Fin avril, le rappeur Rost se trouvait aux USA. Lorsque Freddie Gray, un jeune noir, est mort une semaine après son interpellation musclée à Baltimore, le Président de l’association Banlieues Actives est allé manifester dans les rues de New York.

Bondy Blog : Vous étiez au rassemblement du 30 avril à New York, pourquoi ?

Rost : Par hasard. J’avais pris dix jours de vacances avec mes enfants, j’avais envie de les emmener à New York afin qu’ils s’ouvrent sur le monde… On était en train de marcher et je commence soudain à entendre des voix s’élever et des gens brandir des panneaux puis à scander : « No Justice No Peace« . Je me suis dit « tiens, c’est le même slogan qu’on scande dans les manifs à Paris quand il y a des assassinats policiers ». Donc du coup je me suis rapproché du mouvement et j’ai réalisé que c’était par rapport au gamin qui avait été tué à Baltimore. Ça rejoignait ce qui s’est passé à Ferguson. J’ai donc enchaîné avec eux et mon fils, le plus grand, est venu avec moi. Il était super content de faire sa première grosse manif… À New York ! Il répétait le slogan, et même si à dix ans, on ne comprend pas tous les enjeux, je lui ai expliqué exactement ce qu’il se passait. On a manifesté jusqu’au moment où ça a dégénéré : il y a eu une soixantaine d’arrestations et puis des gaz lacrymogènes ont été balancés et tout ça…

Qu’avez-vous ressenti en marchant aux côtés de ces citoyens new yorkais ?

C’était bizarre ce que j’ai ressenti… À Paris, les manifestations sont moins virulentes que là-bas. Ce soir-là, on sentait qu’il y avait une ferveur, quelque chose de très très fort en termes de revendications, d’affirmation et de détermination. La volonté était ferme et on le sentait déjà à la manière qu’ils avaient de scander le slogan, dans le regard des gens qui étaient présents, leurs mouvements, les gestes qu’ils avaient, la façon de marcher… Ce sont des gens qui ont vécu des choses et qui désormais disent « non, on ne veut plus de ça« . Il y a toute une histoire derrière et cela se ressent, quand on est à leurs côtés.

Pourquoi en France n’a-t-on pas la même ferveur ? Qu’est-ce qui nous manque, à la fin ?

On a pas la même histoire que les États-Unis. Et puis on est incapables de réfléchir en se disant que l’objectif est le même au final, qu’on est sur le même bateau. J’aurai tendance à faire un parallèle mais qui peut être mal compris… Pourquoi il n’y a pas de bavures policières sur les membres de la communauté juive ? Parce que ce sont des gens qui sont déterminés à ne plus jamais se laisser marcher dessus. Par contre, les autres « communautés », que l’on appelle « minorités » mais qui représentent une grosse majorité (et à qui on continue de faire croire qu’ils sont une minorité), ils n’ont toujours pas saisi que les divisions internes doivent impérativement être mises de côté pour un objectif commun. De toutes façons, le jour où le bateau coulera, on sera tous dedans.

Le regard des gens, de l’oppresseur, est le même sur « lui » que sur « moi ». Dès qu’il y a la moindre bavure, la moindre injustice subie par les uns et les autres, issus de nos conditions ou de nos milieux, il faut qu’on soit ensemble, pour combattre. Un jour c’est l’autre, le lendemain ça peut être toi. J’ai sacrifié une partie de ma carrière pour ces engagements, et les événements de janvier m’ont prouvé encore plus que ça n’arrivait pas qu’aux autres. Parce que figurez-vous que moi, il y a une vingtaine d’années de ça, qui travaillais à l’époque chez un fleuriste, quand je sortais de mes règlements de compte, de mes histoires de bandes où j’ai perdu plein de potes, où moi-même j’ai failli mourir plein de fois, il y a deux personnes qui m’ont accompagné à cette période pour m’aider à sortir de cette situation. Qui aurait pensé que ces mêmes personnes auraient été touchées par des attentats islamistes ? Le gérant de l’Hypercasher de la Porte de Vincennes, qui a été pris en otage, c’est le frère de celui qui m’a sorti de la merde. Lui et son frère sont les deux personnes qui on été présentes pour moi. L’un d’eux est le parrain de mon fils. Ce sont des gens de ma famille. Mais qui, il y a vingt ans, ce serait imaginé une seule seconde qu’un jour on vivrait ça…? Charlie Hebdo, c’est pareil. Je recevais un texto de Charb deux jours avant son assassinat…

Pourtant on continue à entendre que la communauté juive est « protégée » ?

On a toujours besoin des boucs émissaires pour justifier notre propre « incapacité à ». Trouver des responsables à nos maux. Des personnes ont cultivé ça et continuent à se maintenir là-dedans pour expliquer leur manque de mobilisation. Il faut s’en prendre à personne. Les premiers responsables de ce qui nous arrive, avant tout, c’est nous-même. On est la cause de notre propre mal. Mais attention, je ne veux pas que mes propos soient mal interprétés. Moi ce que je dis aux miens, c’est : plutôt que de passer votre temps à dire « oui, les Juifs ci, les Juifs ça », arrêtez de pleurnicher sur votre sort. Je sais que c’est compliqué quand on vient du sous-sol (je sais de quoi je parle, je viens du -10 ). Mais à un moment donné, il faut avoir le déclic. La chance que j’ai eue, c’est d’être passé au travers des balles, par contre j’ai su me réveiller. Il y a système, on passe notre le temps à le critiquer, mais ce même système, c’est aussi nous. Il faut analyser comment il est structuré et comprendre ses règles pour savoir comment avancer. Je ne suis absolument pas -et j’insiste là-dessus- communautariste pour un sou, mais je pense qu’une communauté qui souhaite qu’on la respecte, qu’on la considère comme il se doit, elle doit être réactive et de la façon la plus ferme possible à chaque débordement. Même s’il est minime. De manière à ce que ceux qui sont en face, les oppresseurs, se disent qu’ils ne pourront jamais nous baiser. Il faut que le signal soit fort.

Baltimore, Clichy-sous-Bois, même combat ? 

Il y a toujours des victimes et ceux qui sont de l’autre côté de la barrière. Il a toujours eu des peuples dominateurs et d’autres dominés. Or il y a un moment où les dominés doivent se réveiller. On n’enrayera pas du jour au lendemain ce phénomène de rage et de haine. Il faut que chaque citoyen, avant même que cela deviennent la responsabilité des politiques (qui eux ne sont normalement que les garants du pouvoir que leur confie le peuple), de se lever à chaque fois que quelqu’un déborde au-delà de ses opinions personnelles. Que l’autre déteste untel, c’est son problème, tant qu’il n’atteint pas à la vie des autres. On a tous notre responsabilité là-dedans et on est coupables de notre indifférence. À force de se lever, ces gens-là se diront que ce n’est plus possible de le faire.

À Baltimore, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Vous avez cette procureur, noire, qui arrive dans un état où, en plus des événements qui ont eu lieu juste avant, si elle avait laissé passer ça, c’était donner carte blanche à tous ces assassins. À ces criminels racistes, on donnait le permis de tuer comme ils ont envie de le faire. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je n’ai jamais aimé Nicolas Sarkozy quand il est arrivé au pouvoir : parce que ce mec, en tant que ministre de l’Intérieur, dit une phrase, « c’est tolérance zéro« , au moment où il a dit ça, mon sang s’est glacé. Ça m’a rappelé la fin des années 80, où Charles Pasqua était ministre de l’Intérieur, et nous avons eu la période avec le plus de meurtres racistes dans ce pays. Des bavures policières, il y en avait tout le temps. Ce mec avait donné carte blanche pour tuer à tout-va et à l’époque, quand tu te faisais contrôler par les flics, on te tabassait autant qu’on voulait, parce que les flics se savaient protégés par leurs hiérarchies et ne craignaient rien.

En 2004, quand j’ai sorti mon album « La Voix du Peuple », avec cette chanson, « Rev’S’Olution », dans laquelle j’expliquais aux politiques que ça allait exploser dans les quartiers si les choses ne changeaient pas. On m’a pris pour un dingue. On a censuré le titre. Sauf que quelques mois après… On a eu Clichy. Même aujourd’hui, je ne sais pas si les gens ont pris conscience de ce qui s’est passé. Comment des jeunes qui n’ont strictement rien à se reprocher sont prêts à prendre le risque de mettre en danger leur propre vie juste pour éviter un contrôle d’identité ? Ça veut bien dire que les contrôles policiers ne sont pas fait dans le respect. La question sur l’exercice de leur fonctions, il fallait la poser mais on a préféré détourner les choses. Heureusement sur la rue s’est réveillée.

La rue s’est réveillée, mais lundi dernier, le 18 mai 2015, le verdict dans le procès de Zyed et Bouna est tombé. Et les deux policiers ont été relaxés…

Aux USA, il y avait une telle tension qu’ils avaient tout intérêt à condamner les policiers. Ici, on assiste à une non condamnation. Parce que c’était un noir et un arabe, et que ça ne méritait pas que les policiers soient désavoués. Or, en faisant ça, ils insultent la mémoire de ces gamins, ils insultent leurs parents et ils insultent notre intelligence. Parce que pendant très longtemps, ils ont pris nos parents pour des cons -parents qui, pour la plupart, n’avaient pas fait d’études, ou qui ne comprenaient pas bien le fonctionnement du système, qui sont arrivés ici et dont la seule priorité était de nous nourrir pour qu’on puisse s’instruire.

Nous, notre génération est différente. On a compris les choses, on a vu la façon dont nos parents ont été traités. Et on refuse d’être traités de la même manière. La société fonctionne d’une certaine façon, comprenons ses rouages, pour ne plus se laisser faire. Quand j’ai appris le verdict, j’étais tellement remonté… J’étais persuadé que les flics allaient écoper au moins d’une amende. Sauf que la condamnation exige réparation à la famille. Je pense que c’est ça, aussi, qui a du peser. S’ils condamnaient les flics, l’État aurait été obligé d’indemniser les familles. Donc ces deux gamins sont morts gratuitement, ça me révolte. Mais il ne faut pas baisser les bras.

Vous êtes président de l’association Banlieues Actives. Ne croyez-vous pas que les banlieues, françaises, américaines, n’avancent pas et parfois même, reculent ? Certains jeunes peuvent vous dire que ces contrôles au faciès ont toujours lieu depuis que François Hollande est au pouvoir…

Vous savez, s’il suffisait d’un seul homme pour changer toute la société… Et les mentalités… Ça se saurait. C’est pas l’arrivée de Hollande qui va changer la mentalité du policier qui n’aime pas les noirs et les arabes. D’ailleurs, c’est peut-être même contreproductif. On ne change pas les gens. En revanche il y a un système que l’on contribue à changer. Parce qu’il y a de nouvelles directives. Les mecs savent qu’ils peuvent être sanctionnés, donc ils réfléchissent dix fois plus avant d’agir. On ne changera pas leur manière d’être, quand on a procédé d’une façon pendant des décennies, c’est pas en deux ans ou en trois ans, ou même en cinq ans que vous allez changer. Donc tous ceux qui pensent qu’il y a depuis Hollande des contrôles au faciès, oui, il y a des policiers racistes ou qui veulent faire de l’excès de zèle, quelque soit le pouvoir en place, mais le jour où ils iront trop loin, il peut y avoir des conséquences et c’est ça qui change tout.

Je sais que le temps du peuple n’est pas le temps du politique, que le peuple est dans l’urgence, dans son quotidien, mais les changements ne peuvent se faire que sur le long terme. Et quand on s’instruit, quand on s’intéresse à l’histoire, au passé, à notre environnement, au monde dans lequel on vit, on comprend que les bouleversements qui ont eu lieu ont pris du temps. Les acquis se sont faits par des luttes. Regardez l’exemple de l’Afrique du Sud, de Nelson Mandela… 27 ans de prison… Et il a fini par faire tomber l’apartheid ! Mais il a fallu y croire, il a fallu le faire. Lui-même en a profité combien de temps ? Une dizaine d’années. Mais il y a ceux qui sont derrière. Même si on sort peu à peu de ce système, et c’est pas fini, c’est pas gagné, ça va prendre autant de temps que ça a duré. Jusqu’au moment où ça va s’équilibrer. Ou chacun trouvera sa place. Il y aura toujours des inégalités mais on les réduira.

L’an passé, François Hollande vous a nommé par décret présidentiel au Conseil économique, social et environnemental, en quoi consiste votre fonction ?

On m’avait proposé de candidater au Conseil Économique, j’avais refusé, parce que j’avais entendu parler en mal de cette institution, des gens disaient « ça sert à rien« , « on perd de l’agent là-bas pour rien« , « c’est des politiques qui placent leurs potes« . Et puis, l’année dernière, il y avait la fin de mandature des personnalités associées, qui ne sont pas membres permanents et qui sont là-bas une fois par semaine. Ce sont des agents externes mais qui apportent leurs contributions aux travaux de cette institution – que les gens méconnaissent d’ailleurs. La plupart des gens ne savent même pas que c’est la troisième chambre de la République. Que c’est la chambre de la société civile, contrairement à l’Assemblée et au Sénat. Cette chambre, c’est la chambre du peuple. Donc quand on m’a proposé à nouveau d’en faire partie, qu’on m’a expliqué en plus comment ça se passait, les travaux qui y sont faits, comment on procédait au sein de ce Conseil, je me suis dit que de toutes façons ça ne me coûtait pas grand chose d’y contribuer. Et je me suis dit que si de toutes façons ça ne me plaisait pas, je démissionne et je me barre. Franchement, je suis très heureux de participer à ces travaux. Je suis dans la commission culture et éducation. L’éducation pour moi c’est la base de tout. Donc porter ta contribution pour travailler sur les prochaines politiques de la France, sur ces domaines là, que demande le peuple. Et on y travaille.

Mais concernant l’égalité des chances, la droite n’est-elle pas plus encline à aller en ce sens ?

Sincèrement, je vais vous avouer une chose, la droite est beaucoup plus active sur ces questions depuis ces vingt dernières années. Je suis un homme de gauche, et qui l’assume, mais je vous dis qu’on (les gens de la diversité) avance beaucoup plus sous la droite que sous la gauche. Parce que la droite est pragmatique. Elle s’en fout, qu’elle t’aime ou qu’elle t’aime pas, si tu es efficace tu es pris. On a jamais autant avancé sur les questions de la diversité que sous Nicolas Sarkozy ! Même là, sous ce gouvernement actuel on a reculé, allez voir dans les Ministères ! Et pourtant j’ai fait la campagne de François Hollande, que j’aime beaucoup humainement. C’est quelqu’un que je soutiens à fond, mais honnêtement, il y a plein de gens autour de lui qui ne servent à rien, ne comprennent rien aux enjeux de notre société. Qui sont dans un déni absolu, en se cachant derrière l’égalité républicaine qu’ils nous brandissent tout le temps pour nous berner, pour mieux nous niquer (j’utilise le mot volontairement).

L’égalité républicaine n’existe pas. Les ministères n’ont jamais été autant peuplé d’énarques complètement déconnectés de la réalité alors que sous Sarkozy on avait quand même une vraie diversité. Hollande, depuis le début de sa campagne, il y a des personnes qui ont tout fait pour nous écarter, nous, les gens qui avions quelque chose à apporter du terrain. Il y a des gens bien à droite, à gauche. Et nous, on doit se demander qu’est-ce qu’on peut faire à notre niveau. Redonner de l’espoir à nos gamins, leur dire que les choses sont possibles. Ne pas attendre que ce soient les autres qui nous donnent. Le pouvoir ne se donne pas, le pouvoir se prend. Donnons-nous nous-mêmes nos opportunités, organisons-nous, structurons-nous pour imposer notre présence et notre participation dans la construction de ce destin commun.

Propos recueillis par Pegah Hosseini

Articles liés