Pendant plus de vingt ans, Odile Conseil a été un pilier de Courrier International et s’est passionnée pour les cartoons, le jour où l’hebdomadaire a organisé des « journées internationales du dessin de presse ». Les caricatures défilent dans les pages de l’hebdomadaire. « Un bon dessin doit faire rire, réagir et réfléchir ». Certains n’y sont pas réceptifs. Qu’importe. « Les fascistes n’ont pas d’humour ».
L’attaque terroriste de Charlie Hebdo l’a profondément affecté. Amis, ils partageaient ensemble l’amour du dessin et ce même combat pour la laïcité.

Charb’, Tignous, Wolinski et les autres étaient, telle la joyeuse bande de Claude Sautet, « des vrais frères ».
 D’une voix calme, le regard noyé dans l’azur d’un tableau, des mots tombent au compte-goutte… « Un dessin ne peut pas tuer, c’est les crétins sans culture qui tuent ».
 Après l’ouragan, l’accalmie. Elle dénonce la « culture de l’offense » qui voit des individus ou des groupes de plus en plus nombreux s’offusquer d’un dessin, d’un spectacle, d’un tableau… .

Il y a aura un avant et un après Charlie. Au 11 septembre succède un 7 janvier noir. Glaçant.
 17 personnes ont été assassinées, certaines pour leurs idées, d’autres ont eu la malchance de se trouver là au mauvais moment. Journalistes, policiers et agents de maintenance ; chrétiens, juifs et musulmans. Tous victimes de la même barbarie. Au moins, la mort n’a pas de couleur. Ahmed Merabet, le policier à terre abattu de sang-froid était pourtant musulman. Mort pour nous défendre nous et la République. Lassana Bathily, jeune malien, a sauvé des otages dans l’Hypercasher. Il était aussi musulman. Ces exemples-là doivent permettre de ne pas faire d’amalgames entre des terroristes intégristes qui se permettent de tuer au nom d’Allah, et des musulmans ne souhaitant ni plus ni moins la paix.

Et puis il y a eu un 11 janvier. Une marche historique gravée dans l’histoire. Ces clichés ont fait le tour du monde. On aperçoit même Nicolas Sarkozy, l’espace de quelques secondes, bizarrement en première ligne… pour le coup, complètement discrédité ! Qu’on l’aime ou non, François Hollande a réuni autour de lui des dirigeants pourtant en guerre. Mais aussi « certaines crapules comme Lieberman, Viktor Orban ou Bongo » s’énerve Odile Conseil. Au total, 3,5 millions de personnes ont défilé dans tout le pays au nom de la liberté. Peu après, 2 000 villageois ont perdu la vie au Nigéria… Ouverte sur le monde, elle regrette le manque d’empathie face aux massacres de Boko Haram.

Après la marche solidaire, la fracture

Malgré cette belle union, une fracture s’est installée en France. D’un côté il y a ceux, qui comme le Pape François, estiment « qu’on ne peut pas se moquer de la foi d’autrui », de l’autre les défenseurs de la liberté d’expression, qui consiste justement à rire de tout.
« La liberté s’arrête là où commence celle des autres » avertissait déjà Rousseau au 18e siècle.
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », énonce l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

C’est justement ce « sauf » glissé dans la loi qui fait polémique. Chacun peut donc l’interpréter à sa sauce, même s’il y a une jurisprudence sur le sujet, qui interprète et précise les limites de la liberté d’expression, et qui autorise notamment la satire. Pour certains jeunes, leur idole, Dieudonné, devrait avoir le droit de s’exprimer. C’est un débat sans fin.

La journaliste, droite dans ses tennis Nike et dans ses idées, comme « l’était Charb », s’irrite : « Tous les gens qui disent oui à la liberté, mais… Ce n’est pas cohérent, car où s’arrête l’offense ? ». Elle prend l’exemple de son compagnon : « ses dieux à lui sont les coureurs cyclistes. Or Charlie Hebdo les a souvent représentés avec plein de seringues plantées dans les fesses. Il n’en est pas pour autant offensé ! »
. Elle, c’est le voile qui l’offense, « synonyme de régression de la femme », mais elle l’accepte. Quant à ceux qui s’estiment choqués par certains dessins, elle répond :
« Ils ne sont pas obligés ni de le lire ni de l’acheter ».

Étaient-ils « islamophobes » ?
« Sincèrement pas. Au contraire Charlie Hebdo a toujours lutté contre le racisme. A toujours défendu la laïcité. Or ça devrait aller de soi, on ne devrait pas aujourd’hui devoir sans arrêt se battre et la défendre.»
Décryptages d’un dessin de Mahomet : « Certains musulmans se seraient offusqués du dessin… sur la une du dernier Charlie. On y voit le visage de Mahomet, d’autres y voient deux “zobs” dessinés sur sa tête ! Luz n’a à mon sens pas du tout pensé à dessiner deux “zobs”. Dans le fond chacun peut y mettre ce qu’il veut quand il a envie. »
 On veut bien croire Odile, puisqu’elle-même a présenté durant cinq ans sur Arte un magazine ludique intitulé Les crayons de Courrier International où elle « désossait » les cartoons nous permettant de comprendre les différentes étapes d’un dessin ainsi que la variété des regards et des coups de crayon portés sur un même événement.

Avant tout un journal de « la vraie gauche »

« Charlie Hebdo est aussi un journal politique, de la vraie gauche, celle qui défend le travail, les gens sans espoir… ». Lectrice depuis longtemps, elle adore « les fatwas de Charb, les dessins géniaux de Tignous ou les chroniques de Pelloux ».
C’est donc de l’incompréhension face à l’intérêt soudain dans les kiosques. « On parlait de 3 millions, mais c’est finalement 7 millions de journaux écoulés imprimés. Il y aurait 200 000 nouveaux abonnés. J’espère seulement que les gens ne recherchent pas un collector… ». Avant le 7 janvier le journal était condamné économiquement dans une très mauvaise situation économique, triste ironie du sort.

Ozlem Unal

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