Les traces sont toujours là, indélébiles, toutes fraîches, malgré le temps passé. Samedi 20 janvier 2006, à 16 heures, Madame Lee sort de chez elle pour aller faire des courses, elle prend l’ascenseur avec ses filles jumelles de 4 ans dans leur poussette deux places et son fils de 10 ans. En arrivant au rez-de-chaussée, elle rencontre ses voisins du dessus, avec qui, il faut le reconnaître, elle a des griefs depuis de nombreuses années. Ceux-ci ont un appartement de type F4 comme elle, dans un immeuble du XIXe arrondissement de Paris, mais ils y vivent sans enfants. Ils sont très bruyants, à se demander s’ils ne le font pas exprès. 

Au bas de l’ascenseur, encore dans la cage, elle leur demande poliment de bien vouloir retirer, le soir, leurs talons qui claquent sur le plancher, et de cesser de faire tomber des objets lourds, ça réveille les enfants dans la nuit. Ils lui répondent agressivement que ce n’est pas eux, et que si elle n’est pas contente, elle n’a qu’à déménager dans un pavillon de banlieue. Elle se dit que ce serait plus logique que ce soit eux qui partent car ils aiment se croire seuls au monde.

Elle n’a pas le temps de sortir ses enfants de l’ascenseur que le mari lui assène un violent coup de poing à la figure et s’engouffre dans l’ascenseur avec sa femme. Les enfants, maintenant sur le pallier, ne crient pas, ne réalisent pas ce qui se passe, ils regardent leur mère, interloqués. Il n’y a pas de témoin. Un immense sentiment de solitude la prend aux tripes, mais elle doit se ressaisir, et remonte en vitesse chez elle pour appeler la police.

Une fois la police sur place, elle lui raconte ce qu’il vient de se passer, et les prie de relever l’ADN du type qui doit encore être sur sa joue. Un des policier rigole, l’autre se fout d’elle en lui rétorquant que la série « Les experts », c’est du cinéma. Ils lui indiquent de ne pas bouger le temps de recueillir la version du présumé agresseur. A leur retour, ils conseillent à la jeune veuve (son mari est décédé peu de temps après la naissance des jumelles) d’aller porter plainte au commissariat le plus proche.

Elle leur demande ce qu’il va arriver à l’homme qui l’a frappée, et sans même lui répondre, ils quittent les lieux en la plantant là comme ça, seule avec ses enfants toujours silencieux. Elle est prise d’un sentiment d’insécurité comme jamais, elle vient de se faire agresser par un homme en présence de ses enfants et la police ne lui apporte ni secours, ni soutien, elle est perdue. Madame Lee qui pensait qu’en France on respectait et protégeait les femmes, elle a même vu des pubs à la télé qui parlaient de ça.

Alors elle prend sa progéniture, et part au commissariat, là elle est reçue par un gardien de la paix. Elle le connaît car c’est lui qui a recueilli la plupart de ses mains courantes pour les nuisances sonores que ses voisins (encore eux) lui font subir depuis x temps. Elle lui raconte l’agression et lui exprime sa surprise d’avoir constaté que ses collègues sur place n’ont pas été plus virulents avec cet homme qui venait de la violenter, « devant [ses] enfants ». « Ils auraient dû le placer en garde à vue, lui répond le gardien de la paix, mais selon leur rapport, le voisin leur aurait dit que vous mentiez pour obtenir des dommages et intérêts. »

C’est la goutte de trop pour Madame Lee : d’abord l’incompétence de ces policiers qui n’ont même pas cherché à savoir à qui ils avaient affaire, pressés qu’ils étaient de se débarrasser de ce problème de voisinage, et maintenant ces sous-entendus sournois. Elle quitte le commissariat en larmes et décide elle aussi de laisser tomber, elle n’a pas le choix, elle doit aller de l’avant, elle a des responsabilités de mère qu’elle compte bien assumer jusqu’au bout, et se dit que d’autres qu’elles subissent aussi des injustices, et que c’est la vie. Ce sera sa façon de survivre à cette humiliation.

Quant à ses voisins du dessus, ravis de ne pas avoir été pris, ils continuent leur tapage nocturne en toute impunité, et narguent même Madame Lee avec des petits sourires en coin, à l’occasion quand ils la croisent au rez-de-chaussée de l’immeuble. Madame Lee se dit souvent qu’une famille avec enfant(s) serait sûrement heureuse dans l’appartement du dessus, celui de son agresseur, mais que ce ne sera pas possible car, c’est comme ça, c’est la justice des hommes.

Nadia Mehouri

Nadia Mehouri

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