L’association la « Voix des Rroms » vient d’annoncer avoir introduit une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme contre l’Etat français. En cause : les propos de Manuel Valls sur les Roms en 2013. La Cour de Justice de la République avait, elle, classé l’affaire sans suite.
C’est sur le fondement de l’atteinte du droit à un procès équitable et de la discrimination portant sur l’origine nationale d’une population que l’ « La Voix des Roms » souhaite défendre son dossier. En effet, l’association reproche à Manuel Valls, alors l’ancien ministre de l’Intérieur, d’avoir tenu en 2013 des propos « racistes » au sujet des camps roms en France.
« Ces propos sont racistes »
Le 15 mars 2013, dans un entretien accordé au Figaro, Manuel Valls a déclaré : « Hélas, les occupants de campements ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution« , ajoutant, qu’il partageait « les propos du Premier ministre roumain quand ce dernier dit : “les Roms ont vocation à rester en Roumanie, à y retourner ». A l’antenne de France Inter, six mois plus tard, le 24 septembre 2013, Manuel Valls ajoutait « qu’il est illusoire de penser que l’on règle le problème des populations Roms à travers uniquement l’insertion… Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation ». Des propos inacceptables pour Saimir Mile, juriste au sein de l’association la « Voix des Rroms », selon qui, il ne fait aucun doute que « ces propos sont racistes« . Il déplore qu’un ministre puisse tenir de tels propos sans être inquiété. « Parce qu’on est ministre, on peut ainsi échapper à la justice ? Si c’est le cas, c’est très grave. Sommes-nous toujours dans un Etat de droit ? », s’interroge-t-il. Saimir Mile ne cache pas qu’il pressentait l’arrivée de cette affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme. Et il n’en est pas très fier. « Cela ne me fait pas plaisir d’attaquer l’Etat français devant la Cour européenne mais on ne peut laisser passer ce type de propos. Les Roms font l’objet de discriminations quotidiennes« , s’insurge-t-il.
Refus de scolarisation et de domiciliation des Roms: des droits piétinés
Anina Ciuciu, élève avocate dit ne plus supporter entendre ces discours politiques stigmatisants contre les Roms. « C’est une population qui est ignorée et méprisée par une partie de l’opinion publique et par des élus qui n’hésitent pas à leur rendre difficile l’accès à un certain nombre de droits fondamentaux comme l’accès au logement et à la scolarisation des enfants ». Récemment, certaines communes comme Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, se sont distinguées en refusant de scolariser des enfants parce que roms. Damien Chistian, un ancien habitant du bidonville rom du Samaritain à la Courneuve (Seine-Saint-Denis) raconte qu’il rencontre toujours des difficultés pour scolariser ses enfants. Vivant désormais dans un squat à Drancy, il ne dispose pas d’adresse de domiciliation pour pouvoir inscrire ses enfants à l’école. « J’ai fait une demande de domiciliation à la mairie pour inscrire mes enfants, cela a été refusé. Comment voulez-vous que les Roms s’intègrent lorsqu’après sept années de travail en France on refuse de nous domicilier à la mairie pour inscrire mes enfants ? La domiciliation c’est la base de l’intégration ».
Des propos qui « n’excèdent pas les limites admissibles de la liberté d’expression » selon la CJR
Saimir Mile n’a jamais voulu ouvrir le débat avec Manuel Valls suite à ses propos sur les Roms. Il dit ne pas « vouloir discuter avec un délinquant« . C’est donc à la justice de se prononcer. Le 19 décembre 2013, la commission des requêtes près la Cour de Justice de la République (CJR), saisie par le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) a considéré que les propos du ministre de l’Intérieur n’excédaient pas « les limites admissibles de la liberté d’expression ». Selon elle, « en l’absence d’éléments de nature à caractériser le délit dénoncé, la plainte doit être classée ».
Cependant, le chemin sera long et difficile pour une condamnation de l’Etat français par la Cour européenne des droits de l’homme comme souhaitée par l’association. D’abord, avant même un examen du fond, elle devra apprécier la recevabilité de la requête de l’association la « Voix des Rroms ». Il faudra attendre au minimum trois ans pour obtenir une décision sur la recevabilité de l’action. Il n’est donc pas garanti que l’affaire puisse être jugée devant la Cour européenne des droits de l’homme. Si la Cour décide de ne pas examiner dans le fond la requête, il n’y aura plus aucun recours possible car la décision d’irrecevabilité ne peut faire l’objet d’un appel.
Mélissa BARBERIS