– Y a pas de problèmes, ils vont juste demander nos papiers, me rassure mon ami.

Nous étions deux, nous ne faisons rien de mal. Ils étaient deux, mais j’allais vite comprendre qu’ils arrivaient pour nous faire du mal. 

Une fois à notre niveau, et sans nous saluer d’aucune manière que ce soit, ils nous demandent de poser nos bières sans gestes brusques, de nous lever, puis de nous mettre face au mur. Le canon du Flash-Ball se relève légèrement, comme pour nous encourager à obéir. C’est la première fois que je me sens menacé par une arme.

Et sincèrement, j’hallucine ! J’ai l’impression de subir une rafle ; jamais je n’aurais imaginé qui que ce soit m’ordonner de me mettre face à un mur, comme pour attendre mon exécution. J’obtempère, mais l’air très inconvenant, pour signifier d’entrée que je ne suis pas en accord avec leurs méthodes. Je me lève doucement, les mains dans les poches, la tête bien haute, et pivote au ralenti pour me retrouver face à un mur gris, où je peux lire d’obscènes inscriptions. 

Mes manières ne plaisent pas du tout à l’un des deux flics, un gars plutôt petit, un peu gros, l’air d’une boule.

– Toi, tu sors les mains de tes poches ! me demande t-il sévèrement.

Je m’exécute, montrant mon agacement en soufflant, et laisse pendre mes bras le long de mon corps. Yacine me lance un regard accusateur : je comprends que nous avons tout à gagner en coopérant.

– Bon les jeunes, vous foutiez quoi sur ce banc ? questionne l’autre flic, plus grand et, semble t-il, beaucoup plus costaud. C’est lui qui tient le Flash-Ball.

– On attend mon cousin qui habite ici, répond calmement Yacine, en désignant la barre d’immeuble de l’autre côté de la rue.

Les deux flics laissent s’installer un court silence, témoignage de leur incrédulité, avant que le petit gros ne brusque soudainement le ton.

– Ok, on va vérifier ça tout de suite ! Vous vous retournez, face à nous, et vous videz vos poches.

Une subite envie de rébellion m’envahit, mais je ne la laisse pas me submerger et obéis. Je retourne les deux poches de mon pantalon de sport et n’en sors qu’un téléphone portable. Yacine trouve lui aussi son portable mais il tient également à la main son portefeuille.

– On pourrait voir ce que cachent les deux poches arrière de ton jean ? lance le flic le plus costaud à mon ami.

– On peut rien y rentrer : elles sont trop fines, indique t-il tout en se retournant et en glissant ses doigts dans deux petites poches pour en prouver le vide.

Mon cœur se met à battre à toute allure. J’ai oublié de retourner mes deux poches intérieures, dont l’une renferme mon portefeuille. Dois-je les vider maintenant ? Avant qu’on ne me l’ait demandé ? Est-ce que ça ne va pas paraître trop suspect ?

– Attendez les jeunes, je comprends pas bien : il est où le shit ?! lâche le costaud d’un air faussement abruti.

 Nous ne répondons pas. Mon cœur frappe ma poitrine comme un bélier. Je sens les évènements prêts à m’échapper. J’ai complètement perdu l’envie de faire de la provocation.

– On deale pas, trouve le courage de répondre Yacine.

La tension monte d’un cran. Nos yeux s’enflamment. Le regard des flics se fait incandescent.

– Très bien, se détache brusquement le costaud, on va s’occuper des papiers dans ce cas.

J’attrape mon portefeuille dans une de mes poches intérieures non contrôlées et, voyant que les policiers ne réagissent pas plus que ça, me décontracte immédiatement. Les deux flics ne se sont pas aperçus de leur oubli, ils n’ont sans doute même pas repéré l’existence de ces poches. Je sors ma carte d’identité et la tend au petit gros.

 Les battements de mon cœur ralentissent, j’entrevois la sortie des ennuis. Yacine a toujours sa carte d’identité sur lui. Et puis il est Français depuis quelques mois. Les problèmes de passeport, de carte de séjour, de nationalité, c’est terminé ! Je me détends, comme si la trêve s’apprêtait à être signée et qu’il restait à contrôler les formalités administratives.

 J’oubliais qu’une trêve, dans une guerre, n’est signée qu’avec le consentement de tous.

– C’est bon toi, me souffle le petit gros sans même jeter un regard à ce que je lui tends, repoussant presque ma carte d’identité.

Je suis désarçonné. Mes yeux viennent rencontrer le regard flamboyant de Yacine. Un poignard acéré n’aurait pas autant creusé la balafre qui désormais ouvre un abîme en mon cœur de petit Français. Je ne sais plus quoi faire de ma carte d’identité, je ne sais même plus à quoi elle me sert.

Le costaud fait passer la carte d’identité de Yacine au petit gros. Dubitatif et en haussant très légèrement les épaules, ce dernier la remet à mon ami sans une parole.

– Je vous remercie les jeunes, nous dit le costaud avant de partir. On pistait un dealer, mais vous ne correspondez pas à sa description.

Sur cette justification, lui et son collègue se retournent.

– Allez, bon après-midi, lance t-il en regagnant le véhicule où attend le troisième policier.

Je me rassois sur le banc, avec Yacine qui, suivant les flics des yeux, marmonne quelques insultes histoire de se défouler.

– Ouais, bonne après midi, sales fils de pute ! Putain les enculés ! Ca y est : j’ai une tête de maillon et c’est moi le dealer ! Ca m’enfade, t’imagines même pas !

Je baisse les yeux, sans répondre. Mieux vaut attendre que le calme dissipe la tempête.
La voiture des flics démarre, elle passe en vitesse devant nous. Une trêve est signée, mais nous sommes loin de la paix. Chacun va ruminer dans son petit coin. Jusqu’à la prochaine rencontre, jusqu’à la prochaine bataille. Aujourd’hui, j’ai été témoin d’une guerre invisible.

Sylvain Roux (Lycée Aristide Maillol)

Sylvain Roux

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