Abdenour, 19 ans, est sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière. Le verdict doit être rendu ce mardi 22 mars, à 9h30 au tribunal de Melun. Les lycéens n’ont pourtant pas attendu cette échéance pour réagir. Lundi 21 mars à 15h ils s’étaient tous donné rendez-vous devant la préfecture de Créteil pour apporter leur soutien à leur camarade menacé d’expulsion vers l’Algérie. Tout commence il y a quelques jours  quand Abdenour est arrêté alors qu’il est en train de fumer un joint. Le contrôle de police est bref : il n’a pas de papiers. Alors qu’il est emmené en centre de rétention, le lycée Saint Exupéry dans lequel il est scolarisé, se mobilise. Pour tous, c’est un choc.

Abdenour vit en France depuis six ans, ses parents y sont depuis plus de neuf ans et ses deux petites sœurs y sont nées. Jeudi dernier plus de 300 lycéens s’étaient donc déjà rassemblés une première fois pour demander  la remise en liberté et la régularisation d’Abdenour. Ce jour-là, une délégation envoyée à l’intérieur de la préfecture de Créteil ressort avec ce qui s’apparente alors à une bonne nouvelle : « le dossier d’Abdenour va être réétudié, et une réponse sera donnée vendredi » dit-on à la délégation. De quoi calmer les esprits quelques temps, du moins le temps de la visite du ministre de l’Intérieur dans ces mêmes locaux le lendemain. Claude Guéant était venu faire le point sur les politiques migratoires mises en œuvre.

Le pot aux roses est découvert, le dossier n’a pas avancé, seule nouveauté : Abdenour est transféré du centre de rétention de Choisy-le-Roi (94) à celui du Mesnil-Amelot (77). Et ce lundi après midi, à la veille du verdict, les lycéens se sont organisés pour peser de tout leur poids. Fabien, élève en Terminale et camarade de classe d’Abdenour fait partie des plus actifs. « On a créé une page Facebook et une pétition en ligne pour le soutenir. On est allé sur les marchés et un peu partout pour obtenir un maximum de signatures. Il y a une solidarité très forte des élèves et des lycées des alentours, mêmes des privés ». Pour Sofia 16 ans, « c’est du n’importe quoi. Ça fait six ans qu’il est là et il est chassé comme un terroriste. Cette année il doit passer son bac, on est en train de lui ruiner ses chances. »

Alors que tout le monde s’active, les banderoles se déploient « Des papiers pour Abdenour ». Les professeurs qui  discutent entre eux et observent la mise en place de la manif s’indignent : « Nous on ne connaît pas Abdenour personnellement, mais c’est pour le principe. C’est humainement inacceptable.  Il n’y a pas de logique à faire entamer sa scolarité à un élève et à ne pas lui laisser la terminer ». Ils ne sont pas les seuls à ne pas connaître Abdenour, dans la foule quelques filles s’interrogent, « alors c’est qui ? ». Car Abdenour est présent au rassemblement. Il a été relâché  provisoirement ce matin.

Pour cette professeur d’arabe au lycée Saint Exupéry depuis 10 ans, « il y a une grande hypocrisie. On accepte ces irrégularités en souterrain pour faire fonctionner la société et de temps en temps on en prend un pour le renvoyer. Mais ce sont des drames individuels. Pour Abdenour, l’affaire est vraiment politique, du coup, seule la mobilisation des lycéens peut avoir un réel effet ». Elle se réjouit en même temps de cet élan de citoyenneté des élèves, « ils sont peu politisés et là c’est un peu l’un de leur premier engagement. C’est important. Les lycéens sont très touchés par la thématique de l’immigration parce qu’elle fait partie de leurs vies. Quand ils vont en vacances l’été ils entendent ces mêmes histoires dans les familles».

Leur premier engagement et leurs premiers slogans criés dans le mégaphone dont ils appréhendent le fonctionnement. Maladroitement mais avec ferveur ils crient « Qu’est-ce qu’on veut ? Des papiers ! Pour qui ? Abdenour ! Arrêtez de faire les sourds ! »,« Stop à l’injustice ! Rendez-leur leur fils ! » et « So-so- solidarité avec les sans-papiers ! ». Après les slogans, une jeune fille s’empare du mégaphone et y colle son téléphone portable. De la musique algérienne diffusée en plein air et des pas de danse s’improvisent.

Pas loin, discrète, entourée de trois amies il y a la maman d’Abdenour qui observe avec tendresse la mobilisation et qui confie : « On est angoissés. Abdenour a fait une bêtise dont moi-même je ne suis pas contente mais tous les jeunes en font, il ne faut pas mentir. Je ne comprends pas leurs arguments, Abdenour est très bien intégré et il va à l’école. S’il repart là-bas il n’y a rien. Nous n’avons rien en Algérie. Juste un peu de famille éloignée. Aujourd’hui on s’en remet à Dieu, mais en tout cas cette mobilisation fait chaud au cœur. Aujourd’hui j’ai une grande famille ».

Entre temps, une nouvelle délégation avait été envoyée dans l’enceinte de la préfecture. Abdenour en faisait partie. « Ils reviennent ! » crie l’un des manifestants. La musique est coupée, le ton redevient sérieux, et le mégaphone passe dans les mains d’un des professeurs envoyé pour discuter. « Il ne faut pas voir les choses en noir et blanc, il y a parfois du gris. L’aspect positif c’est que la préfecture s’est engagée – même si elle ne veut pas, aspect négatif, abroger l’arrêté de reconduite à la frontière – à ne pas le mettre à exécution tant que la situation de la famille sera à l’étude. C’est  votre force et votre mobilisation qui a permis qu’Abdenour sorte de rétention, ça c’est sûr et je le dis sans démagogie. S’ils nous ont appelé ce matin de bonne heure c’est qu’ils se sont rendus compte que les téléphones, Facebook, tout avait fonctionné pour se donner rendez-vous cet après-midi. Mais il faut montrer que l’on reste mobilisés et vigilants ».

Applaudissements et cris de joie éclatent avant qu’un dernier mot ne soit ajouté « Mais il faut aussi penser que dans tous les lycées il y a d’autres jeunes qui sont dans la même situation qu’Abdenour. » A l’extérieur du cercle qui s’est formé pour faire l’annonce, il y a ce jeune homme qui s’est allumé une cigarette. Entouré de quelques amis, c’est Abdenour, jean et pull coloré qui semble un peu dépassé. Le sourire aux lèvres mais gêné de tout ce déploiement de forces pour le soutenir il avoue : « Je ne suis pas vraiment confiant. Et c’est un peu la honte. Tout le monde sait que je suis sans papiers. Enfin non, c’est pas la honte, c’est pas grave. D’un côté je suis touché par tout ça, de l’autre… ». Abdenour ne termine pas sa phrase, mais on la devine. De l’autre, il préfèrerait être un lycéen comme les autres : anonyme.

Joanna Yakin

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