C’est l’histoire de ma vie, de ma généalogie, de mes racines. Ma mère l’Algérie, et mon père la France. Avant ma naissance, mon père a aimé ma mère d’un amour tellement fort qu’il en est devenu violent. Il l’a battue, violée, a été d’une rare cruauté avec elle. Ma mère n’était pas une lumière, c’est vrai, mais elle était pleine de ressources et surtout, elle était digne. Alors, face à toute cette violence, elle s’est révoltée et a décidé de se séparer de mon père. La séparation fut difficile, ma mère a beaucoup souffert, elle ne l’avouera jamais parce qu’elle est trop fière, mais cette séparation l’a déchirée. Il lui est même arrivé de s’automutiler.

Moi, je n’ai rien demandé à personne, mais c’est mon père qui a eu ma garde. C’est avec lui que j’ai grandi, c’est lui qui m’a nourrie, c’est lui qui m’a élevée, avec le lait de la république comme on dit. Ça allait au début, mais en grandissant, je dois avouer que même si je n’étais pas née lorsqu’il battait ma mère, le simple récit de cette souffrance me laisse amère. Et plus je grandis, plus j’en prends conscience et plus je suis en colère contre lui. Je suis loin d’être la seule à avoir un problème avec mon père, Oedipe en avait déjà pas mal, mais mes problèmes à moi semblent insolubles.

Mon père, dans sa jeunesse, était un chaud lapin. Des enfants, il en a eu un peu partout, avec des femmes plus ou moins consentantes. Mais, je sais que de toutes ses femmes, c’est ma mère qu’il a le plus aimée. Du coup, ce n’est pas évident parce qu’aujourd’hui, me voilà avec une ribambelle de demi-frères tous aussi différents les uns que les autres. Alors, dans la cour de récré, on se lance des piques sur nos mères respectives, et de nique ta mère en ta mère la pauvre, on se forge un caractère. Et puis, plus elle est attaquée, plus on la défend, et plus on la défend plus on s’y attache, c’est un peu normal, c’est précieux, une maman.

Les années passent et je suis de plus en plus tiraillée entre mon père et ma mère. Par-dessus le marché, j’ai pas mal d’oncles qui essayent de semer la zizanie. Certains, côté paternel, n’ont de cesse de pointer du doigt les différences entre mes parents. On a tous un oncle un peu raciste sur les bords, le mien m’a dit un jour « ton père tu l’aimes ou tu le quittes », mais les sentiments, ça ne se commande pas. Bon, heureusement, cet oncle je ne le vois jamais, juste dans de rares occasions, genre repas de famille qui a lieu tous les cinq ans. Du côté de ma mère aussi, quelques tantes rancunières me rappellent à la moindre occasion les défauts de mon père.

Comme j’ai grandi loin de ma mère, je suis attirée vers elle. Il y a quelques années, elle a obtenu la garde partagée. Tous les étés je me rends dans sa villa ensoleillée au bord de l’eau, le rêve, quoi. Mais je suis devenue grande auprès de mon père, j’y suis attachée, c’est chez lui que j’ai tous mes repères, mes habitudes et puis surtout, c’est lui qui m’a inculqué tout plein de valeurs. Mine de rien, le quitter serait aussi un déchirement, même si je dois avouer qu’il est de plus en plus dur avec moi.

J’ai oublié un détail, certainement celui qui fait toute la différence : mon père n’est pas du genre pratiquant, parfois je me demande même s’il est croyant mais ça, il n’en parle jamais, il le garde pour lui. Ma mère en revanche, c’est plutôt le contraire, elle est assez libre mais plutôt pieuse, et moi sur ce coup-là, je suis plutôt comme ma mère. Et ça, mon père ne l’apprécie pas. Je ne sais pas si c’est parce que ça lui rappelle sa vie de couple avec ma mère, ou si c’est parce qu’il n’arrive pas à admettre ma différence, je n’ai pas la réponse, mais une chose est sûre, le voir me renier comme ça, ça me fait souffrir.

Il se venge parce que malgré la distance, j’ai toujours gardé des liens avec ma mère, ou peut-être que de me voir grandir lui rappelle ses années de mariages déchues. Je ne sais pas. Tout ce que je sais c’est qu’on ne choisit pas ses parents. Ce que je sais aussi, c’est qu’on n’a pas besoin de renier sa mère pour aimer son père davantage. Je sais aussi que lorsqu’on fait des enfants, on les assume, on les éduque du mieux qu’on peut et on fait en sorte de ne pas susciter les jalousies des uns envers les autres. Ça s’appelle l’égalité. On les élève dans un esprit de respect d’autrui et de partage, ça s’appelle la fraternité. Et on éveille leur esprit critique de façon à ce qu’ils soient maitres de leurs pensées, ça s’appelle la liberté.

Tout ça, c’est mon père qui me l’a appris. Alors, quand il se contredit, quand il se ment à lui-même, il perd sa crédibilité, et ses enfants ne l’écoutent plus. Il prend ça pour de l’insolence quand ce n’est que de l’indépendance. De son côté, ma mère n’a pas besoin de lever le petit doigt pour que je lui porte un amour incommensurable. C’est comme ça, l’amour ça ne se contrôle pas. Alors entre une société patriarcale qui me rejette et une mère patrie qui a envie de rattraper le temps perdu, mon cœur balance toujours, et ce n’est sûrement pas avec une morale nationale à deux balles que j’aurai ma réponse… Si quelqu’un l’a, qu’il n’hésite surtout pas, je suis preneuse.

Widad Kefti

Widad Kefti

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