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Elle a accepté de nous rencontrer, longuement, alors que son agenda est plein à craquer : les actions qu’elle mène avec son association, les sollicitations officielles, les rencontres à travers toute la France. Cela fait plus de trois ans que Latifa Ibn Ziaten sillonne le pays, de long en large, inlassablement. Elle est la mère d’Imad Ibn Ziaten, sous-officier du 1er régiment du train parachutiste de Francazal assassiné par Mohamed Merah le 8 mars 2012. Depuis sa mort, elle a juré de lui rendre hommage, de faire grandir sa mémoire, en tendant sa main et en relayant auprès des autorités, auprès des médias, la voix de ceux qui souffrent, des relégués, de ceux que la société a oubliés et de ceux aussi, qui, un jour, pourraient basculer, notamment les plus jeunes.
« Je suis fière d’être française, marocaine et musulmane »
Elle répète ces mots : « République, vivre ensemble, laïcité » comme pour ne pas se les faire voler, comme pour montrer à ceux qui lui en interdisent l’expression qu’elle aussi, Française arrivée du Maroc à 17 ans, musulmane pratiquante, les partage tout autant. A ces mots, elle tente de leur donner du sens lors de ses visites de terrain, dans des écoles, des prisons, des associations de quartier. Des mots, des valeurs, des principes, qui pour beaucoup, n’ont aucun ancrage quotidien, servant à alimenter les diners en ville loin de leurs réalités.
Lorsque je demande à Latifa Ibn Ziaten quelle est la difficulté qu’elle rencontre le plus dans les actions qu’elle mène chaque jour, la réponse ne souffre d’aucune hésitation : « mon foulard ».
Très émue, Latifa Ibn Ziaten explique : « Vous savez quand vous parlez de la laïcité, ou lorsque vous parlez de la République, certaines personnes estiment que vous n’êtes pas à votre place… Et pourtant je suis citoyenne, je suis française, j’aime ce pays, j’aime ses valeurs, je suis marocaine, je suis fière de l’être, et je suis musulmane, je suis fière de l’être aussi ; je le vis avec beaucoup de dignité et de respect ».
« Avec votre foulard, vous faites honte à la France ! »
Le 8 décembre, Latifa Ibn Ziaten, est huée dans une des salles du Palais Bourbon qui accueille un débat autour de la laïcité organisé par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale. Invitée pour parler à la tribune, c’est son foulard qui déclenchera l’agressivité de certains convives. Latifa Ibn Ziaten ne s’était encore jamais exprimée sur cet évènement.
« Ces personnes m’ont plus que huée, elles m’ont agressée. Deux personnes sont sorties de la salle, elles m’ont suivie jusqu’à l’ascenseur. Elles m’ont dit : « vous n’êtes pas française Madame, vous dites que vous avez la nationalité française, mais vous ne pouvez pas parler de la laïcité alors que vous portez un foulard, vous faites honte à la France »… Ce mot « honte » m’a fait beaucoup de mal », raconte encore très secouée Latifa Ibn Ziaten.
« J’ai dit : “Monsieur, je suis française et je suis musulmane et je suis marocaine et je vis avec les trois et j’en suis fière, c’est vous qui avez un problème”. Il m’a dit : “Vous ne pouvez pas parler en France, vous ne pouvez pas parler de la laïcité avec votre voile.” J’ai dit : « Monsieur, je ne porte pas un voile, c’est un foulard, je suis européenne comme vous et je peux vous saluer ». Il m’a dit : « Je ne pense pas que votre religion vous le permette ». Je lui ai pris la main et je lui ai dit : « Je vous salue monsieur, ma religion me permet de saluer les gens et je peux même vous embrasser, ça ne me dérange pas, c’est ça la tolérance » ».
« Il s’agissait de deux personnes qui assistaient au colloque (…), le pire, ce qui m’a choquée, c’est que cela s’est passé dans un lieu républicain, deux hommes bien mûrs, une femme en souffrance qui se bat pour les valeurs, pour le droit de l’enfant. Et quelqu’un qui vous dit que vous n’êtes pas française… »
S’agissait-il de personnalités politiques connues du Parti socialiste ? « Oui », répond Latifa Ibn Ziaten qui refuse de donner les noms des deux personnes en question.
« J’étais très mal, ils m’ont touchée, j’étais invitée ce soir-là à l’Élysée, je tremblais, ça m’a fait mal qu’on me dise que je ne suis pas française, et pourtant je me sens française pratiquement à 100%. Il y a quatre fonctionnaires parmi mes enfants : un militaire qui a servi la République, un policier, un prof, une fille qui a réussi qui est à la direction du musée des beaux arts, mon dernier qui fait des études, j’ai travaillé dans la fonction publique, mon mari est un cheminot et il y a un monsieur qui vient me dire que je ne suis pas française. Ça m’a travaillée ce jour-là ; j’étais obligée de sortir, parce que je croyais que j’allais tomber tellement ça m’a fait mal (…) ».
Plainte pour agression
Latifa Ibn Ziaten a-t-elle été soutenue et défendue par les personnalités politiques qui se trouvaient à ce colloque comme le député socialiste et ancien ministre Jean Glavany par exemple ? « J’avais rendez-vous, j’ai témoigné et il fallait que je parte. Ces deux hommes n’étaient pas d’accord que je parte (…) Ils m’ont suivie, ils sont sortis de la salle, M. Glavany est resté dans la salle, et moi je suis partie. Heureusement que j’avais l’officier de sécurité avec moi pour me protéger (…) L’un parlait, était agressif mais était en retrait, l’autre était en face de moi, devenait tout rouge, ça moussait dans sa bouche tellement il y avait de la colère ».
Pourquoi ne pas dénoncer ces personnes ? « Je le ferai à ma manière, il y a des droits », répond Latifa Ibn Ziaten qui annonce qu’elle déposera plainte pour agression.
« Je ne me sens pas différente »
« On a le droit de parler sur la laïcité. Je suis en France, j’ai fondé une famille, je suis entrée en France, j’avais 17 ans et demi. Moi, je me sens française, j’ai le droit de défendre mon pays, défendre ses valeurs (…) Je ne me sens pas différente de l’autre, c’est ça que je n’arrive pas à comprendre. Quand mon fils a souhaité être militaire, servir la République, je ne lui ai pas dit « non mon fils », j’avais peur pour lui mais il a voulu servir son pays, il était heureux, et moi aussi, cela aussi fait partie de la laïcité, je l’ai accepté ».
« On peut défendre la laïcité, avec le foulard, avec la kippa, avec la croix. Il faut regarder la personne qui est en face de soi, pas l’apparence. Si l’on regarde l’apparence, on n’avancera pas. Aujourd’hui, certaines personnes jugent sur l’apparence. J’en reçois certaines qui me disent : « vous parlez bien de la laïcité mais retirez votre foulard. « Mais ce foulard, qui dérange-t-il ? Pourquoi je mets ce foulard ? Il y a un sens : je suis pratiquante musulmane, je suis fière de l’être, je porte ce foulard depuis que j’ai perdu mon fils, je suis en deuil et en plus, je suis partie à la Mecque ».
« Je n’ai jamais peur »
« Je ne suis pas seule: Imad est toujours avec moi, il est là mon fils, il est mort courageux, il est mort debout, il a refusé de se mettre à genoux; alors, je n’ai pas le droit de me baisser et de tomber. Je dois mener ce combat en sa mémoire, en tendant la main aux autres et chaque aide que je peux apporter, Imam gandit à travers l’association ».
« Il n’y a rien sans difficulté, pour avancer, il faut encaisser des choses bien, mauvaises. J’ai déjà encaissé des choses très dures, une souffrance énorme à l’intérieur de soi. Il ne faut rien lâcher ».
Latifa Ibn Ziaten reçoit des menaces. A-t-elle peur ? « Non, répond-elle. Je n’ai jamais eu peur. La preuve, j’aurais tout de suite arrêté. Si le destin veut cela, s’il faut mourir pour défendre une cause, [elle lève les yeux au ciel], c’est lui qui décide ».
Nassira El Moaddem avec Ikram Kchikech

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