Ici à Saint-Ouen, football, histoire et politique sont associés. Mais que se passe-t-il quand foot et politique ne s’entendent plus ? Quand le club et la mairie entrent en désaccord ? C’est le cas dans l’ancienne ville communiste du 93. Le point de cristallisation du conflit se trouve dans le stade Bauer, propriété de la municipalité. Bauer, c’est l’enceinte historique du club audonien, une institution pour les supporters, un stade à l’anglaise avec un côté vintage, une ambiance de foot à l’ancienne, où on vous accueille avec « You’ll never walk alone », une chanson qui résume bien l’esprit et les valeurs véhiculés par le Red Star.

Problème : le stade Bauer est jugé trop vétuste par la Ligue de football professionnelle, depuis que le Red star est monté en Ligue 2 cette saison, après 15 ans de disette sportive. Pour reprendre les paroles de la musique fétiche du club, les fans ont l’impression de marcher seuls en ce moment. Ils ont dû abandonner Bauer pour migrer à Beauvais, un exil qui va perdurer la saison prochaine au grand désespoir de Vincent Chutet-Mezence, le président du collectif Red Star Bauer : « C’est un désastre. Globalement les supporters ne vont pas à Beauvais (60), soit parce qu’ils ne peuvent pas à cause de leur emploi du temps ou tout simplement parce que ça coûte cher, se déplacer pour chaque match a un coût. Soit parce qu’ils ne veulent pas ».

Deux tribunes du stade ont été rasées, une neutralisée, la dernière ne peut accueillir que 3.000 personnes. L’ancienne municipalité de gauche, tentée par le projet de construction d’une nouvelle enceinte pouvant accueillir 20.000 supporters dans le quartier des Docks, n’a pas anticipé l’accession du club en Ligue 2. Aujourd’hui, deux camps s’affrontent : d’un côté ceux qui défendent une rénovation du stade Bauer (le club, le collectif de supporters, un certain nombre de personnalités politiques socialistes, dont le Président de la République) et de l’autre côté, la municipalité qui ne veut pas entendre parler de ce projet.

Le coût de ce projet de rénovation s’élève à au moins 5 millions d’euros, alors comment trouver une solution pour assurer ce financement, dans une ville criblée de dettes ? C’est tout le problème. François Hollande a multiplié les signes de soutien à l’égard du club. Déjà pendant ses études à Sciences Po Paris, il venait régulièrement voir des matchs du Red Star. Derrière ce soutien et les signes d’affection répétés, il y a bien sûr un enjeu politique, une forme de pied de nez à Nicolas Sarkozy, grand fan du PSG, le club aux millions d’euros. Mais même si l’État s’est dit prêt à prendre sa part dans les travaux de rénovation, l’Élysée ne peut pas donner de consigne à la ville de Saint-Ouen. Par ailleurs, un financement privé est impossible à trouver selon Pauline Gamerre, la directrice du Red Star, seule dirigeante d’un club pro en France et promue comme l’une des ambassadrices de l’Euro 2016.

La mairie, elle, s’est mise aux abonnés absents et a ignoré les propositions de cofinancement issues du conseil départemental. Un manque de dialogue que regrette Mathieu Hanotin, ancien conseiller du président du Red Star et aujourd’hui député socialiste et chargé du sport au conseil départemental du 93 : « Sur la question du stade, le département n’intervient pas en direct. On peut apporter notre concours notamment financier pour aider à boucler cette affaire auprès de la ville de Saint-Ouen. Mais à part ça et avoir un rôle de facilitateur avec l’État, on ne peut pas aller beaucoup plus moins. Depuis un an et quelques mois, on a eu droit à toutes les versions, c’est possible, c’est pas possible… ».

Karim Bouamrane va beaucoup plus loin dans la critique. Ancien membre de l’équipe municipale gauche plurielle, il s’était présenté à la mairie en 2014. Il est aujourd’hui secrétaire national au PS et président d’Agir pour Saint-Ouen : « Le problème, c’est qu’on a aujourd’hui un maire qui agit seul et qui veut détruire le Saint-Ouen populaire ». Au milieu de ces divergences politiques, Vincent Chutet-Mezence préfère se concentrer sur l’avancement du projet de rénovation, son collectif y croit encore. Il vient de lancer un projet de crowdfunding, l’argent récolté servira à participer de manière symbolique à la rénovation de l’antre des Verts et Blancs, si rénovation il y a.

Leïla KHOUIEL

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