La réforme du code pénal de la justice de mineurs est entrée en vigueur le 30 septembre dernier. Après avoir été repoussée de six mois à la suite de sa ratification le 26 Février 2021, l’ordonnance va finalement voir le jour après avoir été portée les gardes des sceaux Nicole Belloubet, et Eric Dupond-Moretti, . Si cette dernière vise selon le ministre de la justice à « simplifier et accélérer le jugement des mineurs délinquants, tout en renforçant leur prise en charge » qu’en est t’il réellement sur le plan judiciaire et éducatif ? 

Une nécessité de réformer et de réaffirmer des principes de bases

L’ordonnance du 2 février 1945 régissait la délinquance juvénile depuis maintenant 76 ans. Toutefois, de l’avis des professionnels de la justice des mineurs, ce texte se devait d’être réformé du fait de son illisibilité légale au fil des années. C’est ce qu’évoque Benjamin Ladoux, avocat au barreau de Paris en droit pénal, spécialiste en défense des mineurs et en protection de l’enfance : « l’ordonnance du 2 février 1945, ayant connu de nombreuses modifications, une cinquantaine environ, devenait difficilement lisible pour les acteurs de la justice des mineurs. Nous étions face à un véritable mille-feuille législatif. » 

La primauté de l’éducatif sur le répressif est censée être la pierre angulaire de ce texte fondateur. Ce principe est d’ailleurs réaffirmé dès le préambule de la circulaire publiée le 25 Juin 2021 par Eric Dupond-Moretti à l’attention des professionnels de la justice des mineurs. Ainsi, Me Ladoux précise que ce principe consiste à veiller au « relèvement éducatif et moral, ainsi qu’à la prévention de la récidive et à la protection de l’intérêt des victimes ». 

C’est en ce sens qu’apparait l’une des créations de ce nouveau texte de loi, la déclaration de réussite éducative. Elle vient attester, lors de l’audience prononçant la sanction pénale, que le jeune s’est investi durant sa période de mise à l’épreuve éducative, qu’il a respecté les obligations qui étaient les siennes, et qu’il a accompli des progrès sur sa situation durant son accompagnement par les services de protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Parallèlement, ce nouveau texte établit une atténuation de la responsabilisation pénale du mineurs en fonction de son âge et une présomption de non discernement pour les jeunes âgés de moins de 13 ans. 

Une rapidité judiciaire au détriment de l’intérêt
de l’enfant ?

Ce nouveau code pénal évoque « une procédure plus rapide favorisant l’efficacité et la cohérence des prises en charges ». Cette volonté de réactivité de la justice se concrétise par une séparation entre le jugement sur la culpabilité du mineur et celui sur la sanction pénale. Ainsi, dans un délai de 10 jours à 3 mois après la saisine du parquet le mineur sera jugé sur sa culpabilité devant un juge des enfants ; à compter de cette audience une période de six à neuf mois de MEJ (mesure éducative judiciaire) sera ordonnée par ce même juge; puis à l’issue de celle-ci le mineur sera convoqué à une nouvelle audience prononçant la sanction pénale. 

Cette césure entre l’audience sur la culpabilité et l’audience sentencielle illustre la volonté du garde des sceaux d’initier davantage de réactivité dans le jugement des mineurs. En effet, son principal argument pour soutenir cette réforme au parlement a été d’expliquer que le « délai moyen de jugement d’un mineur était de 18 mois » et que bien souvent « des jeunes sont jugés pour des faits qui se sont passés il y a plus de deux ans, et sont parfois majeurs au moment du jugement ». 

On ne va pas avoir le temps en 10 jours ou 3 mois de faire preuve de suffisamment de pédagogie de jugement auprès des jeunes afin qu’ils comprennent réellement ce dont ils sont jugés coupables.

Si ces affirmations sont véridiques, elles témoignent surtout de l’engorgement actuel du système judiciaire. Et les jugements expéditifs ne constituent pas la panacée aux maux que connait la justice des mineurs, encore moins à leur prise en charge éducative. Ainsi, si ce texte déclare se vouloir le garant de l’intérêt supérieur de l’enfant, de nombreux professionnels émettent des inquiétudes vis à vis de sa mise en oeuvre et des impacts que cette exigence de rapidité d’exécution va avoir sur leurs pratiques. 

En réalité le parquet prend une place très importante au détriment du juge des enfants. 

Dès Mai 2020, des professionnels de l’éducation, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et de la justice des mineurs se sont regroupés pour protester contre cette réforme. Cette union réunissait : le syndicats des avocats de France, le syndicat de la magistrature ; la ligue des droits de l’homme ; et pléthore d’organisation syndicales telles que le SNPES PJJ ou la CGT. Elle réclamait notamment la construction d’un : « projet plus ambitieux, celui d’un Code de l’enfance, en matière civile comme pénale, qui puisse rendre à l’ordonnance du 2 février 1945 sa visée éducative et protectrice et se donne les moyens de mettre en œuvre une justice humaniste, bienveillante, sociale et éducative, dans l’intérêt supérieur des enfants (…) ». 

On doit faire plus vite avec autant de moyens.

C’est ce manque de concertation avec les acteurs de la justice des mineurs que déplore également Maria*, éducatrice à la PJJ depuis plus de dix ans, successivement en EPM (établissement pénitentiaire pour mineurs) puis désormais en milieu ouvert : « Les mots sont là, mais il n’y a pas eu de concertations conjointes, c’est marqué comme ça mais en réalité le parquet prend une place très importante au détriment du juge des enfants ». 

D’autre part, elle précise que la rapidité d’exécution judiciaire va mettre à mal l’une des dimensions essentielles de la prise en charge des mineurs : « On ne va pas avoir le temps en 10 jours ou 3 mois de faire preuve de suffisamment de pédagogie de jugement auprès des jeunes afin qu’ils comprennent réellement ce dont ils sont jugés coupables ».

Des procédures simplifiées et accélérées d’un côté, des moyens humains et budgétaires figés de l’autre

Actuellement, en moyenne, un éducateur PJJ suit simultanément 25 jeunes dans le cadre de mesures éducatives judiciaires. Pour Maria l’inadéquation entre d’une part la volonté de rapidité judiciaire et de l’autre la nécessité d’un temps long pour tisser une relation éducative durable et efficiente est la principale lacune de cette réforme : « On va nous demander de faire de l’opérationnel, c’est à dire que désormais les mesures éducatives comportent des modules comme la santé,  l’insertion, etc.. Donc si il y a un module santé on va s’occuper que de la santé car on sera pris par le temps, on doit faire plus vite avec autant de moyens ». La compartimentation d’une prise en charge éducative qui devrait être globale et axée sur la personnalité de l’adolescent est selon elle préjudiciable pour les mineurs accompagnés.

Une efficacité difficilement atteignable sans un recrutement massif de magistrat spécialisé dans la justice des mineurs. 

Finalement, pour les éducateurs de la PJJ comme pour les avocats défenseurs des mineurs les questionnements ne portent pas sur la nature même de ces nouvelles procédures, mais sur leur articulation avec leur réalité sur le terrain. Pour Maître Ladoux, son effectivité semble « difficilement atteignable sans un recrutement massif de magistrat spécialisé dans la justice des mineurs ». De même, pour ce qui est de la réussite des suivis éducatifs, l’avocat pointe le fait que la réussite des mesures éducatives de justice (MEJ) est conditionnée aux moyens alloués à la PJJ. De fait, la qualité des rapports éducatifs et des recueils de renseignements socio-éducatifs qu’ils doivent réaliser dépendent du temps qu’ils ont accordé aux jeunes qu’ils accompagnent. 

L’ordonnance du 2 Février 1945* s’ouvrait ainsi : « Il y a peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice ». Cet enjeu de société reste plus que jamais d’actualité. C’est pourquoi, il incombe aux responsables politiques de s’adapter au plus proche des besoins que rencontrent sa jeunesse dans un monde où les problématiques éducatives ne cessent de muter.

En clair, pour de nombreux professionnels de la justice si l’exécutif souhaite s’élever à la hauteur des ambitions éducatives qu’il déclare porter pour garantir l’intérêt supérieur de l’enfant il lui faudra développer une réelle politique éducative et donner à ses acteurs de terrain les moyens d’innover, d’accompagner et d’endiguer la délinquance juvénile ; et non, seulement tenter d’optimiser et simplifier des procédures judiciaires. Les points de visées de la justice des mineurs sont révélateurs de la manière dont une société traite ses enfants.

Remi Barbet 

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