Vendredi 17 avril, à 20h, le Red Star accueillait Avranches, dans la dernière ligne droite du Championnat de France de National (3e échelon du football français). Quasiment assuré de la montée, le club qui est en tête, risque pourtant de se retrouver « sans terrain fixe » l’an prochain. Bauer c’est un stade où t’arrives en retard avec un hot-dog coulant dans une main, et que tu serres la paluche à la moitié de la tribune avant de t’asseoir. C’est un stade où tu causes avec ton voisin que tu connais pas simplement parce qu’il est là et qu’il a une bonne gueule. C’est un stade où tu viens avec tes gosses et tu les laisses cavaler entre les gradins. C’est un stade où Pauline Gamerre la directrice claque la bise à tout le monde et charrie les anciens. C’est un stade où seules trois tribunes sont ouvertes, car il n’est pas aux normes pour accueillir plus de 2999 spectateurs.
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De toute façon, l’une est en ruine et le virage est interdit. Heureusement, si c’est trop plein, ou simplement si tu as pas payé ton billet tu peux te faire inviter dans l’immeuble d’à côté, avec vue plongeante sur le terrain. Il parait même que pour la coupe de France certains proprios louent leur salon. Sinon, plus simplement tu attends la mi-temps et tu mates la fin de la partie, à l’oeil, je me suis d’ailleurs fait griller ma place.
Chez les spectateurs il y a deux écoles. Les calmes, assis et le Kop qui a sa propre tribune. Dans cette dernière, avec mon mètre 63, pas la peine d’essayer de voir la pelouse. Ici, poser un cul c’est péché, oublie. On réapprend les bases du supporterisme, un picon bière, des potes et des cordes vocales. On vient là pour l’ambiance, et si en bonus on a un bon match c’est pas plus mal. Le problème, c’est que le club du Red Star risque fort de monter en deuxième division l’an prochain et que Bauer n’est pas aux normes.
«C’est ailleurs ou c’est plus à Saint-Ouen »
Le stade appartient à la municipalité. Les dirigeants ont tiré la sonnette d’alarme autour de ce problème dès l’investiture du maire, William Delannoy (UDI). Le club a des ambitions et vise le meilleur niveau national. La ligue 2 est en ligne de mire depuis longtemps, selon la Directrice générale « ça fait un an qu’on sollicite la municipalité en disant attention, le stade n’est pas aux normes pour une éventuelle montée. Il faut faire des travaux pour une homologation préfectorale, et pour une homologation fédérale. Les deux vont dans le sens de la sécurité des spectateurs. La première permet d’accueillir plus de 2999 spectateurs. Aujourd’hui, le stade ouvre uniquement sur arrêté municipal. La seconde homologation est accordée par la FFF et la LFP [Ligue de football professionnelle], et nécessite notamment un PC sécurité, une infirmerie grand public, la vidéosurveillance… ». Mais le problème n’est pas récent. La majorité précédente, menée par Jacqueline Rouillon, projetait à terme une délocalisation. « Elle avait demandé au club de bosser sur un projet sur les docks. Il était hors de question pour elle de rénover ». Mais un tel projet prend du temps, et elle avait tout de même accepté de faire les travaux de mise aux normes lors de la montée en national. Pauline Gamerre reconnait qu’« on a travaillé sur un projet sur les docks, non pas parce qu’on voulait quitter Bauer, mais parce qu’on nous a dit, c’est ailleurs ou c’est plus à Saint-Ouen ».
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Cependant, les « ultras » ne sont pas d’accord. Pour eux l’idée même de quitter les lieux, c’est comme s’asseoir dans les gradins. C’est haram. La rencontre n’a pas encore débuté qu’ils scandent « Et le Red Star c’est à Bauer ». L’enceinte du vieux stade résonne au son de ce slogan durant tout le premier quart d’heure, à peine interrompu par une belle parade de planté où un hors-jeu sifflé un peu tard. J’interpelle Fluck, qui arrête quelques minutes de chanter pour aller chercher des bières. « Le Red Star c’est un club historique par son histoire et par son empreinte politique, même si la tribune est pacifiée. Il doit rester à Bauer, car son identité est à Bauer. Un stade de 1909, c’est pas anodin ». Il défend une certaine vision du football, lui qui connaît les multiples facettes de ce sport. « Je travaille dans le foot business et à l’inverse je suis pour un club qui est associé à une image de sport traditionnel populaire ».
Le « supporterisme footix »
Il dénonce aussi le « supporterisme Footix », pour reprendre l’expression du milieu, assis et calme. « Ici, t’as une tribune de 6000 personnes debout, mais faut plus de tribunes debout ». Ces mêmes fans que l’on retrouve pour certains derrière le Red Star. « T‘as plein d’anciens du PSG qui viennent ». Ils recherchent une ambiance « t’es debout, tu chantes, tu supportes ton équipe ». Autant dire qu’un projet aux Docks, ou ailleurs, il ne faut pas leur en parler. Leur défiance s’exprime vis-à-vis de la mairie, mais pas seulement. Ils chantent en seconde période à plusieurs reprises « Les dirigeants sont des menteurs ». Quoiqu’il en soit, pas la peine de compter sur eux ailleurs, « sans Bauer ce sera sans nous » scandent-ils.
Ils peuvent compter sur un soutien politique, en la personne de Karim Bouamrane, candidat PS aux municipales de 2014 et aux départementales 2015. « La seule fois où ils ont été obligés de jouer ailleurs, à Marlville [La Courneuve], ça a été la descente aux enfers ». Il accuse la majorité en place de la situation actuelle : « Si on n’attaque pas la saison à Bauer il n’y a qu’un fautif, monsieur Delannoy. Il a délibérément joué la montre. Son idée, c’est de faire la saison ailleurs en L2. Il mise sur la descente l’an prochain comme ça pas besoin de rénover ».
J’ira où tu iras
Thierry, supporter du club depuis 1980, est agacé par les ultras. « Ce qu’ils disent, ça ne sert à rien. Le stade n’est pas aux normes. Ils ont un côté chauvin ». Pour lui comme pour son ami Philippe, le Red Star, c’est avant tout l’équipe. « On fait tous les déplacements, on les suivra en Ligue 2 ». Ces deux-là pensent « qu’il ne faut pas mettre la faute sur le maire parce qu’il est de droite ».
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Mais où va donc jouer le club l’an prochain ? Les théories ont fleuri sur la toile, mais pour l’instant, rien n’est acté. Selon la directrice générale, « ce serait inconcevable qu’on ne trouve pas en Ile-de-France un moyen d’accueillir le Red Star en Ligue 2 ». De plus « sur la Seine-Saint-Denis, aux normes, il n’y a que le Stade de France. Il ne faut pas que ce soit pris comme un délire mégalomaniaque. On ne peut pas ne pas étudier cette solution sur le département, quel que soit notre nombre de spectateurs ». Mais ne sachant pas combien de temps la situation va durer, « on a pas enclenché de démarches avec les gestionnaires de stade » déplore-t-elle.
Pas de quoi mettre des étoiles dans les yeux des supporters. « Le Red Star c’est Bauer. Le stade est tout vieux, tout pourri, il ressemble à une gare, ce n’est pas grave. C’est comme ça qu’on l’aime », conclut Fluck.
Ah oui, les verts et blancs ont gagné deux buts à un contre Avranches.
Mathieu Blard

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