Au vu de leur quantité et de leur ton, on pourrait croire que les publicités pour les jeux de hasard en général et les paris sportifs en particulier ne sont ni régulées, ni réglementées, et pourtant…

Il suffit de consulter le décret du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l’Autorité nationale des jeux et notamment son titre VII, pour se rendre compte que certains opérateurs font exactement tout ce qu’ils n’ont pas le droit de faire.

Le texte interdit ainsi toute communication commerciale qui suggère que « jouer contribue à la réussite sociale ». En lisant ça, difficile de ne pas penser à la dernière publicité de Winamax et à l’ascenseur qui propulse la daronne directement en première classe d’un avion. Niveau imaginaire collectif, difficile de faire référence à l’ascension sociale de manière plus claire qu’avec un ascenseur…


L’ascenceur social de Winamax aurait du être sanctionné. 

Le décret prohibe également toute communication qui « valorise » le jeu ou encore « toute mise en scène de personnalités ou de personnages appartenant à l’univers des mineurs » ou « toute publicité orientée vers les enfants ou les adolescents, ou particulièrement attractive pour ceux-ci en raison notamment d’éléments visuels, sonores, verbaux ou écrits ».  Là encore, difficile de ne pas penser aux influenceurs dont on sait qu’ils attirent un public souvent mineur. Difficile aussi de ne pas penser aux stratégies marketing sur les réseaux sociaux tels que TikTok ou Snapchat dont on sait qu’ils sont les plus consommés par les mineurs. Une stratégie promotionnelle affichée et déclarée à l’Autorité Nationale des Jeux qui admet que le ciblage renforcé des jeunes est pour eux un point de vigilance.

Comment des publicités qui contreviennent à la loi de manière aussi objective peuvent-elles être autorisées ? On en a discuté avec Aurélien Taché, député du Val d’Oise (les Nouveaux Démocrates) qui a adressé une question écrite au ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire et un courrier à la présidente de l’ANJ, Isabelle Falque-Pierrotin.

BB : Avez-vous, vous aussi, noté, notamment durant cet Euro la place importante des publicités pour les sites de paris sportifs ?

Aurélien Taché : Je l’avais remarqué de manière factuelle, empirique, ces pubs sont de plus en plus présentes. Il y a eu une accélération avec l’Euro mais ça fait un peu de temps que c’est partout et que c’est ciblé sur les jeunes hommes de milieux urbains. Le phénomène avait commencé à me frapper depuis quelques mois avec une montée en puissance de ces sites et une communication qui marquait les esprits. C’est facile à remarquer car peu de stratégies marketing sont autour de ces cibles généralement.

Il n’y a pas de prise de conscience très forte de la part du gouvernement.

Pourquoi vous être saisi de ce dossier ?

Je ne suis pas dans une démarche de prohibition, il ne s’agit pas d’interdire ou d’être moralisateur mais de se rendre compte qu’il y a des conséquences sociales considérables. Les chiffres de l’ANJ le démontrent. Ce sont des hommes jeunes, avec des revenus modestes, qui sont déjà touchés par la crise sociale post-Covid de plein fouet, c’est aussi ce qui me préoccupe, tous ces jeunes qui vont se retrouver endettés.

Et aujourd’hui, rien n’indique que le gouvernement a conscience de ça. Je ne suis pas certain que le ministère des sports se soit penché sur la question et qu’il se rende compte que le parieur n’est pas forcément issu de la classe moyenne, d’un certain âge mais aussi des jeunes avec des revenus modestes. Il n’y a pas de prise de conscience très forte de la part du gouvernement.

Avez-vous eu des témoignages émanant de citoyens de votre circonscription ?

Mes équipes locales, mes attachés à Cergy me disent que c’est un vrai phénomène et qui le voient mais il n’y a pas eu des parents qui m’ont interpellé. Néanmoins je crains que ça finisse par arriver, on voit le phénomène quand on s’intéresse à ce qui se passe sur le terrain, on me dit que ça touche de plus en plus de jeunes.

En toile de fond, c’est un phénomène qui concerne des populations pour qui on ne fait pas grand chose.

Pourquoi peu de politiques se saisissent de ce sujet ?

Il faut déjà en avoir connaissance. Peut-être que les uns et les autres ont remarqué les publicités, en discutent et se rendent compte que ça se généralise. A ce stade, c’est par mes connaissances que je suis conscient de ça. Maintenant on va voir ce que ça donne du côté des leviers officiels. Et puis, en toile de fond, c’est un phénomène qui concerne des populations pour qui on ne fait pas grand chose.

Qu’espérez-vous de votre saisine du gouvernement et de l’ANJ ?

Déjà, l’ANJ ne pouvait pas réguler la pub auparavant, c’est possible désormais. Grâce travail du BB, c’est un sujet qui a pris de l’ampleur et il faut faire en sorte qu’une stratégie soit mise en place de leur côté. Que les campagnes soient moins orientées vers un public qui peut-être socialement et particulièrement touché par les effets de la crise et qui aura du mal à faire face s’il consomme trop de paris. Il faudrait que les campagnes de pub soient plus génériques.

Que le gouvernement prenne ses responsabilité, et que les établissements bancaires agissent face à ces situations d’endettement.

Que le gouvernement regarde du côté de ses relations avec les banques pour qu’elles agissent pour réduire un peu l’endettement. On va se retrouver avec des jeunes qui peuvent être endettés avec une absence d’aide pour eux. Que le gouvernement prenne ses responsabilité, et que les établissements bancaires agissent face à ces situations d’endettement.

Pourquoi ces publicités sont-elles permises alors qu’elles contreviennent aux règles encadrant la publicité pour les paris sportifs ?

On a des opérateurs qui ne respectent pas la loi et c’est inquiétant que le gouvernement ne se soit pas saisi de la question. Il n’y a pas d’explication logique à cela. Il faut d’abord essayer de faire bouger les lignes mais la prochaine étape c’est peut-être d’aller en justice, que des familles touchées saisissent la justice.

LREM est assez éloignée des problématiques urbaines, elle connaît mal ces problèmes qui touchent cette jeunesse des quartiers populaires.

Pourquoi la France est en retard au niveau de la législation quand on sait que des mesures ont été prises en Espagne et en Italie ?

Chaque pays a son contexte, certains gouvernements sont plus en prise avec les milieux populaires, ont pu agir plus vite et ont plus de puissance que les partis en France qui peuvent agir pour les quartiers populaires. LREM est assez éloignée des problématiques urbaines, elle connaît mal ces problèmes qui touchent cette jeunesse des quartiers populaires. Et puis, je ne serais pas surpris qu’en termes de lobbying, les opérateurs aient pu trouver une oreille attentive chez quelqu’un au gouvernement, ça pourrait être une explication.

Propos recueillis par Latifa Oulkhouir

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