Enfin, je me casse de ma turne. Sans regrets, le sourire au fusil. Pour le pointer sur les voisins. Tout aurait pu aller pour le mieux et pourtant il y a des gens qui s’échinent  à être antipathiques, de ceux qui sont aussi aigris qu’une maquerelle depuis les exactions de Marthe Richard. Des maisons closes à ma cahute il n’y a que l’engeance qui trainait autour pour oser la comparaison. Quand le déménagement ressemble au 25 aout 44 parisien, les fourgons se prennent pour les chars de la division Leclerc.

Alors je n’irai pas chanter la Marseillaise pour leur plaire, mais j’allumerai mon barbecue avec du sans plomb et je l’éteindrais le lendemain à l’eau de Cologne. En attendant je trouverai bien deux-trois ados pour venir jouer du djembé, cet instrument qui n’est diabolique que parce que tout le monde pense savoir en jouer. Et s’ils ne s’en sortent pas avec la Bonne du curé et la Bite à Dudule ils pourront s’estimer heureux. Vilains.

Il  n’y avait bien que ceux d’en face qui valaient le coup. Une maison de réinsertion pour ceux que la logique n’a pas gâté. Et puis ceux d’à côté, mais ils étaient trop loin du champ de vision pour oublier cette meute qui attendait que l’on soit servi et barré, tels des chiens de chasse la veille de la Saint-Hubert.

Il est loin ce jour d’été où la voisine était venue m’alpaguer autour du rosier. « Ils sont jolis, non ? », fit-elle en connaisseuse. Je savais que les rosiers n’attiraient pas que les butineuses et autres pucerons, c’est un nid à tétanos et à emmerdes. Alors la bienséance qui prévaut, d’autant plus en zone pavillonnaire, contraint à répondre à l’envahisseuse : « Oui, ça met de la couleur ! »

Il y a des débuts de conversations pénibles, mais  le pire reste la douleur post-partum, celle qui vient sur la fin, après avoir été tenu en jambe pendant des plombes. Et bien, dans le mille. C’était elle, la chieuse du dimanche et des jours fériés, le code des bonnes mœurs incarné. Après m’avoir dressé l’historique du quartier, en ayant oublié l’occupation, après avoir étendu son champ lexical de la tranquillité et du bon voisinage, véritable annexe du code civil nord-coréen, j’ai eu droit aux ragots.

Fier d’intégrer enfin une communauté, je feignais d’écouter et jouais de compassion avec l’opprimée. Puis la maïeutique de l’ennui a fait son effet. J’aurais pu être le gendre de passage, celui qui est bête et discipliné et sait manger du quatre-quarts aux fruits confits en disant qu’il est délicieux, mais elle n’avait pas de fille. Elle n’avait fait que des gars « qui avaient réussi leur vie et avaient des bonnes situations ». Alors moi le baltringue, qui ne savait même pas tailler ces fichues ronces à fleurs, je ne l’intéressait que parce que j’avais deux esgourdes qu’elle pensait grandes ouvertes pour l’écouter déglutir. On s’est alors quitté entre deux coups de sécateur en se promettant de se dire bonjour.

Et depuis ce jour, elle ne m’a jamais vraiment quitté : la fumée du barbecue, les poubelles mal rangées, le bruit et les autres… Ah, oui les autres, ceux qui avaient fait sa raison de vivre, capable d’en parler jusqu’à la déshydratation. La vilaine. Alors cet été, avant le retrait des troupes de la zone de conflit, j’irai tailler mes rosiers. Courts, très courts, façon bonsaï, et puis je prendrai soin de les arroser à l’eau bouillante, histoire que mes successeurs ne tombent pas dans le piège de la mégère.

Adrien Chauvin

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