Cette fois-ci, c’est parti. Après un lancement en demi-teinte à cause de la météo capricieuse du début d’été, l’opération « Savoir nager » pilotée par l’Agence nationale du Sport et la Direction Impact et Héritage des Jeux Olympiques a pu se poursuivre sous de meilleurs auspices dans les villes de Clichy-sous-Bois, Villetaneuse et Bagnolet (93).

Jusqu’à la fin du mois d’août ces trois villes, ainsi que Sevran à partir du 2 août prochain, accueillent un bassin en plein air pour y dispenser des cours de natation aux enfants et aux adultes. Objectif affiché : 2000 nouveaux nageurs. « Les places sont parties comme des petits pains », alerte Fouzia, un œil sur ses deux enfants dans l’eau, l’autre sur sa petite dernière de quatre ans. Faute de place, la benjamine tue le temps en jouant à son Pop-it multicolore. « Je retenterai ma chance pour les inscriptions du mois d’août », glisse la maman qui a fait le déplacement sur le bassin éphémère de Villetaneuse.

Petits bassins, grands enjeux

Météo capricieuse, faible communication : l’opération Savoir nager a d’abord enchainé les couacs. 

« J’ai entendu parler du dispositif par hasard à la radio. Quand j’appelais les mairies au téléphone, personne ne semblait au courant. Cela a été le parcours du combattant pour inscrire mes enfants », contextualise Fouzia, habitante de Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis). Co-financé par Paris 2024, l’Agence nationale du sport avec la Fédération française de natation, le dispositif (pour le moment en phase de test) souhaite répondre aux besoins urgents du département.

Par petits groupes, les enfants reçoivent 10 leçons gratuites sur deux semaines pour tenter d’obtenir le « Sauv’nage », qui atteste qu’ils peuvent aller dans l’eau en toute sécurité. Si l’opération est un succès, tant au niveau de l’affluence que des résultats académiques, elle pourrait à l’avenir être reproduite chaque été promet-on.

On a accueilli des enfants qui n’avaient jamais vu l’eau de leur vie.

À Pierrefitte, comme à Villetaneuse : pas de piscine depuis 2015, ni pour passer l’été, ni pour l’apprentissage pendant l’année scolaire. Le département de la Seine-Saint-Denis est le département le moins doté de piscines de France avec seulement 36 bassins pour 1,6 millions d’habitants.

Résultat : plus d’un élève sur deux arrive en 6ème sans savoir nager. « On a accueilli des enfants qui n’avaient jamais vu l’eau de leur vie », se désole Benjamin, l’un des dix-septs maître-nageurs participant à l’opération estivale, et alors même que les noyades représentent « la première cause de mortalité par accident de la vie courante chez les moins de 25 ans », indique le site du Ministère de l’Education nationale.

Faute de moyen, certains ne vont carrément pas à la piscine malheureusement.

« A Villetaneuse, les élèves se rendent à la piscine d’Epinay en bus. Mais cela n’est pas gratuit », expose le nouveau maire de la ville, Dieunor Excellent. « Faute de moyen, certains n’y vont carrément pas malheureusement », lâche-t-il.

S’il a le mérite d’être là, le dispositif proposé Paris 2024, est, pour beaucoup d’observateurs, encore largement insuffisant pour les besoins du département. « Toutes les initiatives sont les bienvenues pour essayer de limiter la casse en Seine-Saint-Denis, mais apprendre à nager à 2 000 gamins alors qu’ils sont 500 000 dans le département… », argue Axel Lamotte, secrétaire général adjoint du Syndicat national professionnel des maîtres-nageurs sauveteurs, interrogée par Elsa Maudet pour Libération.

Obligatoire depuis 1879, la natation à l’école a encore du chemin à faire. Depuis une circulaire de 2017, les cours en milieu aquatique sont pourtant préconisés dès la maternelle pour apprendre au plus vite à être à l’aise dans l’eau. Une discipline mise à mal par la fermeture prolongée des piscines lors des différents confinements.

Une phobie de l’eau parfois transmise de générations en générations

A Villetaneuse, on vit sans piscine depuis plus de six ans, à cause de la fermeture du bassin municipal devenu impraticable. « Le dispositif est une aubaine car en plus de leur apprendre à nager, cela leur permet de s’amuser. Beaucoup ne partiront pas en vacances cet été », fait remarquer le maître-nageur. « Avant 2015, on organisait des sorties au moins une fois par semaine chaque été. Depuis, on installe des mini points d’eau pour qu’ils se rafraîchissent, mais cela ne les occupe pas beaucoup », abonde Nerwan, animateur dans l’un des centres de loisir de la ville, qui accompagne des enfants participants au dispositif.

Les maîtres-nageurs, aux petits soins, travaillent en binôme.

« Moi, mon père m’a jeté à l’eau. C’est comme ça qu’on apprenait à nager à l’époque », s’exclame Nerwan, entre deux encouragements à Ousmane ou Lana, qui participent à un cours avec quatre autres enfants (deux absents ce jour-là). « Féliciter, encourager : l’apprentissage se fait plus dans cette mouvance là aujourd’hui », précise Benjamin de la Fédération Nationale de Natation.

Les cours à mon époque étaient assez traumatisants.

« Les cours à mon époque étaient assez traumatisants », confie aussi Fouzia. « J’ai développé une phobie de l’eau à cause de cela. C’est pour cela que je souhaite que mes enfants soient à l’aise dans l’eau pour qu’ils soient capables d’intervenir si jamais il se passe quelque chose de grave. Et puis, on ne sait jamais s’ ils ont une villa avec piscine plus tard ! »,  rêve-t-elle.

« On s’aperçoit de temps en temps que les parents peuvent transmettre leur peur de l’eau aux enfants. Même sans le vouloir, cela peut avoir une incidence », observe le maître-nageur Benjamin. « Beaucoup ont fait la démarche de s’inscrire aux créneaux réservés aux adultes. Pour eux, l’apprentissage doit être encore plus individualisé », remarque-t-il.

Ambiance de vacances mais studieuses

Pour les petits, pas de doute : l’ambiance y est bien plus chaleureuse que dans nos souvenirs de cours de natation. Le classique « Louloutte » côtoie les plus originaux « champignon » et « champignonne ». « Fais encore un tour de brasse, et après on jouera louloute ! », sont les consignes du jour.

Après plusieurs cours, les enfants ne se font pas prier pour sauter à l’eau.

« Certains ne voulaient carrément pas rentrer dans l’eau au début de l’été. Maintenant, ils lâchent le rebord, c’est mortel », s’extasie Nerwan. A trois séances de la fin, selon leur tranche d’âge, les enfants semblent tous sur la voie de la réussite des objectifs attendus : l’aisance aquatique pour les 4-6 ans, le savoir nager jusqu’à 12 ans.

« En deux semaines, ils ont plus appris qu’en un an », observe la maman d’Ismaël et Yousra, 10 et 7 ans. « Ce qui est bénéfique, c’est que les cours ont lieu tous les jours alors qu’en milieu scolaire, c’était maximum une fois par semaine avant le Covid. Là, on peut vraiment observer le fruit de leur travail », poursuit-elle.

Parmi les choses qui ne changent pas : les frites colorées, les planches bleues (sous-cotées) et les cerceaux à récupérer au fond de la piscine à la fin de la séance. Les enfants s’immergent promptement, non sans avoir, à tour de rôle, presser le maître-nageur pour qu’il les regarde faire le poirier sous l’eau. « Maintenant, on sort de l’eau », tente le prof’. Il devra s’y reprendre à plusieurs reprises. Natation : 1. Autorité: 0. Et on préfère ça comme ça.

Méline Escrihuela

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