Elles sont 1 530 000 en France et leur nombre a presque doublé en 30 ans. Souvent confrontées à une situation professionnelle et financière instable, les mères isolées représentent aujourd’hui 84% des familles monoparentales. Elles subissent de plein fouet les effets du confinement. « J’avais réussi à trouver un équilibre, mais là tout est figé », soupire Elisabeth*, 42 ans.

Il y a un an, cette cadre a dû quitter son lieu de résidence et son emploi pour fuir les violences psychologiques que lui faisait vivre son conjoint. « J’ai senti qu’on allait vers des violences physiques et j’ai voulu nous protéger, mon fils et moi. » Tous deux transitent par plusieurs logements avant de s’installer de façon plus pérenne. En recherche d’emploi, elle a dû tout arrêter du jour au lendemain pour ne se consacrer qu’à son fils âgé de deux ans.

Une précarité décuplée

Installés dans un F2 en banlieue parisienne, elle décide, dès l’annonce du confinement, de se réfugier chez des proches à la campagne. « Impossible de gérer mon fils seule toute la journée dans un appartement, reconnaît-elle. Là au moins, il peut jouer dehors, on minimise les tensions et les difficultés logistiques ». Alexia* est mère de deux enfants en bas âge et vacataire dans l’enseignement supérieur depuis fin 2019. Confinée, elle n’arrive plus à suivre.

« Il est presque impossible d’assurer un enseignement à distance sachant que je suis seule à m’occuper de mes filles. L’une d’elle est en CP, je ne peux pas la délaisser à l’heure où elle doit apprendre la lecture ! » Si elle tente de garder le lien avec ses étudiants, elle peine à concevoir les supports pédagogiques attendus et culpabilise. Avec 500 euros par mois, qu’elle complète avec l’aide personnalisée au logement (APL) et les allocations familiales, l’enseignante ne parvient pas à dégager un salaire.

« Le père ne verse pas la pension alimentaire. J’ai fui les violences conjugales en 2017, j’étais chercheuse et j’ai dû me reconstruire de A à Z », susurre Alexia. L’angoisse et l’incertitude envahissent ses pensées la nuit : l’allocation de solidarité spécifique (ASS) qu’elle touche s’arrête en octobre et alors qu’elle pensait retrouver un travail durant ses vacations, tout s’est arrêté brutalement. « Octobre, c’est demain. L’été n’est jamais une période florissante pour l’emploi et avec la crise, ce sera pire. »

Elle ignore encore si elle sera rémunérée pour ses missions prévues en mai et juin. Pour Mathilde, 28 ans, qui est au chômage et arrive en fin de droits, la situation devient compliquée. Tous les entretiens d’embauche qu’elle avait décrochés ont été annulés avant le confinement et les quelque 1000 euros qu’elle perçoit, aides comprises, ne suffisent pas à payer son loyer parisien, ses factures et ses frais d’alimentation en ce moment.

Comme elle, un tiers des mères isolées vivent sous le seuil de pauvreté. « Heureusement, des amis m’ont dépannée plusieurs fois pour que je puisse faire des courses et nourrir ma fille, soupire-t-elle. Mais pour moi qui suis de nature indépendante, c’est très difficile. » La jeune femme s’estime heureuse, elle sait que certains parents isolés sautent des repas pour pouvoir assurer ceux de leurs enfants pendant le confinement.

Si les parents isolés bénéficient de l’Allocation de soutien familial (ASF), Mathilde regrette que l’aide annoncée par Emmanuel Macron pour les plus précaires ne concerne que les bénéficiaires du RSA et de l’ASS. « Elle aurait dû toucher tous les parents en difficulté. On a l’impression d’être mis de côté, même dans le discours politique. L’égalité est une parole en l’air pour les mères isolées », craque-t-elle dans un sanglot étouffé.

En Seine-Saint-Denis, dans un logement de type HLM qu’occupent Nadia* et ses deux fils, il a fallu s’organiser pour faire face au virus et aux conséquences du confinement. « Tout a augmenté, je paie le filet de pommes de terre 4 euros au lieu de 2 avant. Et on a plus de frais puisque tout le monde est à la maison », confie la mère de famille qui vit du RSA. Elle espère que ces frais diminueront avec le ramadan et compte sur l’aide qui sera versée le 15 mai prochain par le gouvernement. L’un de ses fils, Abdel, souffre d’une maladie génétique handicapante.

Grâce à son allocation, il lui vient en aide financièrement chaque mois, aussi parce qu’elle fait « le travail d’une aide-soignante » avec lui. Mais son dossier est coincé à la Caf depuis février dernier et celle-ci reste injoignable par téléphone. « Je n’ai rien touché depuis, on tient avec mes économies et la prestation de compensation du handicap (PCH) versée par le département, explique le trentenaire. Ma mère va aussi à des distributions alimentaires dehors ».

La surcharge mentale devient insupportable

Ménage, courses, préparation des repas et accompagnement de son fils rythment le quotidien de Nadia. « Le matin, je fais du rangement et je cuisine le déjeuner. Abdel est décalé en ce moment, je lui fais sa toilette en début d’après-midi, je l’habille puis je lui donne son repas », détaille-t-elle. Le soir, elle attend que son fils ait dîné pour aller se coucher. Elle prend soin de lui laisser télécommande et bouteille d’eau à portée de main.

« Des fois, il m’appelle quand il a besoin de se tourner la nuit, poursuit-elle. Ça me sort de mon sommeil et bien sûr c’est énervant, mais je le fais car je suis une maman. » Nadia doit aussi faire très attention à ne pas ramener le coronavirus à la maison, car la maladie de son fils le rend très fragile. Sa fille, qui travaille à l’hôpital, l’a ravitaillée une fois mais n’est pas montée. Pour minimiser les risques, elle préfère faire les courses elle-même, avec un masque et des gants, puis désinfecte tout à son retour.

Si le handicap d’Abdel l’empêche de lui venir en aide dans les tâches ménagères, il tente de la soutenir moralement. « J’aime dire qu’on est une équipe. Quand je vois qu’elle fatigue, je lui dis d’en faire moins ou je commande à manger en livraison pour lui éviter de cuisiner », sourit-il. Elisabeth le constate dans son entourage, beaucoup de mères isolées se trouvent en détresse psychologique actuellement. Sans répit et sans relais, elles ne peuvent compter que sur elles-mêmes.

Sarah, 33 ans, est justement à bout de souffle. Mère d’une fille âgée de trois ans, elle est à l’origine de la création d’un collectif de mères isolées qui a vu le jour début mars à Montreuil. « On voit combien il est utile aujourd’hui. La surcharge mentale devient insupportable, c’est difficile pour nous mais aussi pour les enfants qui ne voient plus personne d’autre », argue-t-elle.

Sarah dénonce une précarité multi-angles que le confinement révèle au grand jour. « Tout le monde découvre notre vie ! Les enfants à la maison, les repas, le ménage et les siestes qui empêchent de sortir… » Trois semaines après le 17 mars, cette vacataire dans une association d’éducation populaire désormais sans emploi craque. Sa mère, qui vit en Bretagne, fait le trajet pour récupérer sa petite-fille.

« Je n’en pouvais plus. Il y avait une dualité qui venait ruiner l’éducation et le rapport à l’autorité entre nous, cela devenait trop difficile à gérer. » « Avec un conjoint, on peut se relayer, abonde Elisabeth. L’isolement ne laisse pas la possibilité d’avoir une vie sociale, un espace temporel pour penser à soi. » Et quand arrive le moment de coucher les enfants le soir, la fatigue et les tracas font leur apparition.

Le regard et les reproches des autres

Dans un communiqué le 8 avril, le Défenseur des droits alertait sur le fait que des parents isolés s’étaient vu refuser l’entrée de supermarchés avec leur enfant, rendant « impossible l’accès à des biens de première nécessité » et portant atteinte « à l’intérêt supérieur des enfants ».

Tout a commencé par ce tweet. Celui d’une mère célibataire à qui il a été demandé de laisser sa fille à la caisse tandis qu’elle ferait ses achats. Son témoignage ouvre les yeux sur cette réalité : un parent isolé ne peut laisser son enfant seul à la maison. Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de la lutte contre les discriminations, a réagi en créant un mail (dgcs-coursesparentsisoles@social.gouv.fr) pour permettre aux parents concernés de signaler ces abus.

Mathilde a voulu dénoncer ces pratiques sur les réseaux sociaux. Alors qu’elle faisait la queue devant un supermarché, quelqu’un lâche : « Faudra pas vous étonner quand votre fille sera en réanimation ». « On considère qu’on est responsables de la propagation du virus. C’est ultra-violent. On n’a pas tous des solutions, je ne peux pas laisser ma fille à mes voisins âgés de 82 ans. » Elle a dû expliquer à sa fille, noyée dans l’incompréhension et la culpabilité, qu’elles n’avaient rien fait de mal. Alexia a du mal à contenir ses émotions.

Elle a vécu un épisode similaire et regrette d’avoir eu le sentiment de devoir se justifier. « Une cliente a levé les yeux au ciel et m’a dit ‘Comment vous pouvez emmener vos enfants dans un supermarché ?’ » Ses enfants étaient calmes, le bébé dormait. « Une grande colère m’a envahie, j’ai décidé de changer de magasin. Ces reproches sont très durs car ils nous renvoient à notre situation, comme si c’était de notre faute d’être seuls ».

Elles sont pourtant les premières à ne pas vouloir prendre de risques. Mathilde sait que le virus n’aurait pas d’incidence sur sa fille. « Mais si elle me le transmet et que mon état s’aggrave, qu’est-ce que je fais d’elle ? », s’inquiète Mathilde. Sarah et Alexia ont été malades pendant le confinement. Impossible pour la première de respecter la distanciation avec sa fille dans un studio. Etat grippal, fatigue importante…

La seconde a vécu une semaine d’angoisse : « si j’avais été alitée ou hospitalisée, je n’aurais pas pu confier mes filles à d’autres au risque de les contaminer. » Avec la sensation d’être « incapable », ce que son ex-conjoint lui a reproché des années durant. « On vit avec tout ça », conclut Mathilde, qui espère voir les parents isolés davantage considérés. La réouverture progressive des écoles, dès le 11 mai, sera un mélange d’anxiété et de soulagement, entre peur du virus et reprise d’une vie « normale ».

Nejma BRAHIM

Crédit photo : NB / Bondy Blog

*Le prénom a été modifié

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