Avec ce qu’elle considère être un double handicap –une fille, qui de surcroît vient de banlieue, les perspectives de Nesrine de réussir une vie exemplaire sont minces. À choisir entre être chômeuse, se retrouver mariée plus vite qu’elle ne le voudrait, ou au mieux, s’en sortir avec un job pas terrible, Nesrine préfère bluffer, jouer avec les apparences. Car même avec de l’ambition, cette banlieusarde rencontrent des obstacles, se sent rejetée par la société.

Élève modèle qui a grandi au sein d’une famille magrébine d’origine modeste,  Nesrine rêve d’ailleurs. Des beaux quartiers de la capitale. Son bac mention en poche, elle se destine à de grandes études dans les meilleures écoles. Acquérir un appartement sur Paris, y élever ses futurs enfants  loin de ce qu’elle a toujours connu, la banlieue.

Son entrée à la fac a été le déclic. Cet univers nouveau où deux mondes s’opposent : jeunes de banlieue (qui forment déjà l’élite de la banlieue) et jeunes issus de milieux favorisés. Les deux ne se mélangent jamais. Nesrine veut s’adapter. Elle va choisir son camp. Son quasi-anonymat à l’université lui fait choisir la seconde option. Après tout, personne ne sait d’où elle vient. Autant s’inventer une vie. Même si Nesrine aime sa banlieue, y a vécu de bons moments durant son enfance et n’oubliera jamais ses amis qu’elle considère comme des frères, sa réussite sociale passe avant. Elle fait partie des « nouveaux pauvres ».

Et pour réussir cette socialisation –presque le passage de la Porte des Étoiles, Nesrine a commencé par faire des économies. Car s’habiller comme les autres, ça coûte cher. Je me souviens encore du jour où elle m’a entrainée dans le magasin Citadium pour se payer une doudoune à … 400 euros. Des mois d’épargne au compteur. Je me souviens aussi de l’effet intense que lui procurait le fait de porter ce vêtement horrible qui lui a coûté les yeux de la tête. Même si cet argent aurait largement pu contribuer à aider financièrement sa mère, Nesrine était radieuse. Pour elle, cette dépense constitue un retour sur investissement pour son capital social.

Cette nouvelle pauvre use aussi de ruse pour s’inventer un passé semblable à celui  des personnes qu’elle veut imiter. Son passif imaginaire décrit notamment des voyages en Australie, en Inde, au Vietnam. Je ne suis même pas sûre qu’elle sache placer ces pays sur une carte. À la manière d’un caméléon, Nesrine a aujourd’hui réussi à se fondre dans le moule des bourges. Elle ne jure que par les grandes marques. Canada Gooses et autres UGGs n’ont plus de secrets pour elle. Et les boîtes de nuit hype sont devenues son terrain de jeu. À tel point qu’elle se sent à présent différente de ceux qu’elle côtoyait encore hier. Y compris moi.

Renée Flora Bediang

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