« Il faut réussir à parler d’écologie à tout le monde. Ce n’est pas facile, mais c’est urgent, parce que les plus pauvres sont les premières victimes du réchauffement climatique », plaide Sarah-Maria, 24 ans. Aujourd’hui, celle qui se définit comme une « islamo-écolo » a trouvé sa raison de vivre. Avec l’association Ghett’up, son quotidien est fait d’échanges, auprès d’habitants de quartiers populaires, pour les sensibiliser à l’importance des enjeux environnementaux. « Mais sans tomber dans les discours culpabilisants, qui sont contre-productifs », ajoute-t-elle.

Un bref rappel ne fait de mal à personne : notre planète va très mal. Et ce, principalement à cause des grandes multinationales et du train de vie des plus riches. Ça, c’est dit. L’enjeu, désormais, c’est de lutter collectivement contre le réchauffement climatique pour préserver notre environnement. « Ce sont les plus pollueurs qui doivent faire les plus gros efforts, c’est évident. Après, il faut quand même qu’on développe tous une conscience écologique pour ne pas aggraver la situation », développe-t-elle.

Tu ne peux pas dire à une famille immigrée d’arrêter complètement de prendre l’avion. On a besoin d’aller dans son pays d’origine pour voir ses proches

Mais pour cela, hors de question d’adopter une posture paternaliste. L’écologie que prône Sarah-Maria est « populaire », c’est-à-dire qu’elle prend en compte le vécu des gens et les inégalités qu’ils subissent déjà au quotidien. « Par exemple, tu ne peux pas dire à une famille immigrée d’arrêter complètement de prendre l’avion, ça n’a aucun sens, parce qu’on a besoin d’aller dans son pays d’origine pour voir ses proches, etc. Par contre, il faut expliquer que prendre l’avion pour un week-end en Europe quand de superbes alternatives en train existent, ce n’est pas possible. » Ce travail de vulgarisation des enjeux écologiques est au cœur de son combat. Un engagement fort, qui trouve ses racines dans sa plus tendre enfance.

Une éducation teintée de vert

Septembre 2009. À seulement neuf ans, Sarah-Maria accède à ses premières responsabilités politiques en intégrant le Conseil Municipal des Jeunes de Montmagny (95). Comme dirait Mbappé, « moi, tu m’parles pas d’âge ». Son rôle ? Représenter la jeunesse de la ville et faire entendre ses revendications auprès du maire, qui portent notamment sur l’accès à la culture et sur… la préservation de l’environnement ! « Ça restait de l’écologie très primaire, genre recyclage des déchets, mais c’était une super première expérience. » Encouragée par ses parents dans cet engagement précoce, elle siège au CMJ jusqu’à ses seize ans.

Ses parents, justement, elle leur est très reconnaissante : « tout me vient d’eux et je leur dois tout ». Elle se souvient de toutes les fois où sa mère accueillait chez elle des enfants pour les aider dans leurs devoirs, ou des adultes immigrés pour leur donner des cours de français. « Encore aujourd’hui, parfois, je rentre le soir et je trouve des enfants que je ne connais pas chez moi, avec ma mère. Mes parents te diront qu’ils n’ont jamais été des personnes engagées, mais c’est juste que, comme beaucoup de gens, ils ne conscientisent pas ce qu’ils font ».

Les préceptes islamiques m’ont toujours poussée à faire attention au moindre petit brin d’herbe qui m’entoure 

Son père et sa mère, respectivement d’origines marocaine et maroco-portugaise, ont tenu à inculquer à leur fille aînée les valeurs de l’islam. Une religion qui, n’en déplaise à certains, est fondamentalement écologique. « Évidemment que dans le Coran tu ne trouveras pas le mot écologie, mais quand tu l’étudies, tu te rends compte que la préservation de l’environnement est un thème omniprésent dans l’islam ».

« Quand j’étais petite et que je n’avais pas vraiment conscience des enjeux climatiques, les préceptes islamiques m’ont toujours poussée à faire attention au moindre petit brin d’herbe qui m’entoure. Notre religion nous dit que la planète est une amana (un dépôt confié par Dieu à l’être humain, ndlr), qu’on doit préserver en excellent état. »

À la fac, la découverte d’un « nouveau monde »

Après son bac ES, obtenu dans un lycée de la ville voisine Deuil-la-Barre, Sarah-Maria s’oriente en fac de géographie, à la Sorbonne. Changement d’ambiance brutal. La banlieusarde fait face à la violence de classe. « On me faisait des remarques super blessantes, genre, tu viens en cours que pour la bourse. On me demandait aussi pourquoi je ne m’étais pas plutôt inscrit à la fac de Villetaneuse… En fait, c’est comme si on ne voulait pas de quelqu’un comme moi », se rappelle-t-elle avec amertume. Mais malgré tout, pas question d’abandonner : Sarah-Maria s’accroche et se passionne pour les sciences environnementales.

J’avais l’impression qu’un tout nouveau monde s’ouvrait à moi, parce qu’on ne m’avait jamais parlé de tous ces enjeux de manière aussi poussée

Après sa licence, elle poursuit sur les mêmes thématiques en master, entrecoupé par un an de stage à la Fondation européenne pour le climat. Durant ses années étudiantes, elle se donne pour seul et unique objectif d’emmagasiner le plus de connaissances possibles sur les enjeux écologiques. Pour cela, elle lit, regarde des documentaires, assiste à des conférences, fait des stages ou encore s’engage dans des associations. « Greenpeace, WWF, CliMates… Je les ai toutes faites, s’amuse-t-elle. J’avais l’impression qu’un tout nouveau monde s’ouvrait à moi, parce qu’on ne m’avait jamais parlé de tous ces enjeux de manière aussi poussée. »

Cette accumulation du savoir, Sarah-Maria l’entreprend dans un but bien précis : « partager tout ce que j’apprends avec les miens ». La Magnymontoise constate malheureusement qu’autour d’elle, le réchauffement climatique n’est pas vraiment une préoccupation. « Je voyais ça comme une injustice. Le fait que mes amis, les gens de ma famille, de mon quartier ne soient pas au courant de tout ce qu’il se passe alors qu’ils sont les premiers touchés par les conséquences du réchauffement climatique. » Mais elle insiste : « ce n’est pas qu’ils ne s’y intéressent pas, c’est juste qu’ils ne sont pas assez informés ». Alors elle se fixe pour mission de tenter d’y remédier.

 

Le maître-mot : la sensibilisation

L’astuce, selon elle, c’est de « lier la question écologique au vécu des gens ». En effet, cela peut sembler inopportun, pour ne pas dire absurde, d’arriver comme une fleur devant des personnes souvent précaires, qui ont déjà plusieurs problèmes dans leur vie, et leur parler de permafrost, de greenwashing ou que sais-je. Le risque ? Les perdre, voire les dégoûter. « Il faut parler de choses très concrètes, indique Sarah-Maria. Par exemple, la sécheresse dans nos pays d’origines, qu’on constate de nos yeux et qui est une conséquence directe du réchauffement climatique ».

Et cela, elle l’a notamment appris en animant, dans des établissements scolaires REP/REP+, des ateliers de la Fresque du climat. Cette association a conçu un jeu de société écologique qu’elle trouve « trop technique » et pas assez adapté pour ces élèves, du fait des inégalités scolaires. « Il vaut mieux jouer avec leurs codes pour que les jeunes soient plus intéressés et comprennent le discours. Par exemple, l’expression « mettre la daronne à l’abri », on peut se l’approprier et expliquer que pour qu’elle soit vraiment à l’abri, il faut aussi faire en sorte qu’elle mange des aliments de bonne qualité, qu’elle ne vive pas dans des endroits trop pollués, qu’elle ait accès à de la verdure, etc. ».

On fait plein de gestes écologiques au quotidien, qui s’inscrivent dans la lutte contre le réchauffement climatique, sans forcément en avoir conscience 

En plus de ce travail de vulgarisation d’enjeux complexes, Sarah-Maria souhaite permettre à chacun de « conscientiser ses engagements ». Parce qu’au fond, quand on est issus de l’immigration et/ou d’un milieu populaire, on est tous un peu écolos à notre manière. « Dans les familles modestes, on fait attention à ne pas laisser couler l’eau, à éteindre les lumières, on réutilise les vêtements des frères et sœurs. Et puis concernant les enfants d’immigrés, il y en a plein qui font des voyages humanitaires en Afrique pour creuser des puits, planter des arbres… On fait plein de gestes écologiques au quotidien, qui s’inscrivent dans la lutte contre le réchauffement climatique, sans forcément en avoir conscience ».

Ce défi de conscientisation est aujourd’hui au cœur de son travail à Ghett’up. L’association basée à Saint-Denis, dont elle est salariée depuis quatre mois, prépare un rapport sur l’engagement dans les quartiers populaires, dans le cadre duquel plus de 70 jeunes ont été interviewés, dont… la petite sœur de Sarah-Maria. « Il y avait une question sur les figures engagées qui l’inspirent, et elle a répondu moi… car depuis toujours elle m’entend parler de planète, d’environnement, etc. Ça m’a beaucoup touchée parce que c’est vraiment ça mon objectif : sensibiliser les gens autour de moi, qui je l’espère feront à leur tour ce travail auprès d’eux. Je trouve ça trop beau ».

Ayoub Simour

Photos Diakoumba Diaby 

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