Monsieur, il faut partir maintenant ». Mon petit doigt me dit qu’il va être difficile à « dégager ». Parce que les dictateurs c’est comme les Gremlins, ça se reproduit à une vitesse folle et qu’il a quelques fils prêts à lui succéder.

MERCREDI. Il y en a un qui ne pourra jamais dire à son fils « Je suis ton père » et qui ne pourra même jamais rien léguer à sa progéniture. Même pas une dictature. Devinette bis : ce pauvre malheureux a les cheveux frisés et personne ne lui a dit que ce n’était pas très seyant depuis quarante ans qu’on le connaît. Qui a dit Mouammar Kadhafi ? Je parle de Michel Polnareff bien entendu. Il révèle publiquement aujourd’hui sa triste histoire pour exorciser ses blessures de l’âme. Une belle tournure à la Gala, quoi.

Oui, c’est la honte de lire les news people mais ce n’est pas de ma faute. C’est la faute de Google actualités qui met ces nouvelles de la plus haute importance en Une de sa page d’accueil. Impossible de passer à côté. C’est pas comme s’il se passait des choses historiques du côté de l’Orient… Je pourrais aussi dire que j’ai eu connaissance de ce drame atroce en allant chez le coiffeur ou le médecin. Cette excuse est la favorite de tous ceux qui n’assument pas lire des informations inintéressantes. Bref.

Michel P. vient raconter comment sa compagne l’a floué. Au départ, ils avaient tout pour être heureux. Une histoire d’amour qui ne paraissait presque pas louche et qui a débouché sur un enfant. Ils ont donc eu un beau bébé qu’ils ont baptisé Volodia. Un prénom qui ressemble à une marque d’eau minérale mais bon, on ne jugera pas les goûts et les couleurs. Quand on s’appelle Faïza on ne peut pas trop se moquer des prénoms d’autrui, vu celui qu’on se traîne.

Je vous la fais courte mais il s’avère que la compagne n’était pas très portée sur l’honnêteté et a avoué que l’enfant n’était pas de lui, mais d’un donneur anonyme. A la place dudit donneur, je serais déçue que des gens appellent l’enfant dont j’ai contribué à la conception Volodia – on avait dit qu’on ne se moquait pas. Michel Polnareff a exigé un test de paternité qui a confirmé qu’il n’était pas le père du gamin. Il est brisé par cette histoire de famille un peu tordue. Je l’avais dit, la famille, c’est le cancer. Mais il reste digne. Bonne nouvelle, il a obtenu que l’enfant qui n’est pas le sien soit débaptisé. Je suis ravie pour lui, ce petit a peut-être un avenir. Parce qu’en s’appelant Volodia Polnareff il n’aurait pu que faire du rodéo, une carrière de stripteaseur ou Secret Story 22.

JEUDI. Je l’avais dit dans ces colonnes, je suis une personne pleine de tact. A tel point que je pourrais travailler pour le Quai d’Orsay. Aujourd’hui est une date à marquer d’une pierre blanche. J’ai flingué ma carrière naissante. Dommage. L’incident diplomatique s’est produit à l’occasion d’une rencontre avec de grands pontes de la télévision française. Je vous rassure, ce n’est pas Jean-Luc Delarue qui est déjà occupé en Libye, je vous l’ai déjà indiqué. La rencontre s’annonçait déjà sous de mauvais auspices. Je dois me flageller, je suis arrivée très en retard et en courant. Du coup j’ai raté les discours et la phase de présentation.

J’identifie quelques visages connus. Il faut bien l’avouer, les mondanités, en temps normal, je n’en raffole pas. A vrai dire, je ne fais pas partie des pique-assiettes, les cacahuètes dans lesquelles tout le monde a pioché sans s’être lavé les mains n’ont pour moi qu’un attrait très relatif. Et je n’appartiens pas non plus à la masse des gens qui squattent les cocktails pour rencontrer les gens qui comptent. Plusieurs discussions fortement intéressantes se déroulent ça et là. Deux éminentes Bondy blogueuses sont en grande conversation avec un homme, employeur potentiel. Je me greffe à elles, l’air de rien. Je prends part à l’échange, livre quelques observations pas toujours très sympathiques.

Notre interlocuteur est avenant et ne montre pas qu’il a envie de nous mettre quelques claques. Il faut dire qu’on ne l’épargne pas. On ne lui a même pas dit : « Ce que vous faites est for-mi-da-ble. » C’est dire. Pour préserver l’identité de la victime nous l’appellerons X.X. A un moment, je fais (encore) une objection. Il me rétorque ce n’est pas de son ressort mais de celui du titulaire de tel poste. Je fais ma savante et réponds « ah oui X.X ». Soudain c’est le drame. « Mais à qui croyez-vous que vous parlez ? Je suis X.X. » Là j’ai envie de mourir. Je passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Pour me rattraper, je dis : « Ahhhh oui. Je vous voyais plus grand, c’est pour ça que je ne vous ai pas reconnu. » Je soulignais son léger embonpoint et j’avais tout gagné. La prochaine fois, je me fais hara-kiri ou j’adopte la technique DSK et ne m’exprime qu’en phrases sibyllines. On évitera moult impairs diplomatiques.

VENDREDI. Décidément la vie politique française est pleine de soubresauts inattendus. On l’a remarqué à maintes reprises, les partis politiques adorent la rhétorique de la fra-ter-ni-té. Même si parfois leurs rapports entre eux tiennent plus d’Abel et Caïn que des frères Bogdanov. Moi, le coup de la « famille politique », je n’y crois pas. C’est comme lorsqu’on dit dans une entreprise « on est comme une famille », c’est mauvais signe. Ça veut dire que tout le monde est exploité et que personne n’ose le dire car « on est une famille » et qu’on lave notre linge sale « en famille ».

Dans la « famille » de l’UMP, il y a toujours eu des remous. Balladur/Chirac. Chirac/Sarkozy. La liste serait longue. Et pareil dans l’autre camp. On apprend aujourd’hui que Nicolas Sarkozy aurait proposé le poste de ministre des affaires étrangères à son ennemi de toujours alias Dominique de Villepin. On tient à souligner qu’on n’attend même pas que le cadavre de MAM soit froid pour la remplacer. Le suspense digne des « Feux de l’amour » retombe vite.

DDV, qui a divorcé de la « famille » et surtout arrêté de verser sa cotisation à l’UMP, aurait décliné. C’est dommage, ça lui allait bien comme poste, à Dominique de Villepin. On a tous l’image de Villepin, musclé qui court torse nu sur la plage, pardon je m’égare, qui explique à la tribune de l’ONU que la France n’ira pas avec son armée, dirons-nous peu fournie, combattre en Irak. Et puis un discours de Villepin, ça en jette plus qu’un discours de Kadhafi à l’ONU, je trouve.

Je me demande quelle stratégie anime Nicolas Sarkozy. Parce que moi, mon pire ennemi (cf. les crocs de boucher auxquels il aurait promis de le pendre), je ne le veux pas près de moi. C’est peut-être là mon erreur. J’ai eu beau visionner cinquante fois, au bas mot, « Le Parrain », je n’ai toujours pas retenu la meilleure des leçons : « Garde tes amis proches et tes ennemis encore plus proches. » Je pense que Nicolas Sarkozy est fan du « Parrain », ainsi que la classe politique.

D’où la rhétorique de la famille politique mise à toutes les sauces (bolognaise, ajouterait-on si on s’appelait Laurent Ruquier et qu’on faisait des blagues à deux balles). En même temps, un amour démesuré pour le film de Coppola expliquerait pas mal de choses. Si Nicolas S. a eu envie d’attenter à la vie de DDV c’était parce qu’en réalité c’est son frère et qu’il a voulu imiter Michael Corleone qui fait tuer son propre frère. Je tiens un scoop, là. Il faudrait ordonner un test ADN pour démêler tout cela. Je suis sûre que Michel Polnareff peut nous aider sur ce coup-là.

Faïza Zerouala

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