Summum de la réussite festive dans notre bourgade : bibi dans la voiture de son pote, à tourner le soir dans les rues de Bondy, sans autre occupation que sentir nos pets. Soudain, à proximité de la gare, je vois un truc qui déclenche en moi un rire sadique : un autostoppeur. J’allais ouvrir la fenêtre pour lui balancer à la tête ma cannette vide dans un acte abjecte pour lui rappeler qu’a cette heure-ci, être piéton c’est être du caca – oui, à deux heures du matin, je suis très mauvais –, quand un flash me figea au milieu de mon acte démoniaque. Un souvenir du lointain Québec, province où j’ai voyagé en sac-à-dos l’année dernière.

Moi, la pluie, la neige, la route, et pour seul ticket de transport, le pouce levé. Moi, à faire du stop pendant 16 heures, dans le froid mordant, aspiré par la pénombre des forêts de la Mauricie et sous les cris des coyotes hurlant au loin, se délectant de ce fumet exotique émanant de mes pieds usés, ce premier steak de Kabyle auquel ils vont bientôt goûter. Cet autostoppeur, dans ma rue, dans ma ville, sur mes terres pour tout dire, ne fera pas ce que j’ai fait cette nuit-là sur la route à 6000 km de chez ma maman : me chier dessus en attendant le messie. « Foi de Bondynois ! On le prend ! », lançai-je en transe à mon compère, « Ok mais aère un peu », dit-il.

En entrant dans la voiture, notre nouvel ami en guise d’introduction nous gratifie d’un « Merci la famille, wouallah, c’est super gentil ». Pour la suite, je vous prie de me pardonner de retranscrire fidèlement ses propos : « Les gens c’est vraiment des fils de putes ! Personne s’est arrêté ! Ils n’ont aucune pitié, les chiens ! Qu’ils crèvent tous ! » Eh ben. J’ai bien fait d’avoir pitié, moi, il va nous faire une belle conversation celui-là, façon Baudelaire. Le badaud qu’on a pris, c’est le gars de cité, type image d’Epinal, la casquette, le langage de légionnaire, l’œil vicieux et mauvais, avec un gros chicot jaune en guise de sourire faux, un vrai cliché sur pattes, en somme. Bordel ! Faut vraiment que je me trouve une fille et que j’arrête ces plans pourris.

Dans la voiture, mon ami et moi, on écoute Chante France : « Oh la la ! C’est quoi cette musique de bouffon ! » Et encore, à ce moment-là, il n’a pas encore dit où on devait le déposer. Il y vient : « S’il vous plait les potos, vous ne voulez pas me lâcher à Clichy ! Ces FDP de flics ils m’ont descendu du wagon à la gare de Bondy ! Je fumais un sbar (de la drogue !) dans le train ! Putain ils ne peuvent pas laisser les gens tranquilles ! C’est abusé ! » « Tu as été poli au moins ? », je demande candidement. « J’étais obligé de faire mon canard, cousin ! J’avais un morceau dans ma poche ! Au moins ils me l’ont laissé, pour le trajet ils m’ont dit. »

Il a beau avoir le Q.I. d’un coquelicot, une haleine de poivron et l’éducation d’un loup de la forêt, on a une loi à Bondy : toujours déposer un mec qui habite à Clichy, ces oubliés de l’Etat qui n’ont pas de train, habitent en haut d’une colline et mettent 1h30 pour aller à Paris. Clichy, c’est le Moyen-âge de la banlieue, mais sans les elfes. Faut bien deux semaines avant de lâcher un « bonjour » à ses voisins. Le cadre urbain est ici le fruit de la psyché sadique d’un architecte avec des cornes sur la tête sorti tout droit des forges de Satan. Aucune infrastructure, des vieux bâtiments délabrés de western-boulettes, et surtout, une lande complètement enclavée.

Première chose à faire en banlieue : réparer le lampadaire devant chez moi, puis tout de suite après, désenclaver Clichy. Pour revenir à notre pro de la prose, on lui demande quel est sont trajet habituel quand la police ne le jette pas du train : « A cette heure-ci, ben je vais jusqu’au Raincy. » Puis ? « Puis après du stop cousin !! »

Idir Hocini

Idir Hocini

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