Jeudi, dès 18 heures, une centaine de fidèles de la mosquée de Drancy, hommes, femme et enfants, ont manifesté devant la préfecture de Bobigny, à l’appel de l’association Al-Nour (la lumière), présidée par Hassan Chalghoumi, qui gère la mosquée. Après un mois d’intrusions répétées d’un collectif nommé Cheikh Yassine, présidé par Abdelhakim Sefrioui, ils réclament plus de sécurité pour leur lieu de prière, où sont dispensés également des cours d’arabe et de religion. « Quatre cents jeunes sont inscrits à ces cours, répartis sur le mercredi, le samedi et le dimanche. »

Depuis la dernière intrusion, lundi, du collectif Cheikh Yassine, accompagnée de violence, notamment à l’encontre du muezzin, Mustapha Sali, qui aurait perdu connaissance après avoir été frappé, Al-Nour a décidé de fermer la mosquée. « Il faut que l’Etat ramène l’ordre, que ce groupuscule qui insulte, violente et menace les fidèles et moi-même, soit écarté. Pour le bien de tout le monde. La réouverture se fera quand j’aurai une garantie de protection au sein de ce lieu de prière », déclare l’imam Chalgoumi.

Un fidèle présent au rassemblement d’hier, raconte ce qu’il s’est passé lundi. « Nous étions dans la mosquée, quand soudain, aux alentours de 22h30, la lumière s’est éteinte. Nous avons entendu alors des bruits de coups de poing et de bousculades. Une fois la lumière revenue, j’ai vu le muezzin à terre, je l’ai donc porté vers la fenêtre et ai ouvert sa veste pour qu’il reprenne conscience. » Souad Sali, la cousine du muezzin, confie : « J’ai été traitée de traître par Sefrioui, ils sont violents, nous insulte quand on va prier. »

Ce groupuscule en veut particulièrement à l’imam Hassan Chalghoumi, pour deux raisons au moins : il n’admet pas ses liens étroits avec la communauté juive, et notamment le fait qu’en juin 2009, il ait invité dans la mosquée de Drancy le président du Conseil représentatif des associations juives de France (CRIF), Richard Prasquier. Le CRIF qui a soutenu l’intervention militaire israélienne à Gaza, fin 2008-début 2009. « Ce jour-là, nous recevions un groupe d’invités, explique l’imam Chalghoumi. Nous n’allions pas faire entrer les autres et laisser M. Prasquier seul à l’extérieur de la mosquée parce qu’il est le président du CRIF. Ce n’est pas dans nos habitudes. » Le collectif Cheikh Yassine, du nom de cet ancien chef du Hamas exécuté par Israël lors d’un raid aérien, en veut ensuite à Hassan Chalgoumi d’avoir approuvé l’adoption éventuelle d’une loi contre le port de la « burqa », le voile intégral.

Mais les récriminations des partisans d’Abdelhakim Sefrioui ne s’arrêtent pas là. Ils refusent la présence de caméras de surveillance dans l’enceinte de la mosquée de Drancy. Ils ont fait courir la rumeur selon laquelle il y avait une caméra dans les toilettes des femmes. « C’est faux, c’est faux, il n’y a jamais eu de caméra dans les toilettes de femmes », ont rétorqué avec vigueur les femmes réunies hier devant la préfecture. En revanche, il y a bien des caméras dans la salle des ablutions des hommes, mais pas dans les toilettes des ceux-ci. « Ces caméras ont été mises suite à un vol dans la salle des ablutions. Un homme s’était fait voler 1000€ dans son manteau et s’était rendu au bureau de la mosquée pour réclamer son bien en disant qu’il le récupèrerait par force », rapporte un fidèle.

Quand des fidèles, après les violences de lundi dernier, sont allés demander à un commissaire présent de leur permettre de prier en paix, ce dernier leur aurait dit : « Démerdez-vous, c’est votre sauce. »

Le soutien de l’imam Chalghoumi à une possible législation antivoile intégral fait causer : « Pendant un prêche, raconte un fidèle d’une trentaine d’années, il a dit que si les lois françaises n’allaient pas à l’encontre de l’islam, il n’y voyait aucun problème. Et je suis d’accord. La burqa n’est pas une prescription coranique. Après, concernant ses relations avec les juifs, cela pose un problème aux imbéciles. Pourquoi se faire la guerre ? Dans le Coran il n’est écrit nul par qu’il faut détester les juifs.

» Sefrioui, poursuit ce fidèle, a constitué un groupe de revendicateurs qui ne connaissent pas grand-chose à l’islam en réalité. Ils ne sont même pas de Drancy, sauf un. Il a fait venir à lui n’importe quel idiot ancien alcoolique qui s’est laissé pousser la barbe. Il les ramène jusqu’à Drancy et parle même de démolir la mosquée, car elle est aux mains du CRIF, dit-il. Mais c’est n’importe quoi. Par contre, l’imam Chalghoumi a commis une grosse erreur tactique et politique en y faisant entrer le président du CRIF. »

Jean-Christophe Lagarde, le maire de Drancy, qui, il y a quelques années, a remis les clefs du bâtiment transformé en mosquée, s’est joint à la manifestation d’hier : « Les vraies difficultés dans cette affaire, c’est que nous n’arrivons pas à gérer la violence, observe l’élu. Il faudrait régulariser l’entrée à la mosquée. Ne pas laisser passer ce groupe qui s’infiltre à l’intérieur pour protester contre Chalghoumi. Mais la police ne bouge pas. Peut-être parce qu’il s’agit d’une mosquée à Drancy. Si ces heurts s’étaient produits à Notre-Dame, la police serait intervenue aussitôt pour ramener l’ordre. »

L’imam Chalgoumi, menacé de mort, dont la voiture et le domicile ont été pris pour cible par des extrémistes en raison de ses efforts de rapprochement avec les juifs de France, est-il en train d’être lâché par les politiques ? « Non, répond Jean-Christophe Lagarde, mais Chalghoumi n’a pas été futé en ramenant le CRIF. Il est tombé dans le piège des extrémistes. 95% des musulmans veulent pratiquer leur religion sans politique. Et Chalghoumi traite de la politique et s’est donc piégé lui-même. Je lui ai dit que s’il y avait plus d’organisation dans cette mosquée, il y aurait moins de problèmes. La preuve, ce groupuscule n’a pas réussi à entrer dans la mosquée de Paris. La République est laïque et donc elle doit protéger et respecter tous les cultes. Elle doit également garantir aux fidèles la liberté de pratiquer leur religion. »

Les quelques fidèles interrogés hier sont plutôt d’accord avec le raisonnement du maire. « Si l’imam Chalghoumi se mettait en retrait et diminuait sa médiatisation, cela calmerait peut-être les choses », affirment Houda et Bouchra, deux Drancéennes dont l’une fréquente régulièrement la mosquée de Drancy. Les fidèles manifestant devant la préfecture semblaient être venus surtout pour exiger de pouvoir prier en paix « à 5 minutes de chez eux », plutôt que pour apporter un soutien politique à la personne de Hassan Chalghoumi. Ceux qui fréquentent la mosquée de Drancy sont toutefois reconnaissants à l’imam Chalghoumi de ses réalisations au sein de l’association Al-Nour. « Il ne faut en aucun cas nier qu’il est un docteur en islam et fait de bonnes choses pour nos enfants et nous-mêmes, notamment avec l’organisation de soirées multicommunautaires », dit une femme.

Inès El Laboudy

Inès El laboudy

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