Sur le parking de l’Agora, la maison des associations du quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolies, c’est un mélange de confusion, de peur et d’indignation qui se lit sur les visages de la centaine de professeurs, de parents, d’élèves ou encore de simples citoyens réunis ce vendredi matin. Nous sommes ici à quelques mètres du lieu de l’arrestation filmée des 151 lycéens ayant eu lieu la veille. La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux suscitant un choc profond. Sur les images, des dizaines de lycéens alignés en rangs sont agenouillés ou face contre un mur, les mains sur la tête ou derrière le dos, certains les mains attachées par des serre-flex, sont encerclés par des policiers en uniformes armés de matraques et de boucliers.

Main devant la bouche comme encore surprises par les images, tous regardent de nouveau la vidéo de l’arrestation comme pour essayer de se rassurer, une dernière fois, qu’il s’agit d’une mauvaise blague. La communion se fait tantôt dans le silence, tantôt dans des intonations qui témoignent de la gravité de la situation. « Aujourd’hui, les professeurs nous ont autorisés à partir parce que nous n’étions que six élèves en classe. Les autres ne sont pas venus par peur de revivre la même scène qu’hier », affirme Alain, élève de Terminale. Un témoignage confirmé par les professeurs présents.

Je n’ai aucune nouvelle de mon fils et nous avons été refoulés du commissariat alors que nous demandions des renseignements

Le corps enseignant sera le premier sur les lieux du rassemblement ce matin. Sont-ils en grève, en droit de retrait ? Même eux ne le savent pas mais ils reprochent à l’administration du lycée Jean Rostand de Mantes-la-Jolie, l’établissement des élèves interpellés situé à sept cents mètres, d’être aux abonnés absents. Ils ont donc pris l’initiative de contacter les parents d’élèves pour qu’ils les gardent à la maison ce jour afin d’éviter tout danger. Hier, jeudi 6 décembre, les élèves ont été confinés, par mesure de sécurité, dans le lycée par l’administration. Dans la matinée, des élèves avaient en effet décidé de continuer les blocages des deux lycées Saint-Exupéry et Edmond-Rostand. Mais la situation a dégénéré. Des poubelles et des véhicules sont incendiés. L’ambiance se tend et la police intervient par des tirs de flashball et de gaz lacrymogènes. Les parents, sonnés, ont cherché à savoir ce qu’il se passait. « Le propriétaire d’une maison leur a ouvert la porte de son jardin pour les protéger. Ils étaient une centaine mais au moment de fermer la porte, les policiers sont rentrés de force », relate un parent d’un lycéen gardé à vue, au détour d’une conversation avec les professeurs. Une maman d’élève affirme vouloir porter plainte contre l’établissement pour mise en danger des élèves car certains auraient cherché à rentrer dans l’établissement qui serait resté fermé.

Sur le parking, plusieurs parents attendent encore d’avoir des nouvelles de leurs enfants qu’ils n’ont pas vus depuis jeudi matin. « Mon fils est dans un état de choc. Il sortait du lycée à 11h30 pour aller au grec et s’est finalement retrouvé dans un cul-de-sac. Tous les lycéens présents ont été embarqués », confie Souad, mère d’un gardé à vue. Son enfant, en Première S, lui confiera la présence de filles, en nombre, et que certains, n’ayant pas tenu le choc, se sont mis à pleurer ou à s’uriner dessus. « Mon fils n’a pas eu le droit à un seul repas, même pas un verre d’eau », s’indigne-t-elle avant d’ajouter qu’il « a eu le droit à un médecin et un avocat alors que les autres, non ». Benamar, parent d’un élève de 15 ans, rapporte ne pas avoir pu parler avec son fils. « Je n’ai aucune nouvelle et nous avons été refoulés du commissariat alors que nous demandions des renseignements« .

Ici a eu lieu l’arrestation des jeunes lycéens. À droite, les locaux des « Restos du Cœur », à gauche, la propriété privée d’un particulier

Après quelques heures, le choc n’est toujours pas retombé. « Humiliation » est un terme qui reviendra plusieurs fois dans la bouche de ceux qui estiment avoir été touchés dans leur chair. Ils s’écouteront les uns les autres pendant de longues mintes, la mine expressive d’une incompréhension qui n’est pas prête de s’effacer.

Reste que les différents profils des lycéens arrêtés questionnent. « Si mon fils était connu pour des faits des délinquance, je ne me serais même pas déplacée. Mais, mon fils est en terminale S, c’est un jeune très respectueux », affirme Karima*, toujours abasourdie. Après avoir dressé un portrait élogieux, elle appréhende : « Je ne sais pas dans quel état sont nos enfants. Va-t-on récupérer nos enfants comme avant ?».

Enseignants de Rostand choqués également

Les professeurs, eux, sont unanimes pour condamner les débordements de mercredi mais sont « tous choqués de ce qui s’est passé ce jeudi. Le degré de sévérité interpelle. On est dans une logique répressive », insiste François, professeur d’histoire à Jean Rostand. « La vidéo qui a circulé est insupportable. L’humiliation, le lien qui est établie avec l’école comme s’il s’agissait d’un lieu de pouvoir m’ont mis dans un état de colère. Je pensais que l’école était perçue comme un lieu de construction, de réflexion, de savoir, mais j’étais un peu naïve », regrette Marie, enseignante de français. « On a l’impression, sans vulgarité aucune, que le policier jouissait de ce pouvoir d’asservir un groupe de jeunes », ajoute-t-elle.

Il y a deux semaines, des élèves de seconde ont eu l’occasion d’échanger en classe avec des policiers. Ce n’était pas si mal que ça. Mais quel message envoie-t-on après ces évènements ?

François reviendra sur la double humiliation, celle subit par les jeunes lycéens, agenouillés et les mains sur la tête, la nuque ou derrière le dos mais aussi celle à l’encontre des professeurs par la phrase prononcée par le policier visiblement auteur de la vidéo : « Voilà une classe qui se tient sage ». « Ça veut dire que nous ne sommes pas capables d’encadrer ses élèves sans violence ? Nous n’avons pas les mêmes méthodes, c’est clair. On ne met pas les élèves à genou lorsque l’on fait cours », tance le professeur. De son côté, Jacques, enseignant à la retraite, ne mâche pas ses mots : « Nous sommes face à une violence policière de masse où on arrête au hasard plus de 150 jeunes pour faire peur à l’ensemble de la population. » Il évoquera également, révolté, la nomination, dans un collège en Seine-Saint-Denis, d’un gendarme au poste de principal adjoint. « Au Texas, pour une bagarre dans la cours de récréation, les gamins passent au tribunal. En France, il y a tout une procédure disciplinaire au sein de l’établissement. L’éducation nationale ne fait pas du pénal », lancera-t-il d’un ton revendicatif.

L’ironie du sort est que, pas plus tard que deux semaines auparavant « des élèves de seconde ont eu l’occasion d’échanger, en salle de classe, avec des policiers. Ce n’était pas si mal que ça. Mais quel message envoie-t-on après ces évènements ? », déplore Maria*, professeure syndiquée chez SUD Éducation.

« Ça ne changera jamais pour nous, ça va toujours être pareil », regrette Moussa, jeune Mantais, témoin de l’arrestation, en évoquant les violences policières que lui aussi a déjà subies. Pour lui, même s’il y a un risque d’embrasement après la diffusion de cette vidéo, cela ne va rien changer : « On va juste brûler nos voitures, nos bâtiments et après ? Ca va rien changer », estime-t-il, l’air dépité.

Le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, a annoncé l’ouverture d’une enquête pour éclairer « les conditions dans lesquelles se sont déroulées des interpellations » à Mantes-la-Jolie.

 

Yassine BNOU MARZOUK

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