Sur le banc des prévenus, six policiers de la brigade territoriale de contact (BTC) des Quatre-Chemins, à Pantin (Seine-Saint-Denis) ont comparu, de mercredi à vendredi, pour des faits de violences et des faux procès-verbaux, remontant à 2019 et 2020, au préjudice d’habitants des cités Scandicci et des Courtillières, connues pour héberger du trafic de drogues.

« Nettoyer les cités où il y a du trafic de stupéfiants, c’est effectivement une tâche honorable, mais uniquement dans le respect de la loi », a rappelé le procureur Loïc Pageot en préambule de son réquisitoire, en guise d’avertissement.

Avec sa politique d’arrestations fondée sur « l’intimidation », « la violence gratuite » et « le harcèlement » au contrôle d’identité, la BTC donne « l’impression d’une équipe qui se sent pousser des ailes, se voit une vocation de justiciers », a pourfendu le représentant de l’accusation.

Le parquet a demandé dix-huit mois de prison, dont douze avec sursis, ainsi que cinq ans d’interdiction professionnelle à l’encontre du gardien de la paix Raphaël I. pour de nombreux faits de violences « d’une extrême gravité ».

Une peine d’un an de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction d’exercer a été requise contre le brigadier-chef Christian M. Surnommé « le dictateur » par les jeunes, il aurait gratuitement fracassé la main d’un mineur, à la matraque dans une pièce du commissariat de Pantin.

Six mois de prison avec sursis et un an d’interdiction ont été requis contre Yazid B. et Julien S., surnommé « l’électricien » pour sa propension à utiliser le pistolet à impulsion électrique.

Le procureur Loïc Pageot a finalement demandé la relaxe pour Damien P. et Marc-Henri S., poursuivis pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, mais également pour faux en écriture publique. Une relaxe, « faute de preuves suffisantes ». Un choix notamment consécutif à la rétractation et la soudaine « amnésie totale » à l’audience d’un gardien de la paix qui avait livré un témoignage clé à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).

« Je ne peux pas me fonder dans ces conditions sur de telles déclarations, je le regrette », a concédé Loïc Pageot. Estimant le « parole contre parole » insuffisant pour requérir une condamnation, le procureur a fait part d’une « certaine frustration » dans ce dossier.

Une enquête accablante de l’IGPN, mais pas d’instruction

En 2020, des rumeurs de violences commises par des fonctionnaires de la BTC des Quatre-Chemins dans deux points de deal importants de Pantin, les cités Scandicci et des Courtillières, attirent l’attention de la commissaire en poste à l’époque.

Le parquet de Bobigny saisit l’IGPN le 24 avril 2020, et les conclusions de l’enquête sont alarmantes. Elles mettent en lumière des pratiques extrêmement violentes au sein de cette brigade : bras cassé, passage à tabac, détention de stupéfiants et d’armes, rackets, insultes, perquisitions illégales…

« Ils les entraînent [les jeunes] jusqu’en salle de fouille et après, on les entend hurler », a ainsi détaillé un policier à l’IGPN. Depuis l’enquête, Raphaël I. n’est plus policier. Il a démissionné et s’est reconverti en développeur informatique. Ses anciens collègues ont eux été mutés dans d’autres villes.

Un tiers des faits rapportés dans l’enquête de l’IGPN ont fait l’objet de poursuites devant le tribunal, et aucune investigation supplémentaire n’a été menée en l’absence d’ouverture d’information judiciaire.

« J’ai poursuivi les faits pour lesquels des preuves formelles avaient été recueillies », s’est justifié le procureur Pageot, interrogé par Les Jours, qui a aussi dit avoir voulu éviter une procédure à rallonge.

Durant ces trois jours d’audience, les avocat·es des parties civiles comme de la défense, n’ont eu de cesse de regretter cette absence d’instruction de l’affaire. Tous et toutes ont déploré qu’aucun placement sur écoute des policiers, aucune perquisition, aucune exploitation de la géolocalisation des téléphones n’aient été décidés par le parquet au cours de l’enquête.

Théorie du complot anti-flic

La principale ligne de défense des avocat·es des prévenus a consisté à crier au « complot ». Un complot fomenté d’une part par des jeunes des cités qui voudraient trafiquer tranquillement « et faire tomber la police par le même coup », pour l’avocate du prévenu Damien P. Et de l’autre, par des gardiens de la paix « jaloux » des chiffres d’arrestations de cette brigade.

Ces chiffres, en effet, figuraient parmi les plus élevés au sein des effectifs du secteur. La défense a d’ailleurs mis l’action de la BTC des Quatre-Chemins en perspective avec la « politique du chiffre » imposée en matière de lutte nationale contre la drogue.

Désignée par les prévenus comme la tête pensante de ce complot, Ibtissam O., commissaire de la BTC du centre-ville, s’est défendue de toute rivalité vis-à-vis de la brigade. Elle qui a d’abord témoigné auprès de l’IGPN a expliqué vouloir « favoriser une police de proximité, la discussion, plutôt que l’interpellation, donc il n’y a aucune rivalité sur les chiffres ».

« La fin ne justifie pas les moyens », ont plaidé deux avocates des parties civiles. « Beaucoup plus de résultats, mais à quel prix », reprendra l’une de leurs consœurs. Dans leurs plaidoiries, des avocates de parties civiles ont tenu à replacer ce dossier dans un débat sociétal sur les dérives policières. « Les violences de la police sont un des terreaux du malaise social. Elles font perdre confiance dans la police, dans les institutions », a déclaré MColine Bouillon.

À l’audience, les prévenus ont démenti avec persistance les accusations. Ambiance pesante. En effet, plusieurs policiers en civil sont présents pour soutenir leurs collègues, contre seulement quelques jeunes de Pantin.

Au cœur de sa déposition, Yazid B. a aussi raconté venir des cités et avoir subi des insultes racistes au cours de sa vie. De ce fait, il ne pourrait jamais être le genre de policier « voyou » décrit au cours des débats. Un des avocats de la défense a fustigé quant à lui « des avocats militants » contre les violences policières, ciblant les bancs des parties civiles.

Lors des plaidoiries, cette formule du « complot » a disparu de la bouche des avocats de la défense, au profit de l’expression « convergence d’intérêts ».

L’avocat du chef de la brigade, Christian M., a regretté qu’on attende de la police qu’elle soit irréprochable, alors que ces hommes « font leur travail ». Son client est poursuivi pour avoir cassé le bras d’un mineur à coups de matraque, lui causant 45 jours d’incapacité totale de travail (ITT). L’avocat a demandé que son client soit jugé « comme un justiciable lambda » avec « des circonstances atténuantes ».

Violences illégitimes des policiers contre paroles illégitimées des jeunes

Jeunes de cité, connus de la police et, pour certains, condamnés pour ventes de stupéfiants, les parties civiles sont dans une position inhabituelle, aussi bien pour les juges, que pour eux-mêmes. À tel point qu’une des avocates souffle à son client appelé à témoigner : « Vous n’êtes pas accusés », alors qu’il se retrouve à justifier des coups reçus et des raisons de son arrestation.

« Vous savez très bien que je ne vais pas gagner face à des policiers, je ne vais pas vous faire un dessin », a même déclaré Ahmed qui témoignait dans le box du fait d’une condamnation précédente.

« On a l’impression de faire un travail de défense de la crédibilité des victimes », explique l’avocate d’un des plaignants. Du côté de la défense, les accusations des jeunes sont systématiquement remises en cause, à l’image des questions rhétoriques adressées à la commissaire qui a lancé l’alerte : « Un délinquant, ça ment ? Un délinquant, ça crie aux violences policières ? »

Une victime qui fait tache pour la défense : le gardien d’immeuble

Cependant, l’une des accusations visant le gardien de la paix Raphaël I., surnommé « le violent », fait tache. Les faits ont eu lieu au Pré-Saint-Gervais, hors de la zone d’intervention de la brigade. Raphaël I. est accusé d’avoir porté trois coups de poing au thorax d’un gardien d’immeuble qui descendait ses poubelles. À la fin de cette scène, un témoin raconte que le second policier, poursuivi pour non-assistance à personne en danger, lui aurait crié : « C’est pas lui. »

« Mon client était au mauvais endroit, au mauvais moment », conclut l’avocate du gardien. Raphaël I. a nié en bloc ces accusations. Il s’est tourné vers la victime et lance : « Est-ce que c’est bien moi ? » La victime lui a répondu en le regardant droit dans les yeux : « Je confirme. » Mais l’ancien policier ne s’est pas démonté : « Soit il se trompe, soit il ment. Je ne sais pas s’il a été conseillé pour me dénoncer. » 

Le témoin comme la victime ont été affublés du qualificatif « anti-flic » dont ils doivent se défendre sans cesse. Mais le gardien d’immeuble s’avère être ASVP (agent de surveillance de la voie publique) et souhaite rejoindre la police municipale.

Anissa Rami

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