Lundi 7 avril, 12 heures et des poussières. Je me trouve face à la Tour Eiffel. Tout le quartier est quadrillé par des barrières, personne ne peut pas passer. D’un côté se trouvent les manifestants protibétains, de l’autre les prochinois qui attendent le passage de la flamme olympique. La première chose que je remarque, c’est l’excellente synchronisation qui règne entre les deux camps : Dès que les Chinois brandissent leurs drapeaux, les protibétains les huent à s’en casser la voix : « Tibet, liberté ! », hurlent-ils.

A côté de moi se trouve une manifestante qui dit s’appeler Poumi : elle est là parce qu’elle est bouddhiste et dit comprendre la souffrance des Tibétains. « Je veux me servir des JO pour réveiller les consciences, voyez la gigantesque mobilisation d’opinion qui s’opère aussi dans le monde ! Le sport est bien plus politique qu’il n’y parait et c’est souvent grâce à ce biais que l’on peut faire passer des messages. Je connais très bien les moines bouddhistes, j’en ai vu il y a 2 ans. Ils avaient été violés, torturés, leurs enfants avaient été tués. L’état chinois fait tout pour éteindre la religion bouddhiste. Il va même jusqu’à installer des boîtes de nuit et des bordels au pied du temple « Potala ». C’est le plus grand temple bouddhiste, La Mecque des bouddhistes en quelque sorte. Si je suis là aujourd’hui, c’est pour les soutenir et affirmer les valeurs de la démocratie. »

Pendant qu’elle me parle, un policier s’approche d’elle pour lui arracher le drapeau Reporters sans frontières (RSF) qu’elle a dans les mains, mais elle ne lâche rien. Elle lui demande pourquoi les autres en face ont le droit de brandir le leur et pas elle. Pas de réponse du policier qui réussit à briser l’étendard dans la main même de Poumi ; elle en crie de douleur. Pourquoi avoir fait ça ? « Ce sont les ordres », me répond l’agent de police. D’autres manifestants aussi auront leur petit drapeau brisé : choqués, ils se sentent bafoués dans leur droit à manifester librement et pacifiquement.

« Le gouvernement français fait la révérence aux Chinois, il se conduit comme un lâche. Vous pouvez insister sur l’état d’avilissement de nos autorités », renchérit Marie-Claude, 70 ans. Marie-Claude est révoltée par ce qu’elle voit : « J’ai accepté les drapeaux que RSF distribuait même si je n’adhère pas à leurs actions. Je voulais juste témoigner mon émotion », dit-elle scandalisée par l’action de la police. « La police française a une fois de plus montrer sa puissance en arrachant des drapeaux dans les mains des femmes… comme en 1942 ! Ce ne sont que des collabos ! », crie Cyrille, un jeune homme de 30 ans.

Parmi la foule, j’intercepte une dame chinoise, étudiante en sciences. Elle trouve quant à elle scandaleux le comportement des Occidentaux : « Que voulez-vous ? Une Chine éclatée ou bien en paix ? Le Tibet fait partie des 56 ethnies chinoises. Les politiques d’Occident n’ont pas à parler au nom du peuple chinois ! »

Le mouvement populaire prend fin. Les groupes se séparent peu à peu, chacun retourne à sa vie. Finalement la flamme est passée devant nous, mais personne ne l’a vue du côté ou nous nous trouvions. Je ne peux m’empêcher de penser à ce qu’il se passera quand les JO seront finis et que le Tibet retombera dans l’anonymat.

Nadia Méhouri

* « amour et compassion », cri de ralliement des Tibétains

Nadia Méhouri

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