Le 25 novembre 2007, deux adolescents circulant en mini-moto sont renversés et tués par une voiture de police à Villiers-le-Bel dans le Val d’Oise. S’en suivent deux jours d’émeutes entre les jeunes et les forces de police entraînant des dizaines d’arrestations, dont celle de Mara Kanté, accusé de tentative d’homicide sur des policiers. Dans le contexte des émeutes, souvent accompagnées de leur champ lexical : délinquants, racailles, casseurs…, difficile de démontrer son innocence.

C’est pourtant ce qu’a fait Mara Kanté qui a été acquitté en octobre dernier après avoir passé 29 mois derrière les barreaux. Aujourd’hui, ce jeune de 25 ans, qui était destiné à une carrière prometteuse dans le football, revient avec un livre qui témoigne de son combat pour prouver son innocence : « Préjugé(s) coupable(s). Villiers-le-Bel, une vie après les émeutes », coécrit avec la journaliste Aurélie Foulon.

Comment définiriez-vous votre histoire ?

Mara Kanté : C’est toujours difficile de qualifier toute cette histoire car elle a pris une grande ampleur. Elle ne se limite pas uniquement à moi. Il y a de plus en plus de personnes victimes d’injustices. Ce constat mène à une profonde réflexion ! J’ai vécu une grande iniquité dont les mots d’ordre sont : « Préjugé coupable, cicatrice judiciaire et prison pour rien » !

Quelle est la véritable raison de cette erreur judiciaire ?

Il n’y a pas une seule véritable raison, mais plusieurs ! Comme le titre de mon bouquin l’indique « préjugé(s) coupable(s) », il y a le suffixe : pré ! C’est-à-dire juger avant même de connaître la personne. Il y a aussi le contexte politique de l’époque, avec la droite à la tête du pouvoir. Ils ne nous ont vraiment pas raté ! Nicolas Sarkozy s’est beaucoup exprimé sur notre affaire, c’est ce qui a mis le feu aux poudres. Le message qu’il voulait faire passer : « On ne tire pas impunément sur les forces de sécurité ! » Il fallait donc que des têtes tombent pour donner l’exemple !

Avant de purger votre peine, que pensiez-vous des forces de l’ordre et de la justice ?

Pour moi, il s’agit de gens vivant dans un autre monde. Ils ne savent pas ce que nous vivons, mais ils nous cataloguent. Ils nous méprisent tout simplement, après il y a des bons comme des mauvais, c’est partout pareil !

Aujourd’hui, votre regard a-t-il changé ?

Non. Tout ce qui m’est arrivé vient confirmer certaines choses que je pensais ! Avant, je me disais qu’il n’était pas possible d’aller en prison pour rien. Maintenant je sais que c’est possible ! J’ai appris à mes dépens qu’il existe une certaine manipulation au niveau de la justice et des politiques. C’est une équation hyper complexe !

Comment affronte-t-on la prison quand on est innocent ?

Soit tu le prends avec philosophie ou soit tu es réfractaire ! Tu t’enfermes dans quelque chose de vindicatif. Ce qui te pousse inévitablement à être en marge et contre la société. Il y a une troisième option, c’est le suicide ! Prendre des médicaments, devenir un légume. Ce stade survient quand on ne maîtrise plus rien. On tombe dans ce cercle vicieux surtout si l’on n’est pas bien entouré !

On dit que la prison est l’école du crime, qu’en pensez-vous ?

C’est exactement ce qui se reflète en détention, dans la cour de promenade. Personnellement, je suis arrivé en réclusion avec un casier vierge et aucun antécédent judiciaire. Lorsque j’ai été incarcéré, j’ai été mis en isolement. Par la suite, j’ai été dans une prison où la plupart des détenus vivaient de l’économie parallèle : « des braqueurs, des escrocs, des vendeurs de drogues… ».

Tu côtoies des gens qui peuvent t’apprendre en un rien de temps à monter un business. Il faut dire que toutes les conditions étaient réunies pour sombrer dans cette spirale. Pour ma part, le mental a pris le dessus, avec la force que m’a procurée mon entourage. C’est certes un engrenage, mais on n’est pas obligé de tomber dans ces travers. On a toujours le choix !!

Des détenus vivent leurs détentions à l’aide de la musique ou du dessin, comment êtes-vous venu à l’écriture ?

C’est simplement suite à tout ce que j’avais vu ou entendu dans les médias. Ça m’énervait car je ne me reconnaissais pas là-dedans ! Je trouvais que les noirs de France n’étaient pas assez représentés. J’en vois très peu à télé. On parle de banlieue, mais c’est toujours les personnes qui n’y connaissent rien ou très peu, qui traitent la question. Il fallait que je pose noir sur blanc mon vécu et le raconter à qui voulait bien l’entendre. Un jour, j’ai pris ma plume et j’ai noirci ma feuille. J’en ai fait un journal intime. Je l’ai incorporé par la suite dans mon bouquin.

À la base, cela devait être une simple interview que je devais faire avec la journaliste Aurélie Foulon, à ma sortie. Nous sommes restés en bons termes car c’était l’une des seules journalistes à prendre de mes nouvelles. Et puis, je me suis rendu compte que mon histoire avait matière à être exploitée. Un jour, je l’ai appelée pour avoir quelques pistes à suivre afin d’écrire un livre. C’est dans cette dynamique que nous avons été amenés à écrire ensemble. Chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Aurélie, c’était le style journalistique, l’investigation dans le récit. Moi, je livrais plutôt mon témoignage sans détour, écrit avec le cœur.

« Préjugé(s) coupable(s) » est-il le fruit d’une blessure ou d’une reconstruction ?

C’est le mélange d’une blessure, d’une reconstruction, d’une cicatrice judiciaire et de quelque chose d’inachevé. Dans un arbre, il n’a pas qu’un seul fruit qui pousse ! Donc « Préjugé(s) coupable(s) » est le fruit de toutes ces choses !

Vous aviez un rêve avant la prison, qu’en est-il aujourd’hui ?

J’ai toujours des rêves ! Celui qui reste le plus important, c’est de réussir ma vie. En ce moment j’ai repris l’école de la deuxième chance, pour me remettre sur les rails ! C’est l’occasion de passer des diplômes pour devenir éducateur. Parallèlement, je me suis lancé dans le social, pour faire connaître mon histoire.

Je fais un peu le tour de France dans les quartiers pour parler de la prison, de la justice, de la banlieue. Je pense que le débat avancera mieux si les acteurs vivant sur les lieux se prononçaient davantage. Si mon histoire peut aider à faire changer les choses, j’en serais ravi. J’ai écrit un scénario qui relate mon histoire et je suis à la recherche d’un producteur pour porter le projet. Détermination, discipline et travail, ce sont trois mots pour aller de l’avant. Il faut toujours y croire car la vie est un combat.

Lansala Delcielo

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