Vendredi 22 juillet, plusieurs milliers de personnes se sont réunies à Beaumont-sur-Oise pour une marche blanche en hommage à Adama Traoré, mort à 24 ans entre les mains des gendarmes. A une émotion vive s’étaient ajoutés, parmi les proches et les soutiens, un sentiment d’injustice prégnant et un profond désir de vérité. Reportage.
Des grands gaillards aux yeux embués de larmes. C’est une des images qui restera de cette marche blanche organisée, vendredi 22 juillet, à Beaumont-sur-Oise en hommage à Adama Traoré. Tous pleurent, cet après-midi là, la mort de ce jeune homme de 24 ans quatre jours auparavant alors qu’il se trouvait dans un véhicule de gendarmerie après avoir été interpellé. Un rassemblement sous forme d’exutoire pour les jeunes de Beaumont-sur-Oise et des alentours. Comme si, à la colère immédiate qui les avait envahis dès le soir même du drame, avait définitivement succédé cette émotion, que l’on ressentait à chaque instant ce vendredi. Pendant les longs moments de marche ponctuée de silences et de discours, c’était comme si Beaumont réalisait tout juste qu’Adama était bel et bien décédé. Les regards enfoncés dans le vide trahissaient les longues pensées de ceux qui se considéraient comme ses « frères ». Putain, Adama est mort.
A 17 heures, ils étaient un peu plus d’un millier à attendre le départ de la marche sur l’étendue de sable un peu vieillotte qui sert de terrain de foot à la cité Boyenval où vit la famille Traoré. Un des frères d’Adama Traoré, Baguy, est là, vêtu d’une longue djellaba marron. Tour à tour, les jeunes du quartier l’étreignent. « Sois fort, mon gars », lui glisse l’un d’entre eux à l’oreille. « On est ensemble ». C’est la famille Traoré qui est à l’initiative de cette mobilisation. Comme lorsqu’il s’agit d’organiser une conférence de presse en plein air. Lassana, Assa, Samba et les autres frères et soeurs du défunt déplient les tables, réclament la sono, placent les journalistes… et les jeunes. « On veut le maximum de monde derrière nous, clament-ils. On veut montrer que tout le monde est là pour Adama ».
« Ce combat pour la vérité, nous allons le mener jusqu’au bout »
Une vingtaine de journalistes sont présents pour couvrir la conférence de presse de la famille et de son avocat, Frédéric Zajac. Parmi eux, une équipe a rapidement été priée de plier bagage. « On accepte tout le monde sauf BFM », lance un des organisateurs. Le traitement de la mort d’Adama Traoré par la chaîne d’information en continu a beaucoup déplu chez les habitants. Les autres confrères, eux, sont bien là, pas non plus toujours très bien perçus. Pas non plus toujours très adroits, comme en témoigne le décalage criant entre des journalistes qui s’écharpent longuement sur la position de leur micro ou le déroulé du point presse et le deuil d’une famille et de toute une ville. Une d’entre elles est d’ailleurs sèchement rabrouée lorsqu’elle tente maladroitement d’imposer une séance de questions-réponses. « Nous sommes en retard pour la marche, ce n’est pas à vous de nous imposer vos conditions », lui rétorque un des frères d’Adama Traoré.
La famille, les proches s’appliquent à cadrer l’événement. Quelques minutes auparavant, un « grand frère » du quartier prend à part quelques jeunes. « Ce que l’on veut, ce que veut la famille, c’est que cette journée se passe dans de bonnes conditions. Il faut respecter la mémoire d’Adama : ne cédez ni à la provocation ni à la violence. » Le message sera clamé à longueur de journée.
Eviter à tout prix que la moindre image de débordement ne vienne entacher ce que l’on retiendra de cet hommage. La colère, elle, même maitrisée, ne peut toutefois être retenue. « On n’en peut plus, explique au micro, Lassana, un des frères d’Adama. On entend tout et n’importe quoi depuis quelques jours. On est là, aujourd’hui, pour la vérité ». Plus tard, la prise de parole poignante d’Assa, une des soeurs, retiendra toutes les attentions. « On a tué mon petit frère le jour de son anniversaire, dit-elle en posant son regard sur celui des journalistes qui lui font face. Il est mort, seul, dans des conditions atroces. Ce combat pour la vérité, nous n’en voulions pas mais il est là, aujourd’hui, et nous allons le mener jusqu’au bout ».
« C’est la première fois que je me mobilise comme ça »
Il est quasiment 18h lorsque le cortège démarre pour de bon. Ils sont nombreux, sûrement plus de trois mille, à marcher en la mémoire d’Adama Traoré sous un soleil de plomb. Au début du parcours, une riveraine propose aux passants de remplir leurs bouteilles d’eau. Cette ancienne professeur d’allemand de 76 ans a assisté, dès la nuit de mardi à mercredi, à la colère des jeunes et à l’embrasement du quartier. « C’est ici, devant chez moi que la première voiture a brûlé », raconte-t-elle. Pour autant, pas question pour elle de blâmer les jeunes. « La colère ? Bien sûr que je la comprends ! Je suis la première à être en colère. Il y a un sentiment d’injustice, des erreurs de chaque côté… Moi, j’aimerais seulement que tous ces gens se parlent ».
Pour beaucoup en tout cas, le simple fait d’être là en dit long sur la douleur ressentie. Parmi eux, Youssouf qui a fait une demi-heure de transports pour venir, seul, depuis Sarcelles. « Moi, je n’ai jamais manifesté, jamais participé à des marches… C’est la première fois que je me mobilise pour ce genre de choses, raconte cet étudiant de 22 ans. Mais il fallait que je vienne. Pour moi, c’est un frère qui est mort. Et la façon dont il est décédé ne doit pas nous laisser différent. Ce n’est pas loin de ce qui se passe aux Etats-Unis… » Dans la foule, on entend souvent le slogan « Pas de justice, pas de paix », le plus scandé par les manifestants.
« Ne nous oubliez pas, on a encore besoin de vous »
Cette marche avait cela de particulier qu’elle transpirait l’authenticité. Même les associations et les personnalités présentes se sont effacées devant la force de l’élan. « Quand je vois ça, je suis fière de mon quartier, s’enthousiasme Anne, 30 ans. Je vis à Bordeaux mais j’ai grandi à deux pas d’ici, à Persan. Je suis en ce moment en vacances chez ma mère, avec mes enfants. Je me suis immédiatement sentie concernée par la mort d’Adama. Voir les gens se mobiliser comme ça, c’est beau ».
A la fin de la marche, le président de SOS Racisme, Dominique Sopo, s’invite au deuxième rang du cortège, à point nommé pour les photos. Lui et son équipe sont un peu chahutés par des soutiens de la famille Traoré. « Vous n’êtes pas les bienvenus ici. Vous ne faites rien pour nous toute l’année et vous venez vous montrer aujourd’hui ? » Le ton est ferme, pour ne pas dire virulent. La jeune équipe de SOS Racisme finit par s’éclipser discrètement.
Avant que la foule ne se disperse, les frères et soeurs d’Adama Traoré reprennent la micro. Assa Traoré remercie, à plusieurs reprises, toutes celles et ceux qui ont « répondu à l’invitation ». « Vous êtes nos frères, maintenant. Et ce combat, c’est aussi le vôtre ». Lassana Traoré embraye : « Ce qui s’est passé aujourd’hui, c’est tout ce que j’espérais pour Adama. On a fait les choses dignement, proprement. On n’est pas des voyous. Maintenant, on vous demande une chose : ne nous oubliez pas. On aura encore besoin de vous ». Assa, elle, y va de son message politique. Elle se met à lire une adresse au président de la République : « M. Hollande, qu’auriez-vous dit, qu’auriez-vous fait si cela était arrivé à votre fils Thomas plutôt qu’à notre frère Adama ? ». Un prochain rassemblement à Paris est déjà annoncé. Au micro, Amal Bentounsi, membre du collectif « Urgence Notre Police Assassine », rappelle les chiffres liés aux morts « entre les mains des forces de l’ordre »: « On n’en peut plus de voir nos frères mourir parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur de peau, parce qu’ils ne viennent pas du bon quartier, parce qu’ils n’ont pas d’argent ! »
Il est environ 20 heures quand le rassemblement prend fin. Des jeunes sont encore là, assis, ensemble, presque désireux de prolonger ce moment, cet hommage, cette émotion. Mama Traoré, une des soeurs aînées d’Adama, se confie : “Quand Zyed et Bouna sont morts, j’étais évidemment touchée. Mais là, quand tu reçois un appel qui te dit « Votre petit frère Adama est mort au poste de gendarmerie… » Sa phrase, elle la laissera en suspens, incapable de la terminer. Autour d’elle, ils sont nombreux, incapables, eux, de sécher leurs larmes.
Ilyes Ramdani avec Sarah Ichou et Rouguyata Sall
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