Place de la République, à Montreuil (93), 4 hommes et une femme campent dans des tentes de fortune depuis plus de 2 mois. Expulsés d’un logement qui appartenait à l’archevêché, ils cherchent et attendent des solutions.

Mardi 6 Janvier, cela faisait 71 jours que 19 personnes, hommes et femmes confondus, d’origine africaine et principalement malienne, avaient été expulsées du 65 bis rue Voltaire (qui donna son nom au collectif), dans le Bas-Montreuil. Le 65 bis de la rue de Voltaire appartient à l’archevêché de la Seine-Saint-Denis, qui, un beau matin, après le leur avoir prêté pendant près de 3 ans, décida qu’il voulait le récupérer pour en faire un lieu d’accueil et de réinsertion pour d’anciens prisonniers.

L’histoire est après tout banale : une expulsion, des gens dehors en plein hiver, un collectif qui se met en place pour soutenir ces gens devenus en une matinée sans-logis, et une mairie hostile qui met bien du temps à réagir.

Mardi 6 Janvier vers 20h je me rends Place de la République. Je rencontre Youssouf Keita qui m’invite à entrer dans le square, sous cette large tente faite de bâches attachées à des poteaux en bois. À l’intérieur, trois petites tentes, et quatre hommes et une femme assis autour d’un brasero.

« Si tu veux bien savoir l’histoire, reviens demain, là il est tard les gens sont partis »

DSC03201Partis où ? Aubervilliers, Église de Pantin, Bondy, Neuilly… Ils sont allés dormir dans des foyers du 115 qui les accueillent, pendant la trêve hivernale, de 18h à 8h. Mercredi 7 janvier, 11h : Youssouf me reconnaît, je m’assois près de lui, ils sont 5 et c’est parti pour le tour du monde en 4 mois.

Alors. Avant l’apparition du Collectif 65 bis rue Voltaire, il y avait -et il y a toujours- le Collectif Sorrin. Ils étaient 327, et logeaient dans une ancienne imprimerie rue de Sorins, à Bagnolet. Imprimerie dont ils se sont fait expulsés pendant l’été 2011. Le groupe a été divisé, et progressivement disséminé, relogé dans deux squats, dont celui du 65 bis de la Rue Voltaire qui accueilli 19 d’entre eux.

Le 28 Octobre 2014, 11 cars de CRS frappent à la porte : il faut s’en aller. Ne prenez pas vos affaires, un tractopelle s’en charge, et en effet, quelques heures plus tard, l’engin était déjà en train de « déménager », -broyer-, jeter matelas, meubles, vêtements. Tous dehors, seize hommes et trois femmes.

Qui sont-ils tout ces gens réduits à gratter le trottoir en plein hiver, et que font-ils dans ce square ? Deux visions s’affrontent : celle de l’adjointe au maire, Dominique Attia. S’ils se sont fait expulsés, c’est qu’ils ne respectaient pas les « règles » mis en place par le collectif Sorins. Ils ont donc été « radiés » du collectif, puis expulsés. Une fois radiés, aujourd’hui, ils ne présenteraient plus les critères pour être relogés en priorité. Ces règles quelles sont-elles ?

Dominique Attia m’explique qu’ils sont majoritairement célibataires, peu de femme, et ici, comme pour le Titanic, c’est les femmes et les enfants d’abord. Soit. Elle m’explique également qu’il y a, à Montreuil, déjà 6000 demandeurs de logements ; étant donc célibataires et radiés du collectif (« pour tapage nocturne ou factures impayées ») il est « impossible que la ville réponde à leur besoin de logement ». Au moins, c’est dit. La mairie compte maintenant uniquement sur les foyers du 115, qui disposent en plus d’un accompagnement social, et de tout un suivi d’aide à l’insertion. Autant dire que celui qui sera le plus malheureux aura gagné ! Surtout si c’est une femme.

Ce que l’élue regrette, évidemment. Et puis il y a le terrain, les faits : Youssouf Keita est français. Il voulait devenir footballer professionnel, a joué dans de nombreuses équipes départementales en Ile de France. Finalement, il a fini avec les danseurs étoiles à l’Opéra Garnier en tant qu’agent de sécurité, puis à l’Institut national de géographie. Aujourd’hui, il cherche à suivre une formation pour devenir éducateur. Avec un sourire malicieux, il me montre sa carte d’identité française. Booba Karounta est arrivé en 2011 à Paris. À Bamako, il travaillait dans une entreprise.

Quand il est arrivé, il a trouvé du travail au café le 25 degrés Ouest à Jaurès, où il est resté un an, attendant des « papiers » qu’il n’a toujours pas. Il s’est finalement fait viré il y a huit mois. La nuit, il a trouvé une place au Gymnase de Montreuil, un hébergement du 115. La journée, il vient ici. Il cherche un travail, veut se faire un CV, recevoir ses papiers et passer son permis pour être chauffeur de bus. À la question, est-ce que tu regrettes d’avoir quitté Bamako, il répond que oui. Kalilou m’avoue qu’il boit, c’est vrai. Que l’adjointe au maire « l’a vu boire ». Et après ? « Je ne suis pas un chien. Je suis un humain. Et pourtant je suis là, regardes. »

Bientôt, la tente devra disparaître, elle « gène l’ordre public »

Mamadou me montre sa femme sur le fond d’écran de son téléphone. C’est sûr, il retournera au Mali : « On retourne toujours là d’où on vient, non ? ». Il travaillait dans l’entreprise de bâtiment Ares, à Pantin, qui a fermé. Il est à Pôle Emploi depuis cinq mois, et a des impôts à payer.

Autant de parcours, de vies, d’histoires, que d’hommes. Impossible de généraliser, impossible de simplifier. S’il y a une chose poDSC03206ur laquelle ils se rejoignent tous, c’est sur imprécision de la devise de la République Française. « Liberté, Égalité, Fraternité ? » m’interrogent-ils, « Où ça ? Précarité, ça oui. » En plus ça rime aussi, alors pourquoi pas.

Le temps est long quand on est eux. Il faut attendre, attendre l’action, attendre ces vulgaires papiers, attendre des droits, attendre un titre. Si on l’a déjà, ce papier, attendre un toit, attendre, et encore attendre. « On attend l’opportunité de la loi » dit Youssouf. Et l’espoir est là, l’envie de s’en sortir, d’y arriver. Pas seulement l’envie d’ailleurs. Ils sont pleinement acteurs, et actifs. Et puis, « y arriver », seulement ? Non, il y a l’ambition aussi, réussir et construire. Ils savent qui ils sont, et ce qu’ils veulent. Booba parle bien d’un « rêve » quand il parle d’être conducteur de bus.

Bientôt, la tente devra disparaître. Elle « gène l’ordre public », et « effraie les passants » aurait dit l’adjointe au maire. Soit. Mais quand on enlève la tente, qu’est ce qu’il reste ? Il reste eux.

Ce matin il y a beaucoup de passage. Marisol Corral est venue apporter un CV qu’elle a rédigé pour Youssouf. Ils l’a remercient tous. Dans un mois, le gymnase de Montreuil où dort Booba, fermera. Il faudra qu’il trouve un autre endroit pour passer ses nuits. Marisol a avec elle une carte du SIAO qui organise et centralise les « lieux de ressources pour les personnes sans abri », « il faudra qu’il essaye partout » me dit-elle. Ces lieux, qu’on appellent aussi des logements passerelles, ou foyers d’urgence, bénéficient d’un accompagnement social qui les aide à s’intégrer, « c’est à dire à mettre toutes les chances de leur côté pour qu’on veuille bien d’eux » m’explique Marisol.

« Parler français, connaître la culture, l’histoire du pays. Je connais tout ça moi ! » me dit Youssouf. « Je suis français, j’aime la France ! Je suis pas un révolutionnaire, mais bon, là, quand même… » me dit-il désolé. Ils courent le 1000 mètres 115 depuis bientôt trois mois, et le 1000 mètres expulsion-réinsertion depuis leur arrivée en France, pour ceux qui n’y sont pas nés. Dans quelques mois sonnera pour tous la fin de la trêve hivernale, donc la chaleur du 115. C’est quoi leur « après » ?

Traités comme des paquets que l’on déménage brutalement, ils gênent désormais la voie publique… À propos de ses drôles de déménagements justement, Dominique Attia dit n’avoir jamais vu, ni entendu, parler de tractopelle. Et pourtant. Ce n’est pas une vraie Place de la République. « C’est pas la politique ça » me disent-ils. Malgré tout, pas de colère, pas de tristesse, ou à peine, pas de pitié, surtout pas. Des sourires, de la patience, de la sagesse. De la bienveillance.

« Mais vous n’avez pas envie de tout casser ? Vous n’avez pas de haine ? » . « De la haine ? Pourquoi ? C’est la vie, c’est pas facile la vie. Il faut affronter. Il faut attendre la loi. » Ils me remercient. «À bientôt ».

Alice Babin

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