Par « banlieue » il faut entendre les sujets très divers explorés par l’émission au cours des huit dernières années : gens du voyage, sommet international de la francophonie, délinquance des mineurs, journée du refus de l’échec scolaire, sport et éducation, précarité du logement chez les « vieux », sexualité des jeunes ou des handicapés, la diversité en entreprise, l’armée premier recruteur de France, la désertification médicale…

En réalité, « Microscopie » était loin de consacrer l’intégralité de ses émissions à la « banlieue », mais pour ceux qui ont décidé de mettre fin à l’émission, du haut de leur mépris, les vieux, les gens du voyage, les pauvres, tout cela serait la même chose : la « banlieue » ! Et les « banlieusards », lorsqu’ils ne font pas dans le fait divers, ne méritent pas l’attention d’une radio, fût-elle publique. Conséquence de la consonance étymologique du mot « banlieue » (lieu mis au ban) ?

« Microscopie » s’aventurait sur des terrains trop peu arpentés par les médias : dans l’éducation, et pas uniquement « entre les murs », mais bien au-delà ; dans le milieu carcéral ; dans des hôpitaux ; dans les centres de rétention administratifs, les maisons de retraites, les casernes, les centres éducatifs fermés… Passer les murs… Aller voir à travers… Tenter de ravauder des liens sociaux… Faire parler, entendre, comprendre et débattre : telle était la mission que remplissait cette émission avec brio. Ironie du sort, la pertinence des émissions venait d’être récompensée par le prix Goretta de la Radio Suisse Romande…

Alors que le bidonnage d’un grand hebdomadaire est mis en lumière par un « fixeur de banlieue » exaspéré de la stigmatisation opérée par le système médiatique, à l’heure où se multiplient les émissions dans lesquelles les journalistes commentent l’actualité entre eux, faisant fi de celles et ceux qui vivent et subissent cette actualité, « Microscopie » était l’une des rares émissions qui permettait à celles et ceux qui ne sont pas de « bons clients » faute d’avoir les « codes », de se faire entendre en accédant à la parole médiatique.

L’émission reposait sur des enquêtes minutieuses, alternait analyses et illustrations sonores de qualité, avec un point fort : le temps. Le temps d’échanger, le temps de développer, le temps de considérer ces populations habituellement circonscrites aux sordides faits divers. Quarante-sept minutes pourtant dépourvues d’intérêt aux yeux de la direction de la radio publique RFI.

Ce n’est pas seulement à la façon dont elle se comporte avec la majorité que l’on apprécie la valeur d’une société mais aussi surtout à la manière dont elle s’intéresse à ses populations marginalisées. La décision de supprimer une émission qui traite de sujets perçus comme « périphériques » est alors particulièrement significative. 0,5 % du temps d’antenne pour la « banlieue », c’est définitivement trop pour RFI.

Signataires : 

Rokhaya Diallo, présidente de l’association Les indivisibles, Jean-Pierre Dubois, président de la LDH, Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, Claire Rodier, vice-présidente du réseau Migreurop, Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, président de l’association d’élus Ville et Banlieue, Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherches au CNRS, Henri Leclerc, avocat, président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, Eric Fassin, sociologue, école normale supérieure, Nordine Nabili, président du Bondy Blog, Guillaume Brunero, documentaliste audiovisuel, Mohamed-Ali Adraoui, chercheur et enseignant à Sciences Po, Pap Ndiaye, historien, EHESS, Christophe Robert, sociologue, Stéphane Maugendre, président du Gisti, Serge Michel, journaliste, prix Albert Londres, co-fondateur et président honoraire du Bondy Blog, Mikaël Garnier-Lavalley, délégué général de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes, Raymond Chauveau, coordinateur CGT du mouvement des travailleurs sans papiers, Bernard Defrance, philosophe, Mohamed Razane, écrivain et président du collectif Qui Fait La France ?, Casey, rappeuse, Zebda, musiciens, Nacira Guénif, sociologue, université Paris Nord Villetaneuse (93), Nicolas Ferran, coordinateur des « Amoureux au ban public », Marie Rose Moro, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université Paris Descartes, directrice de la revue L’autre, Guizmo, musicien, Tryo, Fredo, musicien, les Ogres de Barback, Magyd Cherfi, chanteur, écrivain, Jean Sur, écrivain, Laurence Lascary, productrice, « De l’autre côté du périph' », Jérôme Pélisse, sociologue, maître de conférences à l’université Versailles-Saint Quentin en Yvelines, chercheur au laboratoire Printemps, Françoise Vergès, écrivaine, politologue, Caroline De Haas, porte parole d’Osez le féminisme, Thierry Kübler, réalisateur de documentaires, Stéphanie Molez, réalisatrice de documentaires, Chris Trabys, documentaliste en lycée et fidèle auditrice, François Durpaire, historien et fondateur de Pluricitoyen, Alain Brémaud, médecin en centre de santé, Nathalie Broux, agrégée de lettres modernes, coordinatrice du Microlycée 93 à la Courneuve, Alain Berestetsky, ancien directeur et fondateur de la Fondation 93, Daniel Goldberg, député de Seine Saint Denis, Eric de Saint-Denis, fondateur des Microlycées de Sénart et de Vitry, Carole Diamant,  auteure de Ecole terrain miné (Liana Levi, 2005), Christophe Del Debbio, réalisateur-éducateur à l’image, Erwan Ruty, directeur de Ressources Urbaines, agence de presse des quartiers, Nadia Hathroubi-Safsaf, secrétaire générale de Presse & Cité, Xavier Renou du collectif Les désobéissants, Yazid Kherfi, consultant en sécurité, enseignant à l’université Paris-X, Jean-jacques Chauchard, éducateur de la PJJ, Patrick Berthelot, proviseur, Jeanne Cochereau-Berestetsky, retraitée et ex directrice de communication action culturelle, Marie-Pierre Pernette, Anacej, Jean Pierre Worms, sociologue, ancien député, Xavier Cazard, directeur associé d’Entrecom, président du réseau des anciens de l’IPJ, Eunice Mangado-Lunetta, déléguée nationale de l’AFEV, Eléonore de Lacharrière, déléguée générale, fondation Culture & Diversité.

Article paru jeudi 17 novembre sur lemonde.fr

Photo : Edouard Zambeaux, de face, au centre, lors d’un Club de la presse ESJ-Lille-Bondy Bondy Blog.

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